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Bel canto thermal Bad Wildbad Kurtheater 07/01/2005 - Gioachino Rossini : L’equivoco stravagante (Ouverture et Cavatine d’Ermanno), Eduardo e Cristina (Scène et duo Cristina-Eduardo, Duettino Carlo-Eduardo), L’inganno felice (Air alternatif)
Garda Thor Cortes (ténor), Elizaveta Martirosyan (soprano), Luisa Islam-Ali-Zade (mezzo-soprano), Solistes de Chambre de Brno, Alberto Zedda (direction)
Gioachino Rossini : L’inganno felice
Kenneth Tarver (Bertrando), Corinna Mologni (Isabella), Simon Bailey (Osmondo), Marco Vinco (Batone), Lorenzo Regazzo (Tarabotto), Solistes de Chambre de Brno, Alberto Zedda (direction)
Kurtheater, les 1, 2* et 3 juillet 2005
Giacomo Meyerber : Semiramide
Deborah Riedel (Semiramide), Filippo Adami (Ircano), Fiona James (Scitalce), Wojtek Gierlach (Mirteo), Olga Peretyatko (Tamiri), Leonardo Silva (Sibari), Chœur Rossini d’Altensteig, Philharmonie de Reutlingen, Richard Bonynge (direction), Jochen Schönleber (mise en scène), Matthias Müller (décor), Claudia Möbius (costumes)
Kurhaus, les 2*, 9, 13 et 15 juillet
En 1856 Rossini a passé plusieurs semaines à Bad Wildbad, tentant d’y noyer ses multiples embarras de santé dans l’eau minérale. Comment réussissait-on à se rendre dans cette petite station, encaissée dans une vallée reculée de la Forêt-Noire (au sud de Pforzheim, à mi-chemin entre Karlsruhe et Stuttgart) ? Toujours est-il que l’activité thermale y faisait florès, sans doute même davantage qu’aujourd’hui où la ville, au demeurant charmante, entre fontaines et sapins, a dû s’inventer d’autres attractions touristiques que l’eau de source.
Alors, pourquoi pas un Festival Rossini ? Depuis 1989 s’est développé progressivement à Bad Wildbad une manifestation ambitionnant de rivaliser avec le Festival italien de Pesaro, et y parvenant dans une certaine mesure, puisque se sont déjà succédés ici la quasi totalité des spécialistes actuels du chant rossinien. Une académie vocale (avec cette année la participation du ténor Raul Gimenez), des musicologues confirmés, une programmation soit de raretés rossiniennes soit d’autres ouvrages à découvrir dans l’histoire de l’opéra italien au début du 19e siècle… de quoi faire accourir parfois de très loin un public friand de chant orné et d’hédonisme vocal.
Le Festival de Bad Wildbad semble à présent bien consolidé, grâce à ce public fidèle, incluant quelques mécènes de poids. Cela dit, l’infrastructure technique minimale d’une manifestation de rang international lui manque encore. L’essentiel des représentations se déroule au Kurhaus, gros bâtiment Jugendstil architecturalement intéressant mais passablement défraîchi, et dont la salle semble peu propice aux représentations lyriques : une petite scène, pas de fosse, avec l’orchestre simplement installé en contrebas du plateau. Seule l’acoustique claire et peu réverbérée est intéressante, finalement appropriée à un répertoire belcantiste où la précision compte beaucoup. Des conditions précaires mais qui ne semblent en rien altérer l’enthousiasme d’un auditoire entassé sur des chaises inconfortables, voire qui se dévisse le cou pour apercevoir la scène.
