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D’un tableau à l’autre Saintes
Cathédrale Saint-Pierre et Abbaye aux Dames
07/23/2005 -
12 heures 30, Cathédrale Saint-Pierre
Nicolas de Grigny: Veni Creator – A solis ortus cardine
Johann Sebastian Bach: Komm, Gott, Schöpfer, heiliger Geist, BWV 667 – Toccata et fugue «Dorienne», BWV 538
Samuel Scheidt: Christum wir sollen loben schon
Michel Chapuis (orgue)
22 heures 30, Abbaye aux Dames
Benjamin Britten : Quatuor n° 3, opus 94
Johannes Brahms : Quatuor n° 1, opus 51 n° 1
Quatuor Minguet: Ulrich Isfort, Annette Reisinger (violon), Irene Schwalb (alto), Matthias Diener (violoncelle)
L’avant-dernière journée de cette trente-quatrième édition du Festival de Saintes fut une nouvelle fois à l’image d’une programmation tous azimuts, avec trois concerts variant les genres (orgue, ensemble choral, quatuor) et les époques (de Dufay à Britten), une conférence sur «L’esprit fin de siècle à Vienne» (Klimt, Kokoschka et Schiele), la diffusion d’un documentaire présentant une leçon de Pierre Boulez, des répétitions publiques: de dix heures du matin à minuit, le festivalier pouvait se lancer dans un véritable marathon culturel ou bien se contenter de promenades d’un tableau à l’autre de cette exposition.
1. Saintes. Le marché
Samedi en fin de matinée, autour de la cathédrale Saint-Pierre, le marché, vantant les richesses aussi bien maritimes que terrestres de l’Aunis et de la Saintonge, bat son plein, mais à l’intérieur, comme tous les midis, Bach est à l’honneur, dialoguant, au fil d’un récital soigneusement construit, avec deux de ses prédécesseurs, Samuel Scheidt et, surtout, Nicolas de Grigny. Tout au long de cette heure de musique donnée sans interruption, Michel Chapuis démontre avec un sérieux inébranlable sa connaissance intime de ces répertoires, confortée par la pondération et la clarté des orgues de la cathédrale Saint-Pierre (principalement XVIIe et XVIIIe).
Du Premier livre d’orgue (1699) de Grigny, il a sélectionné deux hymnes (Veni Creator et A solis ortus cardine) dont les cantilènes finement ornementées évoquent certes Couperin mais dont les Fugues à cinq font immanquablement songer à Bach. Lui répondait une hymne de Scheidt (Christum wir sollen loben schon) où l’organiste jurassien ne consent pas davantage de concessions à la facilité. De même, parmi les deux pièces de Bach, c’est le bref choral Komm, Gott, Schöpfer, heiliger Geist qui paraît le plus exubérant, le diptyque profane de la Toccata et fugue «dorienne», placé en conclusion, n’étant en rien animé par un souci de divertissement.
2. Catacombes
Cum mortuis in lingua mortua: parmi les ultimes œuvres de Britten, le Troisième quatuor (1975) consacrait son retour à un effectif qu’il n’avait pas pratiqué depuis 1945. Enigmatique, résigné et grinçant comme avait pu l’être le dernier Chostakovitch, lui-même disparu quelques semaines avant que le compositeur britannique n’en entreprenne l’écriture, ce quatuor est doublement placé sous le signe de Venise: non seulement c’est dans cette ville qu’il fut achevé, mais son climat aussi bien que certains de ses éléments thématiques renvoient à l’opéra Death in Venice, créé deux ans auparavant.
Le Quatuor Minguet en livre une interprétation radicale, mettant en évidence le caractère éminemment moderne de cette musique qui, après tout, n’a que trente ans. Faut-il en trouver l’explication dans les affinités que la formation allemande, qui a notamment enregistré une intégrale Rihm, entretient avec la musique de notre temps? On comprend en tout cas que l’étonnante économie de moyens derrière laquelle se dissimule un Britten à peine reconnaissable ne l’effraye guère. Car si une qualité instrumentale de premier ordre lui permet de surmonter ces nombreux passages où les musiciens jouent à découvert, sans filet, elle illustre en outre de façon éclatante son aptitude à exprimer beaucoup à partir de peu de notes, mettant sans doute à profit son expérience de partitions extrêmes telles que le Second quatuor de Feldman, ou, dans une moindre mesure, Fragmente-Stille, an Diotima de Nono, qu’elle avait inscrit, trois jours plus tôt, au programme du premier de ses deux concerts à Saintes.
Une courte pause n’était pas de trop pour que les uns et les autres reprennent leurs esprits et s’acheminent vers un univers très différent, celui du Premier quatuor (1873) de Brahms. Malgré une acoustique nécessairement peu favorable aux entrelacs contrapuntiques de l’Allegro initial, les Minguet imposent une conception aussi cohérente qu’aboutie, fondée sur une parfaite maîtrise de la construction et du discours, tout en privilégiant des textures plus subtiles que massives.
En bis, ils optent judicieusement pour une figure chère au cœur de Britten comme à celui de Brahms, à savoir Schubert, avec l’Andante con moto encore tout mozartien de son Quatrième quatuor (1813).
Simon Corley
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