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Un jour à Saintes

Saintes
Abbaye aux Dames
07/22/2005 -  


12 heures 30
Benjamin Britten : Suite n° 1, opus 72
Johann Sebastian Bach: Suite n° 6, BWV 1012

Pieter Wispelwey (violoncelle)


17 heures 30
Felix Mendelssohn : Ouverture «Ruy Blas», opus 95
Niels Gade : Symphonie n° 5, opus 25
Antonin Dvorak : Symphonie n° 8, opus 88, B. 163

Ronald Brautigam (piano)
Jeune orchestre atlantique, Christopher Hogwood (direction)


22 heures 30
Gustav Mahler : Symphonie n°4 (arrangement Erwin Stein)
Carolyn Sampson (soprano)
Ensemble Prometheus, Etienne Siebens (direction)


Sous la direction artistique de Stephan Maciejewski depuis 2002, le Festival de Saintes demeure fidèle, pour sa trente-quatrième édition, à la diversité que Philippe Herreweghe, quant à lui toujours directeur artistique de l’Abbaye aux Dames, a érigée au fil des années en maître mot de ce rendez-vous du mois de juillet sur les bords de la Charente: en moins de deux semaines, trente concerts présentent ainsi un panorama d’une rare richesse, du Moyen Age à nos jours, incluant la Renaissance, le baroque, le classicisme, le romantisme et le postromantisme. En outre, la diffusion de films et de documentaires, l’organisation de conférences et de débats, le libre accès aux répétitions et les nombreuses possibilités de formation (stages, classes de maître, ...) viennent élargir cet éventail d’activités.


Particulièrement dense, avec quatre concerts allant de la Renaissance (Ferrabosco) au XXe siècle (Britten), la journée du 22 juillet était emblématique de ce que ce festival propose à un public connaisseur, curieux et tout sauf snob, qui, par sa fidélité et sa qualité, contribue également à créer un esprit véritablement à part.


1. Bach, forcément


Seul ou bien en compagnie de ses prédécesseurs (Buxtehude, Reincken, ...), de ses fils et de ses lointains descendants (Britten), au clavecin, à l’orgue ou au violoncelle, en cantate ou en motet, Bach reste, à Saintes, le point de repère du concert de la mi-journée. Pieter Wispelwey, précédemment apparu cette année dans les Variations rococo de Tchaïkovski ainsi que dans le Concerto de Schumann, se plie sans peine à cette figure imposée, en associant au Cantor l’un de ses plus importants successeurs dans le répertoire pour violoncelle seul, à l’image de cette abbatiale romane décorée de tapisseries modernes sur le thème de la Création.


Dans la Première suite (1964) de Britten, l’acoustique ne rend pas pleinement justice à la précision de l’articulation et à la méticulosité des attaques du Néerlandais, dont le Guadagnini produit un son qui ne donne jamais l’impression de provenir du frottement d’un archet sur des cordes. Cette pureté se conjugue à une intensité de tous les instants, tant le discours paraît sans cesse soutenu par une extraordinaire aptitude à capter l’attention et à s’investir dans chacun des climats contrastés de ce périple musical.


Plus cabotin, fort heureusement, dans ses mimiques que dans son jeu, si sophistiqué soit-il, Wispelwey livre, dans la Sixième suite de Bach, une performance qui tient de la démonstration, non pas dans le sens d’un déballage virtuose, mais par sa manière de privilégier l’éloquence. Familier de l’école d’interprétation «historique» sans être animé en l’espèce par un simple souci de reconstitution, il en a manifestement conservé un refus de l’emphase, sans renoncer pour autant à une vision aussi élégante que personnelle.


2. Place aux jeunes


Appartenant depuis 1996 à la galaxie de l’Abbaye aux Dames, le Jeune orchestre atlantique, qui se réunit six à huit fois par an à Saintes, est le cadre de formations sur instruments d’époque au travers de stages d’orchestre et de musique de chambre. Originaires du monde entier, ces jeunes, en fin d’études ou même professionnels, bénéficient ainsi de la possibilité de travailler des œuvres classiques et romantiques sous la direction non seulement de Philippe Herreweghe mais aussi de Sigiswald Kuijken, Jos van Immerseel ou, cette saison, Christopher Hogwood.


Le chef britannique avait opté pour un programme XIXe siècle, débutant par la rare ouverture que Mendelssohn écrivit pour des représentations de Ruy Blas (1839), opportune introduction à celui qui lui succéda à la tête du Gewandhaus de Leipzig, Niels Gade: choix d’autant plus original que la Cinquième symphonie (1852) du Danois est très vraisemblablement la première à intégrer le piano à l’orchestre. Rien à voir, cependant, avec d’Indy (Symphonie sur un chant montagnard français) ou Szymanowski (Quatrième symphonie), car même si Ronald Brautigam fait son entrée sur scène avec le chef, c’est, à l’exception d’un court passage du Scherzo, un rôle bien plus obligato que concertant qui lui est réservé: apportant sa couleur ainsi qu’un soutien mélodique et harmonique, le piano est d’ailleurs placé au centre, devant les bois, entre les altos et les violoncelles, et non pas à l’avant, sur le côté gauche.


