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Accourez, doux zephyrs ! Strasbourg Opéra National du Rhin 06/28/2005 - et 29 juin, 1er, 2, 4 juillet 2005 Jean-Philippe Rameau : Les Boréades Anne Lise Sollied (Alphise), Paul Agnew (Abaris), Eric Laporte (Calisis), Nicolas Cavallier (Borilée), Andrew Foster Williams (Borée), Delphine Gillot (Sémire), Malia Bendi Merad (l’Amour), Thomas Dolié (Apollon, Adamas), Kimy McLaren (Nymphe), Luanda Siqueira (Polymnie)
Chœurs de l’Opéra National du Rhin, Chœurs du Concert d’Astrée, Ballet de l’Opéra National du Rhin, Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction)
Laurent Laffargue (mise en scène), Andonis Foniadakis (chorégraphie), Philippe Casaban et Eric Charbeau (décors), Hervé Poeydomenge (costumes)
Que l’on se trouve à ce point privé d’air, au cours d’un spectacle où il n’est pourtant question que d’orages, de tempêtes et de vent, pourrait porter à rire. Mais à ce degré d’étouffement, dans une salle de l’Opéra national du Rhin transformée pour la circonstance en cocotte minute, ce n’est même plus drôle. La faute en revient naturellement à Dame Canicule. Mais aussi à l’absence de confort d’un théâtre certes d’une vétusté attachante, certes rafistolé à plusieurs reprises, mais toujours pas mis aux normes d’une salle moderne, climatisation minimale incluse.
Le public transpire en silence, tout juste animé du friselis d’éventails de fortune qui s’agitent avec l’énergie du désespoir, mais gageons que pour les solistes, les danseurs et l’orchestre la soirée ne doit pas être bien agréable non plus. En tout cas l’effet de la chaleur humide sur l’instrumentarium baroque du Concert d’Astrée semble ravageur, surtout du côté des bassons et des flûtes à becs, qui n’émettent plus que des couinements risibles. Un festival de gags sonores qui ne semble nullement perturber Emmanuelle Haïm, affairée à déployer en tous sens une gestique surprenante, mi jerk atypique, mi touillage de mayonnaise… Le tout ni à mains nues, ni avec baguette, mais la main droite crispée sur un stylo bic encapuchonné de rouge, dont la présence ici relève de l’objet surréaliste. On imagine que cette agitation corporelle sans précédent vise à susciter chez toutes les forces en présence une expressivité maximale. Et il est indéniable qu’elle y parvient parfois. Mais on peut regretter aussi l’absence d’efficacité rythmique d’une battue peu lisible, facteur de confusion et d’indifférence, au sein d’une masse instrumentale atone, voire flasque. A mesure que le spectacle avance la beauté de l’écriture chorale (vaillamment défendue) et quelques airs splendides parviennent heureusement à faire oublier cette inconsistance... de temps en temps.
Sur le plateau, l’affairement des chanteurs n’est pas moins pathétique. En fait seul Paul Agnew parvient vraiment à mettre en valeur les fastes d’une écriture vocale rétive. Ce n’est qu’avec lui que l’ornementation envahissante de ce chant inhumain reprend son sens, et émeut vraiment. On apprécie aussi les efforts d’Anne Lise Sollied, qui se bat courageusement pour insinuer sa jolie voix dans tous les méandres de sa partie, au risque de compromettre parfois la justesse de l’intonation. Thomas Dolié se tire honorablement des deux rôles d’Adamas et d’Apollon, les jolis moyens de Kimy McLaren et Luanda Siqueira attirent brièvement l’attention… Mais avouons que le reste de la distribution, timbres quelconques, techniques approximatives, colonnes d’air vacillantes, laisse dubitatif. Seule la diction française est en général d’une clarté méritoire, ce qui est louable, mais pas suffisant.
Mettre Les Boréades en scène et en danse est une gageure. L’alternance obstinée du chant et du divertissement chorégraphique s’y révèle vite d’une implacabilité tuante, les conventions du livret ne sont supportables qu’au prix d’une indulgence de tous les instants, et obtenir des chanteurs qu’ils parviennent à porter leur attention à autre chose qu’une ligne vocale monopolisante relève de l’exploit. Finalement, le compromis proposé par le metteur en scène Laurent Laffargue et le chorégraphe Andonis Foniadakis s’avère plutôt satisfaisant. On peut rester sceptique face à une danse uniformément agitée et sportive, mais dont la fluidité continuelle finit heureusement par assurer à l’ouvrage un semblant d’armature. On apprécie aussi quelques tentatives intéressantes d’intégrer les chanteurs dans la chorégraphie elle-même, avec quelques portés surprenants mais plutôt réussis. Et puis toute cette effervescence a au moins le mérite d’éviter les incongruités d’une improbable modern dance, tout autant que les petits doigts levés et les poignets bloqués d’une gestuelle baroquisante réchauffée. Laurent Laffargue réussit de son côté à diriger ses acteurs avec un beau naturel. Quant à la référence constante à l’univers du cirque, elle autorise quelques effets séduisants, l’accumulation d’ors, de rouges et de brandebourgs évitant assez astucieusement une lassitude visuelle qui menace toujours plus ou moins. Pas vraiment l’onirisme et la créativité soufflante (sic) qu’un tel ouvrage exige, mais finalement, jugé à l’aune de ce qui a été proposé ailleurs ces dernières années dans ces mêmes Boréades, à Paris, Lyon, Salzbourg... un très honnête et très beau travail.
Laurent Barthel
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