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Première épreuve

Bordeaux
Grand Théâtre
06/25/2005 -  et 26 juin 2005
Joseph Haydn : Quatuors n° 33, opus 20 n° 3 (a), 34, opus 20 n° 4 (b), 35, opus 20 n° 5 (c), et 36, opus 20 n° 6 (d)
Maurice Ravel : Quatuor (e)
Béla Bartok : Quatuors n° 1, sz. 40 (f), 4, sz. 91 (g), 5, sz. 102 (h), et 6, sz. 114 (i)
Dimitri Chostakovitch : Quatuors n° 2, opus 68 (j), et 3, opus 73 (k)
Benjamin Britten : Quatuor n° 1, opus 25 (l)
Leos Janacek : Quatuor n° 1 «Sonate à Kreutzer» (m)

Quatuor Vinteuil (a, e): Ji-Hwang Park Song, Nadège Gruffat (violon), Laurence Carpentier (alto), Lionel Wantelez (violoncelle)
Quatuor Elias (c, h): Sara Bitlloch, Donald Grant (violon), Martin Saving (alto), Marie Bitlloch (violoncelle)
Quatuor Novo (b, e): Florence Roussin, Tristan Benveniste (violon), Nicolas Peyrat (alto), Frédéric Peyrat (violoncelle)
Quatuor Difference (b, j): Dace Ridina, Ilze Pence (violon), Una Vikstrema (alto), Liga Veilande (violoncelle)
Quatuor Sacconi (d, f): Ben Hancox, Hannah Dawson (violon), Robin Ashwell (alto), Cara Berridge (violoncelle)
Quatuor Carducci (b, l): Matthew Denton, Michelle Fleming (violon), Graham Broadbent (alto), Emma Denton (violoncelle)
Quatuor Dimitri (a, e): Céline Planes, Flore Nicquevert (violon), Renaud Stahl (alto), Frédéric Dupuis (violoncelle)
Quatuor Ardeo (b, m): Carole Petitdemange, Olivia Hughes (violon), Alice Mura (alto), Joëlle Martinez (violoncelle)
Quatuor Chiara (b, g): Rebecca Fisher, Julie Yoon (violon), Jonah Sirota (alto), Gregory Beaver (violoncelle)
Quatuor Parker (d, i): Daniel Chong, Karen Kim (violon), Jessica Bodner (alto), Kee-Hyun Kim (violoncelle)
Quatuor Rubens (a, k): Quirine Scheffers, Eefje Habraken (violon), Roeland Jagers (alto), Joachim Eijlander (violoncelle)
Quatuor Estevès (b, e): Thomas Gautier, Guillaume Antonini (violon), Alphonse Dervieux (alto), Americo Estevès (violoncelle)


Takacs, Prazak, Hagen, Sine Nomine, Vogler, Ysaÿe, Keller, Belcea, Aviv, Ebène: à qui va échoir l’honneur de compléter cette liste si impressionnante, celle des vainqueurs du Concours international de quatuor à cordes de Bordeaux? Créée en 1976, la compétition a d’abord connu dix-neuf éditions à Evian, sur un rythme annuel puis biennal, mais tout en ayant assis son statut de référence dans la discipline reine de la musique de chambre, elle s’est installée en Aquitaine depuis 1999, sous la direction du violoncelliste Alain Meunier.


L’enracinement girondin se confirme cette année d’une manière relativement inattendue, dans la mesure où l’œuvre imposée que tout concours qui se respecte se doit de commander est due à György Kurtag, lequel s’est fixé depuis quelques années à Saint-André-de-Cubzac. La création de ces Six moments musicaux, au stade de la deuxième épreuve, fait au demeurant figure d’événement en soi, compte tenu à la fois de l’importance du compositeur hongrois et de la relative rareté de sa production.


