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Un autre monde

Prades
Eglise de Villefranche-de-Conflent et Abbaye Saint-Michel de Cuxà
08/02/2005 -  


18 heures, Eglise de Villefranche-de-Conflent
Joseph Haydn: Trio avec piano n° 44, Hob.XV.28
Maurice Ravel: Trio avec piano
Johannes Brahms: Trio avec piano n° 1, opus 8

Trio David: Claudio Trovajoli (piano), Daniele Pascoletti (violon), Giovanni Gnocchi (violoncelle)


21 heures, Abbaye Saint-Michel de Cuxà
Ludwig van Beethoven: Quatuor n° 1, opus 18 n° 1 (+)
Cristobal Halffter: Quatuor n° 6 (création française) (#)
Felix Mendelssohn: Quatuor n° 3, opus 44 n° 1 (+)

Quatuor Fine Arts (+): Ralph Evans, Efim Boico (violon), Yuri Gandelsman (alto), Wolfgang Laufer (violoncelle), Quatuor Dimitri (#): Céline Planes, Flore Nicquevert (violon), Renaud Stahl (alto), Frédéric Dupuis (violoncelle)


Sous la bannière «Tradition et contrastes», la cinquante-quatrième édition du Festival Pablo Casals, du 26 juillet au 13 août, s’inscrit effectivement dans la descendance de cette prestigieuse quinzaine pyrénéenne qui porte le nom de son illustre fondateur, mais démontre une indéniable capacité à se renouveler, savant dosage que l’on doit à une direction artistique remarquablement éclairée, celle de Michel Lethiec.


Côté «tradition», les hommages à Casals restent bien entendu incontournables: excursion à Vendrell, sa ville natale; conférence sur son ami écrivain Joan Alavedra; programmes construits autour de Bach, du trio qu’il forma avec Thibaud et Cortot ainsi que de ses concerts à la Maison blanche. On retrouve naturellement les habitués du festival (Gérard Poulet, Bruno Pasquier, Arto Noras, Jeremy Menuhin, André Cazalet... mais aussi l’astrophysicien Hubert Reeves), tandis que la session d’été de l’Académie européenne de musique profite de la présence des artistes invités, dont les cent cinquante étudiants se produiront à neuf reprises du 10 au 13 août à Prades et dans les communes environnantes. De ce point de vue, l’action engagée depuis plusieurs années se poursuit également avec succès, dix-huit villages du Conflent accueillant cette année des manifestations du festival ou de l’académie, notamment dans leurs superbes édifices romans. Enfin, le partenariat avec l’ADAMI prend un relief particulier, car deux rendez-vous célébrant les cinquante ans de l’association qui gère les droits des interprètes permettront de faire connaissance avec les cinq instrumentistes et les cinq chanteurs lauréats de ses «révélations classiques 2005».


Pour ce qui est du volet «contrastes», les vingt-sept concerts s’ouvrent au dialogue entre les musiques (traditions indienne et catalane). La place réservée à la musique contemporaine mérite en outre d’être soulignée: si Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Mendelssohn et Brahms conservent leur statut de piliers, la programmation ne s’en attache pas moins à remettre en valeur des personnalités plus ou moins oubliées (Aloysius Beerhalter, Adolf Busch, John Clinton, Robert Fuchs, Conradin Kreutzer, Ludwig Spohr, ...) et, surtout, «invite» six compositeurs, dont quatre «en résidence» (Dalbavie, Halffter, Penderecki et Sallinen): ceux-ci entendront chacun une ou plusieurs de leurs œuvres et se plieront par ailleurs à l’exercice de la «conférence-rencontre». Mais ici aussi, de même que l’Académie européenne de musique se préoccupe des générations futures, la découverte de nouveaux talents est à l’ordre du jour, puisque le Quatuor de Thorsten Encke (né en 1966), pièce qui a remporté, en avril dernier, le premier Concours international de composition du festival, sera créé le 6 août.


Mais ces quelques éléments factuels, si prometteurs fussent-ils sur le papier, ne seraient que peu de choses sans l’esprit de Prades, une alchimie aussi mystérieuse que magique entre des artistes jouissant d’une ambiance studieuse et détendue, un public toujours aussi fidèle, la figure de Casals, à la dimension à la fois musicale et humaniste, et l’Abbaye Saint-Michel de Cuxà, lieu privilégié qui est le cadre de la quasi-totalité des soirées. Et c’est véritablement à un autre monde que l’on accède, après avoir traversé la salle capitulaire, qui abrite une exposition de photos de Jiri Vsetecka («Prague, ville de la musique») réalisée en collaboration avec le Centre tchèque, puis, surtout, l’exceptionnel cloître du XIIe siècle.


