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Salammbô hésite entre Norma et Le Grand Macabre

Paris
Opéra Bastille
05/02/2000 -  et 5, 10, 12 et 17 mai 2000
Philippe Fénelon : Salammbô
Nora Gubisch (Salammbô), John Daszak (Mâtho), Stephen O’Mara (Narr’Havas), LeRoy Villanueva (Spendius), Franck Ferrari (Hamilcar), Kenneth Cox (Schahabarim), Ivan Matiakh (Premier ancien / Premier mercenaire), Gérard Garino (Deuxième ancien / Deuxième mercenaire), Michel Fockenoy (Troisième ancien / Troisième mercenaire), Olivier Grand (Quatrième ancien / Quatrième mercenaire), Stephen Richardson (Cinquième ancien / Cinquième mercenaire), Jean-Pierre Trevisani (Sixième ancien), Nicolas Testé (Septième ancien)
Orchestre et choeurs de l’Opéra National de Paris, George Manahan (direction)
Francesca Zambello (mise en scène)

L’Opéra National de Paris reprend ces jours-ci Salammbô, de Philippe Fénelon, commande créée à l’Opéra Bastille en 1998. L’esthétique de l’oeuvre apparaît toujours aussi problématique. Conçue pour une maison presque exclusivement dédiée au grand répertoire (la prochaine commande d’opéra de l’Opéra National de Paris, passée à Philippe Manoury, ne sera créée qu’en 2001), elle doit pouvoir s’insérer sans heurts entre une Traviata et un Pelléas et Mélisande. C’est cet aspect socio-économique de l’opéra qui semble avoir primé, tant dans le choix du livret et dans celui du metteur en scène Francesca Zambello, habituée des grosses productions un peu tape-à-l’oeil, que dans l’écriture de Fénelon.

Le tout converge en un évident manque de parti pris. Rien ne choque de prime abord dans cette oeuvre qui joue – avec un certain excès – le jeu des conventions de l’opéra. Si Salammbô fonctionne bien dramaturgiquement, c’est qu’on y trouve les schémas traditionnels de l’opéra – alternance de plans larges et de plans serrés, monologues à l’avant-scène –, jusqu’à la cohabitation sur la scène de deux scènes distinctes, dans le troisième tableau, qui n’est pas sans rappeler... La Bohème de Puccini.

L’écriture du compositeur, brillante dans le traitement des masses orchestrales, intégrant avec plus ou moins de réussite la bande sonore, n’évite pas les poncifs de l’opéra. Le récitatif en est le modèle, de loin en loin interrompu par un air ou une musique de transition. L’orchestre ponctue le chant de points d’interrogation, points de suspension et autres virgules – les éclaboussures de timbres ont remplacé les arpèges de clavecin. Fénelon joue également du naturalisme – de tempête de sable en tempête de sable, la visibilité se réduit. C’est parfois d’ailleurs un naturalisme mis en abîme : la première tempête de sable est donnée par les cordes dans l’ouverture de l’oeuvre, tandis que les suivantes proviendront pour la plupart de la bande enregistrée. La bande émettra également des gémissements transformés. La question de la représentation traverse toute l’oeuvre, en un jeu ambigu. Présenter ou représenter un opéra ? Telle pourrait être la question de Salammbô. Les citations qui envahissent le dernier acte sont-elle une manière de distanciation, rappelant aux spectateurs qu’ils assistent à un opéra, ou sont-elles toujours partie intégrante de l’oeuvre, servant à définir le règne d’Hamilcar comme celui de la terreur ?

La référence au genre opératique comme institution ne s’arrête en effet pas à la forme de l’oeuvre – elle en constitue l’un des ressorts dramatiques. Au dieu Moloch, dieu de la guerre servi par Hamilcar, est associée une musique figée, passéiste, qui doit signifier les tenants et aboutissants idéologiques d’un retour au culte de Moloch. Le troisième acte est ainsi envahi de citations, fantômes de l’ordre ancien qui peu à peu mènent la musique jusqu’à la paralysie des percussions qui concluent l’oeuvre, non sans évoquer un pas militaire. Hamilcar lui-même vocalise. Alors que la prosodie à laquelle sont soumis les autres personnages aide à l’intelligibilité de leurs paroles, les vocalises d’Hamilcar le perdent dans les brumes du son. Hamilcar en appelle au pouvoir primitif de la voix, si cher à l’opéra. Il sait qu’un contre-fa (que, malheureux baryton, il ne possède pas) vaut tous les arguments.

Philippe Fénelon semble ainsi vouloir déjouer les règles de l’opéra en les jouant. Le dernier acte de l’oeuvre, qui baigne de part en part dans l’histoire esthétique et politique de l’opéra, paraît prétendre à une critique – de l’intérieur – de la forme opératique. Dangereux pari... Pari qui échoit en partage à la mise en scène.

Or Francesca Zambello ne fait pas dans la dentelle. Sa mise en scène lente et souvent laide n’apporte rien à un livret qu’elle prend au pied de la lettre. Les gestes des personnages (ah ! la prière zen de Tanit…), leurs déplacements (l’arrivée des mercenaires au premier tableau, s’immobilisant face à la scène en grimaçant... Zambello n’avait-elle pas recouru à la même solution facile pour les révolutionnaires des Dialogues des Carmélites ?) ne servent que de remplissage. L’attirail qui envahit la scène ou tombe du ciel confine au ridicule (statues de dieux en polystyrène expansé), voire au grotesque lorsque l’immense drap blanc sensé représenter le manteau sacré de Tanit est suivi, dans sa chute, d’une flopée de paillettes.

Les interprètes de l’oeuvre sont heureusement remarquables. Mal dirigés par Zambello, les chanteurs n’en investissent pas moins leurs personnages. Nora Gubisch, rôle-titre et fil conducteur de l’oeuvre, est remarquable vocalement et parfaite dans son rôle d’enfant se découvrant femme, soudain orpheline de dieux et de pères. Tous ont une diction parfaite, facilitée par une écriture vocale qui sert l’intelligibilité. L’orchestre, mieux dirigé qu’à la création de l’oeuvre, paraît également plus convaincu, plus juste.

Le problème vient-il de ce que la mise en scène n’est pas à la hauteur de l’oeuvre, qu’elle court-circuite sa dimension critique en jouant le jeu du grand spectacle ? Le livret de Salammbô, écrit par Jean-Yves Masson en collaboration avec le compositeur, est rempli de didascalies, des didascalies naïves, indications de mise en scène – que déjà Zambello outrepasse – et psychologiques. A ces didascalies répondent sans doute les ponctuations orchestrales de Fénelon. Alors peut-être que non, que Salammbô n’est pas une critique du grand opéra de Meyerbeer. Peut-être que librettiste et compositeur croient en une possible fusion des discours à l’opéra, peut-être croient-ils que le grand opéra a encore une portée critique, peut-être qu’ils n’ont pas cherché à représenter l’opéra, et qu’ils avaient toute foi en leurs moyens.

Peut-être alors manquent-ils leur public. Salammbô ne remplacera pas dans le coeur des amateurs d’opéra une bonne vieille Norma, pas plus qu’elle n’atteint à la dimension critique du Grand Macabre de Ligeti. Elle croit trop ou trop peu en l’opéra. Salammbô erre entre deux eaux, trop complaisante pour chatouiller notre modernité, pas assez ingénue pour se faire objet de consommation culturel.



Gaëlle Plasseraud

 

 

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