Défenseur de longue date de Gade, dont il a enregistré l’intégrale des symphonies, Hogwood mobilise les énergies de ses troupes pour tirer le maximum de cette partition de coupe traditionnelle en quatre mouvements, qui serait de stricte obédience mendelssohnienne si elle ne révélait pas parfois un caractère «nordique», que ce soit par des ruptures de ton inattendues, sans cependant les extravagances d’un Berwald, ou par une partie de timbales assez élaborée, préfigurant de ce point de vue Sibelius ou Nielsen.


A l’issue de l’entracte, un quintette de cuivres issu de l’orchestre (deux trompettes et trois trombones) se place devant le portail de l’Abbaye pour sonner brièvement le rappel des spectateurs retardataires: Saintes, c’est aussi cela!


Avec un instrumentarium sensiblement plus moderne celui utilisé en première partie, la Huitième symphonie (1889) de Dvorak confirme les atouts – notamment la fougue juvénile – mais aussi les faiblesses fort compréhensibles (défaut de cohésion et d’homogénéité) du Jeune orchestre atlantique. Dans une lecture plus prosaïque qu’idiomatique, Hogwood, de son côté, paraît s’attacher à faire ressortir les ruptures du propos davantage que sa poésie: si elle ménage des moments indéniablement réussis, cette approche globalement sage, à laquelle aura certainement manqué le temps d’un polissage plus poussé, procède de façon trop raide et décousue, brusquant ou étirant les transitions. Mais la Huitième Danse slave de l’opus 46 (1878), généreusement offerte en bis, permet de laisser le dernier mot à l’enthousiasme.


3. Modélisme musical


En 1918, Schönberg mit sur pied une «Association pour les exécutions musicales privées», que la seconde «Ecole de Vienne» s’employa à alimenter en transcriptions variées, du Chant de la terre de Mahler (une entreprise que Schönberg abandonna en cours de route) aux valses de Strauss en passant par la Berceuse élégiaque de Busoni. Alors qu’il assurait l’intérim, à la présidence de cette association, de celui qui avait été son maître entre 1906 et 1910, Erwin Stein (1886-1958) réalisa en 1921 une adaptation de la Quatrième symphonie (1900) de Mahler. Ayant été contraint d’émigrer au Royaume-Uni en 1938, il fut embauché par Boosey and Hawkes, où il fut amené à éditer les partitions de Britten, qui lui dédia son opéra The Rape of Lucretia, et publia la première édition de la correspondance de Schönberg.


Etienne Siebens et son Ensemble Prometheus n’ont pas à proprement parler exhumé cette adaptation mahlérienne, qui a en effet déjà été enregistrée à plusieurs reprises, mais sur laquelle plane une certaine ambiguïté: dans les notes de programme, Jean-Jacques Groleau indique que Stein «en perdit les manuscrits dans son exil en Angleterre» et que «c’est sa fille Marion Thorpe qui entreprit de réécrire cet arrangement», semant ainsi le trouble sur la paternité exacte de cette version.


Même s’il s’agit sans doute, avec cette Quatrième, de la symphonie de Mahler qui se prête le moins mal à un tel exercice, il est impossible de ne pas se demander quel intérêt le mélomane actuel va trouver à ce qui peut difficilement être considéré autrement que comme la réduction pour treize musiciens (une flûte, un hautbois, une clarinette, un piano, parfois à quatre mains, un harmonium, deux percussionnistes et un quintette à cordes) d’un univers orchestral par excellence. Groleau suggère non sans raison une «écoute moins passive», mais cette motivation s’adresse avant tout à celui qui connaît déjà bien l’œuvre et qui en effectue lui-même mentalement une reconstruction, faisant abstraction d’une dynamique inévitablement aplanie, de tempi nécessairement plus rapides et, accessoirement, de problèmes d’équilibre ou de justesse.


Car le néophyte, lui, aura entendu une symphonie évoquant curieusement ici ou là l’ambiance d’un café viennois, Siebens étant par ailleurs porté à souligner quelque peu les effets, comme s’il tentait de faire oublier la petite taille de l’effectif dont il dispose. Et comme c’est le lied final – issu du Knaben Wunderhorn, qui sera à l’honneur pour le concert de clôture, le 24 juillet – qui «fonctionne» probablement le mieux, les spectateurs ont visiblement pris plaisir à ce qu’il soit bissé par Carolyn Sampson, aussi irréprochable que délicieuse.



Simon Corley

 

 

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