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Brahms au sommet

Freiburg
Konzerthaus
05/31/2005 -  
Mauricio Kagel : Broken Chords
Francis Poulenc : Concerto pour deux pianos
Johannes Brahms : Symphonie No 2

Katia et Marielle Labèque (pianos), Orchestre Symphonique du SWR de Baden-Baden et Freiburg, Michael Gielen (direction)

On avoue un certain faible pour Mauricio Kagel, inénarrable spécialiste en provocations et trouvailles, décalées, poétiques, stimulantes… tout en s’en méfiant un peu. Un tel nom à l’affiche d’un concert par ailleurs plutôt conventionnel n’annonçait-il pas quelque nouvelle farce, pas forcément en situation ? En fait, rien de bien explosif: la partition de Broken Chords, œuvre de commande créée à Duisburg en 2002, s’étale sur une vingtaine de minutes et occupe fort bien cet espace de proportions généreuses par la seule qualité de son écriture, sans rien de futile, de corrosif ou d’iconoclaste. Le maniement du grand orchestre (excluant toutefois les percussions) peut même y sembler relativement conventionnel, mais l’écoute attentive permet d’apprécier un jeu subtil sur l’alternance vents/cordes, effets complexes de superpositions et de résonances, d’un abord séduisant à défaut d’être faciles à cerner d’emblée. Le langage oscille entre une atonalité de bonne compagnie et des références plus ou moins patentes à la musique sud-américaine et au jazz (influences présentes en filigrane davantage que citées). Du Kagel assagi, mais de belle facture, brillamment défendu par Michael Gielen à la tête d’un orchestre fermement cuivré, qui contribue ainsi à la propagation d’une œuvre symphonique utile, d’ailleurs favorablement accueillie partout en Allemagne, où elle a déjà été reprise plusieurs fois depuis sa création.


La cohabitation avec le Concerto pour deux pianos de Poulenc s’effectue harmonieusement, surtout dans la conception qu’en affiche Michael Gielen, franchement moderniste, sans vraie concession à la gouaille parigote. L’orchestre explose en décharges brutes, les phrasés ne se débraillent jamais, le principal souci semblant d’avancer vite et droit. Un parti pris réducteur mais honnête, qui aurait pu gagner en lyrisme au contact d’un duo de pianistes à l’aisance vraiment souveraine. Malheureusement Gielen doit surtout s’épuiser ici à courir derrière les foucades des sœurs Labèque, ce qui n’est pas de tout repos. Les années passent sans que notre célèbre duo français s’assagisse, ni physiquement, ni musicalement, toujours bloqué sur les mêmes tics et les mêmes déséquilibres agaçants. Katia Labèque continue à torturer frénétiquement des moyens pianistiques impressionnants. Quant à son aînée, elle la suit avec moins de brio, mais sans se laisser déstabiliser. Au passage, on constate que cette disparité des moyens coïncide exactement avec une nette différence d'exigence entre les deux parties de piano, la première écrite pour Jacques Février, d’un niveau technique intimidant, la seconde pour Poulenc lui-même, d’un abord qui semble plus aisé. Quoiqu’il en soit, on aurait vraiment rêvé ce soir-là d’une approche musicale et équilibrée, plutôt que cette «exécution» fracassante, se résumant à un orchestre qui tonne derrière une pianiste qui cogne et une autre pianiste que l’on entend mal.
En bis : l’inusable Cancan à quatre mains déjà promené par les Labèque dans le monde entier, avec immanquablement les mêmes simagrées, à vrai dire horripilantes, mais qui fonctionnent toujours aussi bien. Succès public assuré !


Première partie contrastée, un peu clinquante, pas désagréable au demeurant, seconde partie strictement classique, mais à un niveau extraordinaire : avouons que c’est surtout pour cette 2e Symphonie de Brahms que l’on s’était déplacé, et on n'a pas été déçu. Les Symphonies de Brahms par Michael Gielen sont moins connues que ses interprétations beethoveniennes, et pour cause : les deux intégrales Beethoven enregistrées, l’une pour l’audio, l’autre plus récemment pour le DVD, on été largement diffusées, en revanche l’intégrale Brahms enregistrée dans les studios du Südwestfunk est restée coincée depuis de très longues années chez EMI, qui en acquis les droits sans jamais se décider à la publier. Un imbroglio juridique que même Gielen et ses éditeurs semblent avoir renoncé à débrouiller. Et c’est dommage, car à en juger par cette 2e Symphonie en concert, le niveau de ces enregistrements doit être exceptionnel. L’approche de Gielen se révèle comme on pouvait s’y attendre d’un romantisme peu débridé, mais le travail sur les timbres, les attaques et la luminosité des textures de cordes, est passionnant de bout en bout. Point culminant : les dialogues instrumentaux du second mouvement, cors et petite harmonie rivalisant de musicalité dans des échanges chambristes d’une perfection rare. Vision nullement abstraite, cela dit, mais simplement débarrassée de son emphase, d’un rebond rythmique toujours vif, qui resitue Brahms dans un contexte davantage «mitteleuropa», voire un peu bohème façon Dvorak, que dans ses habituelles brumes d’Allemagne du nord. Aucune complaisance, aucun répit, jusqu’à l’explosion cuivrée du final, remonté comme un mécanisme de précision. Après cette performance évidente, d’un accomplissement indiscutable, l’absence aujourd’hui d’enregistrement disponible des Symphonies de Brahms par Michael Gielen n’en paraît que plus absurde.



Laurent Barthel

 

 

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