18 heures dans l’église romane d’un village du Conflent, puis 21 heures à Saint-Michel de Cuxà, la journée du 2 août était typique de ce que le festival offre quotidiennement au mélomane.


1. Hommage au Trio Cortot-Thibaud-Casals


Dans l’église Saint-Jacques, au cœur de l’enceinte fortifiée de Villefranche-de-Conflent, c’est au Trio David, distingué au concours de musique de chambre «Joseph Haydn» de Vienne en 2004, qu’il revenait de rappeler le souvenir du légendaire ensemble constitué voici exactement un siècle par Alfred Cortot, Jacques Thibaud et Pablo Casals.


Le programme, copieux et ambitieux, avait attiré un très nombreux public et débutait par le Quarante-quatrième trio (1797) de Haydn: peu favorable à la transparence de l’écriture, particulièrement aux notes rapides du piano, l’acoustique laisse toutefois entrevoir un premier violon aux aigus trop souvent acides et imprécis, mais avant tout, fort heureusement, un Haydn vif et léger dans les mouvements extrêmes, point trop chargé de pathos dans le mystérieux Allegretto central.


Haut en couleur, généreux en rubato, vibrato et ralentis expressifs, le Trio (1914) de Ravel acquiert un caractère moelleux et charnu assez inhabituel, un rien «fin de siècle», parti pris cependant défendu de part en part avec conviction et cohérence par les jeunes Italiens.


Après une courte pause, le Premier trio (1854) de Brahms voit également son ampleur symphonique accentuée par la réverbération. Mais la fougue rhapsodique du Trio David, qui omet la reprise de l’Allegro con brio initial, apporte l’élan, la générosité et la chaleur requis par le style du tout premier Brahms, au prix d’une certaine tendance à fragmenter le discours.


Retour à l’époque de Haydn pour le bis, avec le vigoureux Presto final du Premier trio (1795) de Beethoven.


2. Equation à un inconnu


Deux quatuors pour trois compositeurs, telle était l’équation proposée le soir à Saint-Michel de Cuxà: équation à une inconnue, ou plutôt un inconnu, le Sixième quatuor (2002) de Cristobal Halffter, qui était en effet donné ici en première française. Commande du Festival du Schleswig-Holstein créée par le Quatuor Vermeer, la partition, d’un seul tenant, comporte néanmoins des épisodes clairement identifiables. Si son langage demeure généralement sombre, d’un expressionnisme soutenu, opposant une lente déploration à des éclats rageurs où chaque instrument semble vouloir suivre son propre chemin, elle n’en ménage pas moins des moments quasiment ludiques, comme ces échanges en pizzicati, et ne refuse pas l’unisson ou la mélodie, comme dans ce passage presque planant où l’engourdissement paraît gagner tous les pupitres.


Pour son unique apparition au cours de ce festival, le Quatuor Dimitri, dont on comprend décidément toujours aussi mal l’élimination prématurée lors du récent Concours de quatuor à cordes de Bordeaux, conjugue précision et engagement face à ces vingt-deux minutes d’une extraordinaire virtuosité.


Les Français avaient d’autant moins la partie facile qu’ils s’inséraient dans une prestation de très haut niveau du Quatuor Fine Arts. La formation américaine, pour le premier des huit concerts auxquels elle participera au cours du festival, avait d’abord choisi, comme exactement une semaine plus tôt à Montpellier (voir ici), le Premier quatuor (1799) de Beethoven: observant cette fois-ci la reprise de l’Allegro con brio initial, elle n’a bien évidemment rien perdu de ses atouts, à commencer par une superbe cohésion.


En seconde partie, le Troisième quatuor (1838) de Mendelssohn, premier de l’opus 44, bénéficie d’une interprétation tout aussi complète et équilibrée, délicate mais sans mièvrerie, tour à tour charmeuse et tranchante, onctueuse et incisive. La sonorité brillante et moelleuse du premier violon, Ralph Evans, ressort nécessairement, tant il est sollicité au fil des quatre mouvements, mais nul n’est tenté de jouer les vedettes, d’autant que la qualité instrumentale des quatre musiciens est d’une grande homogénéité.


Le premier bis nous ramène très précisément un siècle en avant, grâce au pétillant Allegro final du Premier quatuor (1938) de Chostakovitch; et la conclusion se fait, avec un humour plus subtil que grotesque, sur la Valse ridicule, troisième des Cinq pièces (1920) de Casella.


Le site du Festival Pablo Casals



Simon Corley

 

 

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