Présidé par Valentin Berlinsky (violoncelliste du Quatuor Borodine), le jury comprend des personnalités aussi bien françaises – Micheline Banzet Lawton, la violoniste Sylvie Gazeau – qu’étrangères – l’altiste britannique Suzie Meszaros (membre du Quatuor Chilingirian) et les musiciens du quatuor américain Fine Arts. Outre un premier et deuxième prix, il est appelé à décerner des distinctions parrainées par diverses institutions (Société générale, Ministère de la culture et de la communication, SACEM, Association des amis de Mozart et des maîtres classiques de Paris). Un jury de la critique musicale remettra de son côté son propre prix et les lauréats, comme de coutume, se verront proposer des engagements en France ainsi qu’en Europe, notamment à Radio France, au Musée d’Orsay, au Festival de Besançon ou au Printemps de Prague.


L’accès à l’ensemble des épreuves, qui se déroulent dans le cadre privilégié et l’acoustique miraculeusement naturelle du Grand Théâtre, est libre, et le public ne se prive donc pas de l’occasion d’entendre ainsi dans de telles conditions des œuvres du XVIIIe à nos jours jouées dans leur intégralité par les meilleurs espoirs du quatuor. Quinze participants étaient annoncés, mais, suite à la défection des Boszodi (Hongrie), des Romantic (Russie) et des Cremona (Italie), ils sont finalement au nombre de douze: cinq français, trois britanniques, deux américains, un letton et un néerlandais.


Etalée sur le week-end, à raison de trois formations par demi-journée, la première épreuve consistait en l’interprétation successive de deux quatuors: un de ceux de l’opus 20 (1772) de Haydn et un quatuor composé entre 1895 et 1959. Le double choix ainsi ouvert aux candidats avait pour intérêt de les confronter à deux styles très différents et, grâce à un éventail très large de possibilités, devait éviter que les mêmes partitions ne reviennent trop fréquemment, même si, en fin de compte, le Trente-quatrième quatuor (opus 20 n° 4) de Haydn et le Quatuor (1905) de Ravel auront été sélectionnés respectivement à six et à quatre reprises.


Samedi matin: démarrage difficile


Suscitant un sentiment de perplexité et d’inquiétude, la première matinée amenait en effet à se poser la question suivante: le «père du quatuor» signifie-t-il encore quelque chose pour la jeune génération? Car les trois premiers quatuors désignés par le tirage au sort auront bel et bien achoppé avant tout sur Haydn.


Formé en 2001 par des musiciens originaires des Conservatoires national supérieur de Paris (CNSMDP) et de Genève, le Quatuor Vinteuil a suivi l’enseignement des Ysaÿe et a bénéficié des actions de ProQuartet. Il n’a cependant pas convaincu, de l’avis général, dans Haydn (Trente-troisième, opus 20 n° 3), et son Quatuor de Ravel, malgré une belle ampleur dynamique, n’a pas été plus satisfaisant, flou, nonchalant, manquant de tonus, aux phrasés plats et aux tons acides.


Constitué en 1998 au Royal Northern College of music de Manchester sous le nom de Quatuor Johnston, élève des Berg à Cologne, le Quatuor Elias offre davantage de vie et une sonorité plus charnue, malgré un parti pris de refus du vibrato, dans le Trente-cinquième quatuor (opus 20 n° 5) de Haydn. Mais les difficultés rencontrées par le premier violon et par l’alto se conjuguent à une approche délibérément déroutante et artificielle, tour à tour abrupte (Allegro moderato), chichiteuse (Trio du Menuetto), chargée d’intentions (Adagio) et sans enjeu (fugue finale): mais où est donc passé le Sturm und Drang? Propre, très épuré à force d’objectivité et bien que non dépourvu d’engagement, le Cinquième quatuor (1934) de Bartok souffre de chutes de tension, tandis que l’on cherche en vain le mystère ou la poésie dans l’Adagio et l’Andante.


