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Lumière originelle

Saintes
Abbaye aux Dames
07/24/2005 -  
Gustav Mahler: Treize lieder extraits de «Des Knaben Wunderhorn» – Totenfeier

Ingeborg Danz (mezzo), Dietrich Henschel (baryton)
Orchestre des Champs-Elysées, Philippe Herreweghe (direction)


La trente-quatrième édition du Festival de Saintes a respecté jusqu’au bout les traditions: le concert de clôture a été donné, comme de coutume, à guichets fermés, et ce d’autant que l’affiche Mahler/Herreweghe était prometteuse. Cela fait certes belle lurette que le patron de l’Orchestre des Champs-Elysées a étendu son champ d’investigation à tout le romantisme (de Beethoven à Bruckner en passant par Schumann, Brahms ou Franck), mais un programme entièrement dédié à Mahler, avait, pour le moins, de quoi susciter la curiosité: en effet, même si, avant lui, quelques-uns de ses confrères «baroqueux» ont acquis une expérience mahlérienne, même s’il a déjà dirigé, l’année passée, les Kindertotenlieder, il s’attaquait ici à des défis d’un tout autre ordre, ne serait-ce que par l’importance de l’effectif instrumental requis.


La première partie de la soirée était ainsi consacrée à treize des mélodies écrites sur des textes issus du recueil Des Knaben Wunderhorn (1892-1899), deux lieder ayant logiquement été écartés: Es sungen drei Engel (cinquième mouvement de la Troisième symphonie), qui fait appel à des chœurs, ainsi que Das himmlische Leben, qui conclut la Quatrième symphonie, donnée deux jours plus tôt dans sa réduction pour ensemble de chambre. Avec ces lieder d’une grande diversité de climats, où le rire se mêle aux larmes, l’interprète est confronté à un test grandeur nature de sa sensibilité à une œuvre mahlérienne par excellence, terreau remarquablement fertile sur lequel sont nées sinon la Première, du moins les trois symphonies suivantes.


Herreweghe, nul ne l’ignore, n’est pas un intégriste de la reconstitution historique, à moins que l’on ne qualifie de la sorte son souci permanent de respect du texte, qu’il s’attache à restituer en le débarrassant d’une sédimentation de traditions dont la justification lui paraît devoir être remise en cause: une inlassable quête de vérité musicale, qu’il vit avec une passion réelle quoique, au demeurant, trop rarement portée à son crédit, alors qu’il suffit pourtant de le voir, dans Mahler, mouiller sa chemise, y compris au sens propre, et déployer une gestuelle expressive, voire exubérante. Mais s’il incite les violons au vibrato, voire au portamento, il ne va pas pour autant forcer sa nature: loin des excès de pathos, d’ironie ou d’attendrissement parfois de mise dans ce répertoire, il privilégie en effet la clarté de l’articulation et la transparence des textures, favorisées par une formation de taille modeste (quarante-sept cordes).


Si un parti pris un rien didactique et la lenteur de certains tempi (Des Antonius von Padua Fischpredigt) tendent à brider quelque peu la spontanéité, voire l’émotion ou l’humour, son approche ne rend pas moins justice à la richesse de la palette orchestrale (Der Tambourg’sell, Lob des hohen Verstands), tandis que la grâce des phrasés (Verlor’ne Müh!, Wer hat dies Liedlein erdacht?) ou l’implacable froideur du propos (Der Tambourg’sell, Wo die schönen Trompeten blasen) ont tout pour emporter la conviction. Au-delà, l’intelligence qui anime sans cesse une telle conception fait ressortir comme jamais les tenants et les aboutissants de l’univers mahlérien, depuis la (fausse) simplicité quasi schubertienne des pièces d’esprit populaire jusqu’à la sécheresse des mélodies à caractère revendicatif, qui semble déjà préfigurer Kurt Weill.


Assez peu mis en valeur par l’acoustique, bien que le chef veille soigneusement à retenir ses excellents musiciens, les deux solistes, plus sobres qu’extravertis, font corps avec lui. Ingeborg Danz ne bénéficie pas d’autant de saisissants morceaux de bravoure que Dietrich Henschel (Der Schildwache Nachtlied, Lied des Verfolgten im Turm, ...) et sa voix sonne peut-être trop amplement dans les brèves mélodies de tempérament plutôt léger qui lui sont dévolues dans un premier temps, mais soutenue par un accompagnement tour à tour recueilli et cristallin, elle finit sur un merveilleux Urlicht.


Devenu le quatrième mouvement de la Deuxième symphonie, ce lied établissait un lien évident avec la seconde partie du concert, puisque le poème symphonique Totenfeier (1888) n’est autre que la version originale, un peu plus longue (vingt-quatre minutes) et avec quelques différences d’orchestration, du premier mouvement de cette symphonie. L’allure globalement modérée qu’adopte Herreweghe laisse ici ou là retomber la tension, d’autant que son Mahler n’a décidément rien de névrosé ou d’hollywoodien, mais tient bien davantage de Bruckner, aussi bien celui des chorals solennels que des progressions majestueuses, en l’espèce parfaitement conduites, et des scherzi incisifs.


Il confirme ainsi qu’il n’a pas son pareil, avec une exigence particulièrement élevée et sans la moindre extravagance, pour suggérer des éclairages nouveaux, replaçant les partitions dans leur «lumière originelle» (Urlicht). Et c’est sur cette mélodie offerte en bis que le rideau tombe sur un festival dont l’excellence demeure une référence, Herreweghe ayant d’ailleurs fort légitimement tenu, au moment des rappels, à rendre hommage à Stephan Maciejewski, qui en est le directeur artistique depuis 2002.



Simon Corley

 

 

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