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Avis de tempête Paris Opéra de Massy 04/17/2005 - et 23 avril 2005 (Paris) Arthur Honegger : Prélude pour «La Tempête» de Shakespeare, H. 48 A – Symphonie n° 3 «Liturgique», H. 186
Francis Poulenc : La Voix humaine
Sophie Fournier (soprano)
Orchestre national d’Ile-de-France, George Pehlivanian (direction)
Deux des plus éminentes figures du Groupe des Six étaient à l’affiche de ce programme intitulé «La Voix humaine», bien loin de l’image fantasque et superficielle qui est si souvent associée aux débuts de ces jeunes loups dans les années 1920, sous le signe des orages, y compris intérieurs, façon «tempête sous un crâne». De Tempête, justement, il était question d’emblée, avec le Prélude (1923) écrit par Honegger pour une musique de scène destinée à la pièce de Shakespeare: avec une approche déjà toute cinématographique, le compositeur livre ici une page concise et efficace, tendant à la description, avec ses effets de vent, de pluie ou de tonnerre.
Tourments intimes que ceux de l’héroïne de La Voix humaine (1958) de Poulenc, ce monodrame confiné à l’espace d’une chambre. Pieds nus et en robe noire, Sophie Fournier va et vient entre un petit canapé colonial et une chaise placée devant un guéridon sur lequel trône l’indispensable téléphone. Elle confère à son personnage la distinction et la prononciation légèrement affectée des beaux quartiers, avec une diction parfaitement intelligible, mais, du registre quasi parlé au lyrisme le plus opératique en passant par les cris, elle investit pleinement les états d’esprit que traverse «Madame». George Pehlivanian obtient de l’orchestre un accompagnement vif, acéré et raffiné, jamais complaisant, et parvient à demeurer imperturbable alors que les nombreux silences réservés par la partition permettent de percevoir assez distinctement des instruments qui répètent en coulisse…
Inspirée sinon par le théâtre, comme les deux oeuvres précédentes, du moins par un argument assez précis, la Troisième symphonie «Liturgique» (1946) d’Honegger, qui dit y avoir «figuré musicalement le combat qui se livre dans [le] coeur [de l’homme] entre l’abandon aux forces aveugles qui l’enserrent et l’instinct du bonheur, l’amour de la paix, le sentiment du refuge divin», déclenche également des ouragans sonores qui s’abattent sur l’auditeur. Le courant ne semble pas passer entre le chef et l’orchestre, confirmant l’impression laissée voici exactement un an à l’occasion de leur précédent concert ensemble (voir ici). Fort heureusement, cela ne s’entend nullement: Pehlivanian profite en effet de l’acoustique très naturelle de l’Opéra de Massy pour construire une interprétation qui, si elle est constamment animée par un souci de clarté et de pédagogie, ne s’en révèle pas moins éloquente, alternant attaques cinglantes et mise en valeur de la ligne mélodique. Après la belle Deuxième proposée en janvier dernier par Muti (voir ici), ce nouveau jalon dans la redécouverte des symphonies d’Honegger ne fait que rendre justice à un artiste qui, comme Prokofiev ou Chostakovitch que cette Troisième évoque ici ou là, n’est pas demeuré passif face aux tempêtes de son siècle.
Simon Corley
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