Les Français du Quatuor Novo ne sont pas beaucoup plus heureux dans le Trente-quatrième quatuor (opus 20 n° 4) de Haydn: leurs teintes sont certes plus chaudes que celles des Elias, mais leur homogénéité, sans doute parce qu’ils ne sont réunis que depuis 2004, laisse à désirer. Si la finition, la clarté et l’articulation paraissent ici ou là problématiques, cette atmosphère souriante et enjouée, quoique trop à la surface des choses, aurait pu se défendre si elle n’avait été plombée par un Un poco Adagio affettuoso à la pesanteur rédhibitoire. Le Quatuor de Ravel, où le charme agit plus en rondeur qu’en raffinement, n’en confirme pas moins un potentiel qui ne demande qu’à s’épanouir dans les mois et les années à venir.


Samedi après-midi: d’un côté de la Manche


Fortement représenté pour cette deuxième demi-journée, le Royaume Uni a frappé fort, mais ses deux concurrents étaient précédés des Lettonnes du Quatuor Difference, créé en 1998 à Riga et élève des Ysaÿe au CNSMDP de 2001 à 2003. Décidément bien sélectif, Haydn, avec un Trente-quatrième quatuor privé de ses reprises, est à nouveau malmené: sonorité moyenne, cohésion et coordination perfectibles, manque de conviction et de souplesse. Mais c’est ensuite que survient la première bonne surprise de la journée, avec un Deuxième quatuor (1944) de Chostakovitch d’une belle plénitude, puissant, dense, tendu, pris à bras-le-corps sous la houlette d’un premier violon très expansif.


Comme son nom (celui d’un luthier italien du siècle passé) ne l’indique pas, le Quatuor Sacconi, issu du Royal College of music de Londres en 2001, est britannique. Et Haydn ressuscita enfin! Dans le Trente-sixième quatuor (opus 20 n° 6), malgré un premier violon parfois imprécis (mais un violoncelle admirable), tout semble devoir rappeler l’irrésistible brillant des Lindsay de la grande époque: autorité, respiration, liberté, richesse du dialogue entre les pupitres. Servie par des phrasés superbes et une poésie déjà mozartienne (Adagio cantabile), cette vision très stimulante est suivie d’un Premier quatuor (1909) de Bartok mordant et versatile, d’une luxueuse perfection par sa parfaite imbrication des différentes voix, son lyrisme, la qualité de ses textures et capacité à capter l’attention des auditeurs.


Né en 1993, le Quatuor Carducci, qui tient son nom d’une commune italienne organisatrice d’un festival à l’occasion duquel, en 1997, il a remporté une médaille d’or, a par ailleurs appartenu l’écurie ProQuartet et possède à son actif une victoire au Concours de musique de chambre de Kuhmo (2004). Il livre la meilleure des six versions du Trente-quatrième quatuor de Haydn données au cours du week-end, trouvant son équilibre et son rayonnement dans un discours résolument affirmatif et fortement charpenté, mais qui, animé par un remarquable sens dramatique et des tempi rapides, va toujours de l’avant, sans jamais nuire à une technique époustouflante. Porté par un élan infatigable, le Premier quatuor (1941) de Britten tourne à la démonstration: même si l’alto et le violoncelle se détachent un peu plus, c’est en vain que l’on cherche la moindre faiblesse dans cette mise en place impeccable. Plus encore que chez les Sacconi, la façon dont le flux musical circule d’un pupitre à l’autre force l’admiration.


Dimanche matin: de l’autre côté de la Manche


Après les orages nocturnes, cette matinée radieuse allait se maintenir sur les sommets, quoique de façon probablement moins spectaculaire que la veille. Le Quatuor Dimitri, constitué en 1994 au CNSMDP, où il a suivi l’enseignement des Ysaÿe avant de séjourner, lui aussi, chez ProQuartet, explore comme aucun avant lui son Haydn, en l’espèce le Trente-troisième quatuor: très complète, âpre sans austérité, équilibrée sans fadeur, énergique sans renoncer à la finesse (avec un premier violon aérien), cette lecture mêlant maturité et naturel révèle une intelligence du texte et une hauteur de vue réjouissantes. Transparent, net et mobile, avec une grande habileté à varier les couleurs, le Quatuor de Ravel s’apparente à une véritable leçon de style.


