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Merlet l’enchanteur Paris Orangerie de Bagatelle 07/05/2005 - Frédéric Chopin : Fantaisie, opus 49 – Etudes, opus 10 n° 3, 4, 5 et 6 – Scherzo n° 4, opus 54
Jean Roger-Ducasse : Quatre études (extrait) – Etude en sol dièse mineur
Robert Schumann : Romances, opus 28
Maurice Ravel : Gaspard de la nuit
Dominique Merlet (piano)
Cette rare occasion d’entendre Dominique Merlet constituait certainement l’un des temps forts de la vingt-deuxième édition du Festival Chopin à Bagatelle. Pédagogue réputé – on ne compte plus ceux de ses élèves qui se font fait un nom (Frédéric Aguessy, Ricardo Castro, Dana Ciocarlie, Hélène Couvert, Philippe Cassard, Vincent Coq, François-Frédéric Guy, Jean-Marc Luisada, Vanessa Wagner, …) – il a démontré tout au long de son récital qu’il n’est pas pour autant un concertiste scolaire, didactique, professoral, sentencieux ou même austère mais, bien au contraire, un interprète sans cesse en éveil, assumant à chaque instant une prise de risque considérable dans un programme d’une haute exigence aussi bien technique qu’artistique.
Dès la Fantaisie en fa mineur (1841) de Chopin, il déploie un jeu puissant mais sans dureté, une sonorité moelleuse mais sans boursouflures, et un discours affirmé, presque autoritaire, fondé sur des phrasés décantés à l’extrême, allant droit à l’essentiel. Les quatre Etudes extraites de l’opus 10 (1829-1832) contrastent deux à deux: dans les célèbres Troisième et Sixième, l’adoption d’un tempo inhabituellement rapide paraît vouloir briser toute velléité de se laisser tenter par les débordements auxquels ces pièces donnent souvent lieu; abordées comme autant de défis virtuoses, les Quatrième et Cinquième sont restituées de façon délibérément spectaculaire et en force, presque dans l’esprit de Rachmaninov.
Né à Bordeaux, Merlet eut ainsi la chance de compter Roger-Ducasse, proche de sa famille tant par la géographie que par l’amitié, parmi ses premiers maîtres. L’Etude en mi bémol mineur, dernière de Quatre études (1915) exactement contemporaines de celles de Debussy, évoque effectivement le compositeur de Pelléas, mais avec un son plus charnu et une manière moins allusive. Comprenant une partie centrale assez terrifiante, cette sorte de marche funèbre est suivie d’une autre Etude (en sol dièse mineur), plus ravélienne dans son caractère d’exercice de style en forme de toccata, d’une très grande difficulté d’exécution. La première partie prend fin sur un Quatrième scherzo (1842) de Chopin d’une inventivité étonnante, véritablement scherzando, à l’articulation constamment soignée.
Relativement peu fréquentées, les Romances (1839) de Schumann, qui rappellent le climat des Kreisleriana ou du Carnaval de Vienne, n’ont pas grand-chose à voir avec ce que le concept de «romance» suggère de mièvre, d’insipide ou même tout simplement de lyrique. Seule la Deuxième pourrait s’en rapprocher, mais Merlet prend bien soin d’y chanter avec un admirable dépouillement. Quant aux deux autres volets de ce triptyque, il les anime en créant une atmosphère d’urgence qui rend justice à leurs incessants changements d’humeur.
Ayant gravé chez Mandala une intégrale Ravel qui fait encore référence, le pianiste français n’a pas déçu dans Gaspard de la nuit (1908): après une Ondine symphonique, Le Gibet confronte le fameux si bémol, répété avec une inlassable précision dans les attaques, à des accords aux couleurs particulièrement raffinées. Scarbo instable, volcanique, fusant de tous côtés, semble déjà anticiper, par son déchaînement tellurique, Le Sacre du printemps.
Les bis reviennent à Chopin, avec la troisième des Mazurkas de l’opus 63 (1846), dernière publiée de son vivant, puis à Roger-Ducasse, avec une plaisante Etude aux modulations astucieuses, dont Merlet précise au public qu’elle fut destinée à sa mère, alors âgée de douze ans. Le Seizième (en si bémol mineur) des Vingt-quatre préludes (1839) de Chopin conclut avec une énergie fulgurante une soirée sortant décidément des sentiers battus.
Simon Corley
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