Grande nouveauté toutefois du Festival 2005 : la réouverture du Kurtheater, salle désaffectée depuis près de quarante ans et qui menaçait ruine faute d’entretien. Le Festival n’est parvenu que récemment à réunir des fonds pour rénover ce petit théâtre, ou du moins, pour l’instant, restituer à la salle son éclat (la cage de scène, les couloirs et le foyer du public restent à rééquiper entièrement). L’endroit promet d’être délicieux, avec ses allures de chalet de bois peint et son intérieur minuscule (180 places). La salle joliment décorée fleure bon le bois fraîchement scié, l’isolation phonique des bruits extérieurs est insuffisante, l’acoustique gagnerait à être adoucie (quelques tentures ou au moins un revêtement de sol absorbant seraient utiles), les sièges que l’on croirait empruntés à une cinéma sont encore provisoires et beaucoup trop profonds… Bref, là encore la manifestation semble baigner dans l’improvisation, mais on s’en accommode mieux. Car un vrai lieu festif pour happy few promet de naître ici, charmant et plutôt confortable, y compris les entractes au jardin et même les fanfares de trompette pour rameuter le public à la fin des pauses... Gageons qu’on en reparlera, même si les capacités très réduites de la salle risquent de poser éternellement des problèmes d’équilibre budgétaire.
Pour l’inauguration officielle du bâtiment rénové, après une première partie consacrée à des raretés rossiniennes défendues par de jeunes voix dans un état de maturation variable (jolis moyens, en tout cas, de la soprano Elisaveta Martirosyan…), l’affiche annonçait une production scénique de l’opéra en un acte L’inganno felice de Rossini (L’heureux stratagème, créé à Venise en 1812). Effectivement une vraie scénographie était prête, avec décors et costumes, exploitant en l’état les possibilités techniques encore réduites de la scène. Mais les chanteurs, tous des stars confirmées du chant rossinien cette fois, n’ont semble-t-il pas eu envie, eu égard au peu d’argent qu’on leur a versé pour leur participation quasi-bénévole, d’assimiler en peu de temps une vraie mise en scène, préférant se concentrer sur leur chant, a fortiori dans le contexte d’une enregistrement public pour la radio et le disque. Argumentaire certes recevable mais quand même cavalier, à l’égard d’un public qui paye 150 euros pour assister à un opéra et à qui l’on impose sans préavis les pupitres et les fracs d’une banale version de concert, devant un décor complètement monté dont rien n’est utilisé.
Musicalement au moins les promesses sont tenues. Alberto Zedda dirige en grand spécialiste du genre un Orchestre des Solistes de Chambre de Brno qui parvient à s’imposer en dépit d’une acoustique impitoyable qui surexpose chaque détail. Et le plateau, au moins côté masculin, est l’un des meilleurs possibles : impayable valet de comédie de Marco Vinco, doté d’une voix (trop ?) puissante mais flexible, luxueux Osmondo de Simon Bailey, baryton rossinien de grande classe, très bonne prestation de Lorenzo Regazzo, dans un emploi de basse bouffe assumé avec beaucoup de présence. Kenneth Tarver assume quasiment au pied levé le difficile emploi de Bertrando, dont il négocie les difficultés avec musicalité. Seule l’Isabella de Corinna Mologni déçoit. La belle couleur sombre de la voix est intéressante, mais une audible panique s’installe dès que l’aigu est sollicité, avec une tendance subite à chanter approximatif et tendu, voire faux. Grâce à l’engagement des chanteurs, qui parviennent quand même à installer ici ou là les prémisses d’une véritable ambiance de comédie, une sorte de spectacle improvisé prend forme, ceci compensant finalement assez bien cela. Le public, en tout cas, se montre chaleureux.