Egalement issu du CNSMDP, le Quatuor Ardeo, comme le Quatuor Difference, est 100% féminin. Comme pour justifier sa dénomination, il se lance dans un Haydn (Trente-quatrième quatuor) d’allure très vive, fougueux et physique, un rien brusque toutefois, où le violoncelle s’illustre tout particulièrement. Seule formation française à ne pas avoir opté pour le Quatuor de Ravel, les musiciennes, qui ont entre-temps permuté les pupitres de violon, ont trouvé dans le Premier quatuor (1923) de Janacek une partition qui convient certainement mieux à leur tempérament de feu et à leur indéniable charisme: narrative, cultivant les excès et la démesure, jouant sur la violence et les contrastes, grinçant et crissant de toute part, cette Sonate à Kreutzer de tous les dangers s’impose avec une redoutable efficacité.


Troisième ensemble anglophone à chercher l’inspiration de son nom en Italie, le Quatuor Chiara est le seul à placer Haydn en seconde position: l’incontournable Trente-quatrième quatuor reste sage et d’un inattaquable bon goût, sous réserve de quelques hardiesses malheureusement pas toujours bienvenues. Pour commencer, le Quatrième quatuor (1928) de Bartok, d’une facture irréprochablement classique, avait déjà paru quelque peu lisse et appliqué, avec un violoncelle légèrement en retrait de ses partenaires.


Dimanche après-midi: une conclusion plus inégale


Constitué au sein du New England Conservatory de Boston, le Quatuor Parker se conforme à l’image de «papa Haydn», loin de la jubilation des Sacconi la veille dans le même Trente-sixième quatuor: tiède et terne, avec par exemple un Allegro di molto pas très scherzando, il s’en tient à une prudence qui marque aussi le Sixième quatuor (1939) de Bartok, dont toute la veine expressive et tragique semble insuffisamment exploitée, en dehors de quelques effets appuyés et de mouvements centraux (Marcia, Burletta) ne versant pas dans la facilité.


Agé de cinq ans, le Quatuor Rubens étudie actuellement à l’Académie de quatuor à cordes des Pays-Bas, auprès de Stephan Metz, qui fut le violoncelliste du Quatuor Orlando. Dans le Trente-troisième quatuor de Haydn, les Néerlandais, plus spontanés et exubérants que les Dimitri, mettent en revanche moins l’accent sur la modernité du propos et pâtissent en outre d’un premier violon aux attaques hasardeuses. Généreux et tranchant, presque extérieur, le Troisième quatuor (1946) de Chostakovitch tient peut-être plus par l’enthousiasme que par l’émotion.


Seul parmi les douze participants à être exclusivement masculin, le Quatuor Estevès, qui provient du Conservatoire de Lyon, fermait la marche, situation d’autant plus délicate qu’il devait se mettre en valeur dans les deux œuvres les plus courues de ce week-end: dans le Trente-quatrième quatuor de Haydn, après un Allegro di molto, vif et dynamique, voire brutal, l’Un poco Adagio affettuoso, lent et précautionneux, s’enlise dans le prosaïsme; vert, brut de décoffrage, le Quatuor de Ravel méritait quant à lui une réalisation plus aboutie, les jeunes Français misant ici davantage sur les individualités, dont un excellent altiste, que sur la sonorité d’ensemble.


Dimanche soir: le verdict


N’ayant pas obtenu la note moyenne de 14 (sur 20) exigée pour atteindre la deuxième épreuve, les quatuors Elias, Novo et Vinteuil sont éliminés, mais les neuf autres ensembles conservent toutes leurs chances: un quatuor (au choix) de l’opus 59 de Beethoven et les Six moments musicaux de Kurtag détermineront l’accession à la finale.



Simon Corley

 

 

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