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Un opéra du fatum

Paris
Opéra Bastille
05/28/2005 -  et le 31 mai, les 3, 7, 10, 13, 16 & 19 juin 2005
Piotr Tchaikovski : La Dame de pique, opus 68
Irina Bogatcheva (la Comtesse), Hasmik Papian (Lisa), Christianne Stotjin (Pauline), Irina Tchistjakova (Macha), Robert Catania (le Maître de cérémonie), Vladimir Galouzine (Hermann), Vsevolod Grivnov (Tchekalinski), Nikolai Putilin (Tomski), Grzegorz Staskiewicz (Tchaplitski), Sergei Stilmachenko (Sourine), Slawomir Szychowiak (Naroumov), Ludovic Tézier (le prince Etelski)
Orchestre, Chœurs et Chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris/Maîtrise des Hauts-de-Seine, Gennadi Rozhdestensky (direction)
Lev Dodin (mise en scène)


Fallait-il reprendre cette production de La Dame de pique de Tchaikovski, qui avait suscité de très vives réactions en 1999 - un peu moins en 2001 ? Elle tient en tout cas fort bien le choc, ce qui prouve, sinon sa légitimité, du moins sa cohérence. Cohérence qui, ne nous y trompons pas, vient quand même d’une étonnante liberté prise avec le livret, pour ne pas dire d’un contresens : tout se passe, dès le début, dans l’asile d’aliénés où est interné Hermann, dont la folie n’est plus le terme tragique d’un itinéraire, mais une donnée initiale. A partir de là, inutile de chercher une rigoureuse correspondance entre ce qu’on voit et ce qu’on entend ; le livret est même parfois revu et corrigé. La Comtesse peut bien, dans le tableau de la caserne, apparaître sous les traits de l’infirmière en chef. Le lit de Hermann peut bien devenir celui où va mourir la Vénus moscovite – après tout, vivre dans le passé est aussi une forme de folie. Vraie fête des fous, la Pastorale peut bien être chantée par Lisa, Hermann et la Comtesse à qui on a bandé les yeux. Et la pauvre Lisa, au lieu de se jeter dans la Neva, peut bien assister à la plongée d’Hermann dans ses propres ténèbres. Oui, tout est possible, sinon justifié par une évidente volonté de se référer plutôt à Pouchkine qu’à Modeste Tchaikovski. Encore une fois, on peut aimer ou détester, mais reconnaissons que le travail de l’iconoclaste Lev Dodin ne manque pas de force.


La direction de Guennadi Rozhdestvenski, qui succédait au pupitre à son propre disciple, le flamboyant Vladimir Jurovski, méritait aussi cette reprise, du moins aux oreilles de ceux que n’ont pas rebutés la lenteur extrême de son interprétation. Peu sensible aux grâces mozartiennes de certains passages, Rozhdestvenski exacerbe toute la dimension tragique de l’œuvre et en fait un opéra du fatum. D’une rare précision, sa direction fait entendre chaque détail ; loin de lisser les timbres, elle met en valeur la spécificité des pupitres d’un orchestre attentif au moindre de ses gestes, tout en témoignant d’une impressionnante puissance narrative. On lui reprochera seulement de ne pas imposer davantage de nuances aux chanteurs, plus solides que subtils. Sans faire vraiment oublier ni vraiment regretter Karita Mattila, Hasmik Papian est telle qu’en elle-même : probe et homogène, mais un peu courte dans sa composition, comme si Lisa traversait le drame plus qu’elle ne le vivait dans sa chair. La Comtesse d’Irina Bogatcheva, en revanche, vient très loin derrière celle d’Alexandra Miltcheva, tant elle est ordinaire dans ses manières, n’arrivant pas à trouver le ton juste dans l’air de Grétry, qu’elle confond avec un grand air d’opéra russe. On eût préféré entendre dans le rôle Christianne Stotijn, très belle Pauline dans la première partie. Il y aurait beaucoup à dire de la tendance à tout chanter en force de Vladimir Galouzine, qui le rapproche malheureusement d’un Atlantov là où on attendrait un Nelepp, mais il épouse tellement les plaies à vif de la folie d’Hermann, arrivant sans dommage au bout du rôle, à peine mis à mal par la chanson à boire finale, qu’on rend les armes devant un tel investissement et une telle identification au rôle. Et si on a plaisir à retrouver le Tomski bien campé de Nicolai Putilin, on est quasiment comblé par l’Etelski de Ludovic Tézier, un vrai prince pour le coup, par la richesse du timbre, la noblesse du phrasé et l’élégance du jeu. Le seul Français de la distribution… et le seul qui n’ait pas à rougir de la comparaison avec ses grands devanciers russes.



Didier van Moere

 

 

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