En soirée le Festival se poursuit, au Kurhaus cette fois, avec Semiramide , l’un des ouvrages composés par le jeune Meyerbeer lors de son séjour de plusieurs années en Italie. Créé à Turin en 1819, cet opéra a ensuite quitté définitivement l’affiche jusqu’à aujourd’hui. Les autres ouvrages italiens de Meyerbeer n’ont d’ailleurs pas connu un sort fondamentalement différent, la firme discographique anglaise Opera Rara s’étant néanmoins employée à en ressusciter quelques-uns. Pour Semiramide le mystère restait en revanche entier : une vraie redécouverte donc, mais malheureusement en aucun cas un ouvrage essentiel. Le livret de Metastase, Semiramide riconosciuta, l’un des plus fréquemment mis en musique au 18e siècle, est très difficilement compréhensible, reposant sur une multitude de faits antérieurs dont le spectateur ne perçoit rien. Quelques tournures harmoniques rappellent fugitivement Mozart et une culture musicale allemande dont Meyerbeer reste évidemment issu, mais l’ambiance générale s’en tient trop constamment au simple faire valoir d’une virtuosité vocale cultivée pour elle-même, balayant les tessitures alternativement de haut en bas et de bas en haut. Difficile de retenir une vraie mélodie intéressante à l’issue de ces deux bonnes heures de spectacle, pourtant pas vraiment lassantes, tant ce chant sur-orné finit néanmoins par distiller une séduction presque charnelle…sans doute l’un des vrais déterminants de l’addiction au bel canto romantique !
Avec des voix exceptionnelles, ce type d’effet serait sans doute décuplé. Ici, on ne fait que s’en approcher. Encore affectée par un reste de laryngite Deborah Riedel chante honorablement mais avec un timbre voilé. Fiona Jones semble en meilleure forme mais n’échappe pas à une certaine monotonie d’émission. Wojtek Gierlach assure honorablement son rôle de basse, et Filippo Adami part vaillamment à l’assaut d’airs dont on peine souvent à percevoir la ligne mélodique, enfouie sous un inextricable fouillis d’ornements. La prestation la plus touchante restant celle d’Olga Peretyatko dans le rôle secondaire de Tamiri, petite princesse bafouée dont personne ne s’occupe vraiment.
Chevelure blanche élégante, prestance inaltérée, Richard Bonynge tient les rênes de la soirée avec un professionnalisme inattaquable. Reste que l’on peut s’interroger sur les satisfactions qu’apportent encore à un chef doté d’un tel bagage la résurrection d’une œuvre en apparence aussi peu consistante. Les derniers feux d’un engagement de toute une vie, au service d’un répertoire à faire revivre, sans doute… Une carrière brillante mais déjà malheureusement en voie d’oubli, dont l’essentiel s’est accompli naguère en étroite collaboration avec son épouse Dame Joan Sutherland, d’ailleurs présente à Bad Wildbad ce soir-là : silhouette voûtée et précautionneuse en robe à fleurs, dans laquelle on peine d’abord à reconnaître la mythique Stupenda qui mit naguère toutes les salles du monde à ses genoux ! Un grand moment d’émotion toutefois, teinté de mélancolie, que de voir brièvement cette légende vivante du chant monter sur scène en fin de soirée pour y recevoir son petit bouquet dérisoire.
Au moment de conclure, on s’aperçoit que l’on n’a pas parlé de la mise en scène (ou du moins en espace, la soirée étant annoncée comme «semi-scénique»)… Oubli révélateur tant dans ce genre d’ouvrage l’aspect visuel semble sinon secondaire, du moins simplement au service du rayonnement vocal. En l’occurrence, vu l’exiguïté du plateau, la scénographie s’en tient prudemment à quelques parois sombres et un écran sur lequel on projette de rares images. Les costumes ont des airs de déguisement de patronage (mais il est vrai que le tour de taille et de hanche des deux principaux rôles féminins les rend à peu près impossibles à habiller) et la direction d’acteurs est inexistante. Mais on ne s’en formalise pas beaucoup, puisqu’il reste évident que personne ici ne s’est déplacé prioritairement pour ça.
Un festival plutôt insolite mais qui mérite le détour, soit par passion pour le genre, soit simplement par curiosité. A découvrir depuis l’Alsace (prévoir deux bonnes heures de route), ou au cours d’un séjour touristique approfondi en Forêt-Noire, ou même, pourquoi pas, comme Rossini naguère, entre deux baignades dans des thermes néo-romains au charme suranné, réputés parmi les plus beaux au monde…
Le site du festival Laurent Barthel
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