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Le bon tempo de Verdi Paris Opéra Bastille 05/15/2000 - et 19, 22, 25, 30 mai, 5, 8, 12, 17 juin 2000 Giuseppe Verdi : Rigoletto Juan Pons (Rigoletto), Ruth Ann Swenson (Gilda), Elena Zaremba (Maddalena), Martine Mahé (Giovanna), Sinead Mulhern (Comtesse), Marcelo Alvarez (Duc), Miguel Angel Zapater (Sparafucile), Reda El Wakil (Monterone), Marian Pop (Marullo), Mihajlo Arsenki (Borsa), Nicolas Testé (Ceprano)
Jérôme Savary (mise en scène), Michel Lebois (décors), Jacques Schmidt, Emmanuel Peduzzi (costumes), Alain Poisson (lumières)
Orchestre et choeurs de l’Opéra National de Paris, Paolo Carignani (direction)
Si la production, très Metropolitan Opera façon seventies, passionne toujours aussi peu mais ne dérange pas (voilà assurément le moins lourdingue de tous les spectacles signés par Savary sur une scène lyrique), cette reprise de Rigoletto affiche quelques noms dignes de… passer dans l’histoire, pas moins.
Le plateau, d’un très haut niveau, est dominé au premier acte par un Marcelo Alvarez en état de grâce - jamais entendu plus beau dans le duo avec Gilda, pas même Alagna. Timbre riche, plus mat que métallique, projection souveraine, phrasé admirablement fluide, charme des mezza voce sensuelles et des points d’orgue toutes voiles dehors qui pourraient n’être que racoleurs et deviennent exaltants, diction très hispanique mais riche en consonnes dont la dimension musicale vient immédiatement enrichir la ligne en accents et en rythmes. « Parmi veder » et « La donna » sont encore somptueux, mais trahissent imperceptiblement les tensions d’une voix plus naturellement lyrique que spinto ou virtuose, comme le montre une cabalette du deuxième acte légèrement étouffée ; « Bella figlia dell’amore » est en revanche céleste de tenue et de lumière. Scéniquement, ce duc est à peu près aussi subtil que les acteurs de vieux films muets, mais l’énergie de la présence physique est au diapason avec la voix. Avec les moyens idéaux du rôle (timbre égal et juvénile, médium parfaitement intégré, précision instrumentale dans la conduite de la ligne, en dépit de quelques accidents ce soir là dans l’aigu, comme la messa di voce étranglée sur le mi-bémol du « Caro nome »), Ruth-Ann Swenson reste un peu en retrait par rapport à son personnage, phrasant admirablement un duo final désespérément dénué d’émotion. Dommage que Pons, fatigué peut-être, paraisse également se désintéresser du troisième acte ; car il équilibre auparavant avec un rare bonheur la méchanceté odieuse du bouffon et la tendresse déchirée du père (poignants « Cortiggiani » et « Piangi fanciulla »), avec quelques problèmes de rythme et un timbre moyennement séduisant, mais d’une voix large et riche en inflexions, ce qui dans ce rôle prime au fond sur le beau chant. Le couple assassin déçoit légèrement : on attendait une Maddalena de luxe, mais Zaremba, qu’on rêva star à ses débuts, se révèle de plus en plus troupière, avec un physique savoureux mais une voix engorgée et encombrée d’un vibrato trop large ; le Sparafucile de Zapater tient honorablement son rang, sans laisser vraiment de souvenirs impérissables. Bons seconds rôles où se distinguent à nouveau les stagiaires du centre de formation lyrique (les « Madame est servie » de Miss Mulhern et de Nicolas Testé confirment les belles impressions laissées ailleurs par des performances plus consistantes).
Le grand bonheur, cependant, vient du podium ; une fois n’est pas coutume dans une maison qui a davantage fondé son succès sur l’éclat de ses plateaux, la qualité de ses forces orchestrales et chorales et le prestige de ses metteurs en scène que sur les mérites de ses chefs. Personne n’a dans cette salle dirigé un Verdi aussi vivant et virtuose que celui de Paolo Carignani. Enfin des attaques, des accents, une dynamique subtile qui rehausse les timbres d’un orchestre toujours superbe, un vrai lyrisme dans le phrasé, une maîtrise consommée des transitions – la strette du duo concluant le deuxième acte, au lieu de sonner comme une fanfare militaire, éblouit par le déroulement de son accelerando, Carignani ayant également le bon goût de respecter les rapports entre tempos ignorés par d’autres, ce qui rend sa lecture moins brutale dans les passages vifs et moins pesante dans les moments lents. Cette rythmique exigeante et soucieuse du texte (une pulsation toujours marquée, mais un rubato libre et subtil), si elle est parfaitement intégrée par les instrumentistes, demande davantage d’efforts aux chanteurs et en particuliers aux choristes ; bonne occasion de se rappeler que le théâtre lyrique est aussi affaire de musique ! Si les prestations ultérieures de Carignani restent de ce niveau, il n’est pas exagéré de pressentir en lui dans ce répertoire un héritier de Muti ou de Chailly. Souhaitons que l’Opéra de Paris ait le projet de créer avec lui un lien régulier.
Vincent Agrech
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