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Sensibilité et fragilité : un chef d'oeuvre délicat

Strasbourg
Opéra National du Rhin
03/19/2005 -  et les 20, 22, 29* mars, 01 et 05 avril à Strasbourg, les 15 et 17 avril à Mulhouse, La Filature
Hector Berlioz : Béatrice et Bénédict
Karine Deshayes (Béatrice), Monique Zanetti (Héro), Élodie Méchain (Ursule), Gilles Ragon (Bénédict), Ivan Ludlow (Claudio), Alain Trétout (Léonato), Jérôme Varnier (Don Pedro), Jean Segani (Somarone), Chœurs de l’Opéra National du Rhin, Orchestre Symphonique de Mulhouse, Cyril Diederich (direction), Jean-Marie Villégier et Jonathan Duverger (mise en scène), Jean-Marie Abplanalp (décors), Patrice Cauchetier (costumes)



Les productions de Béatrice et Bénédict ne sont pas légion, indifférence qu’il serait simpliste d’imputer au seul manque de curiosité des programmateurs de saison. Il s’agit d’un ouvrage très attirant mais aussi très fragile. L’émotion ne peut s’y épanouir que sous réserve d’une vraie crédibilité physique des chanteurs, les voix doivent s’y dépêtrer de longs dialogues parlés qui concentrent la quasi-intégralité d’une action de toute façon fort mince, la partition d’orchestre fourmille de détails difficiles à hiérarchiser... Béatrice et Bénédict, opéra écrit, selon les dires même de Berlioz, « sur la tête d’une épingle », requiert une distribution jeune mais vocalement aguerrie (les airs sont souvent inconfortables), dont le français chanté soit clairement intelligible et qui sache bouger dans une mise en scène ni trop empruntée ni artificiellement agitée, le tout sous la supervision d’un chef raffiné mais bon meneur de jeu…Le cahier des charges est, avouons le, intimidant d’emblée.


Initiative courageuse, donc, que cette production de Jean-Marie Villégier et Jonathan Duverger, déjà bien rôdée à Lausanne puis Bordeaux avant d’être remontée à Strasbourg (par les soins de Natalie Van Parys). Visuellement le premier contact est difficile : dispositif léger (qui se révèle plus subtil ensuite), mise en place des ensembles conventionnelle et surtout pas très fouillée. Il serait intéressant que la vivacité de l’écriture chorale berliozienne puisse correspondre à une réelle effervescence des comportements individuels sur scène, sollicitant l’œil au point qu’il ne sache plus où regarder… Or on reste malheureusement assez loin du compte, surtout chez les choristes. Mais peut-être s’agit-il d’un clin d’œil délibéré au statisme des conventions lyriques d’un autre âge… La tentation d’une lecture à plusieurs niveaux se fait souvent sentir mais soit reste inaboutie soit s’impose brutalement avec une lourdeur incongrue (le basculement du final vers une évocation niaiseuse des années 1960 - Cadillac rose bonbon et uniformes militaires blancs de gala - retournement des cartes ni choquant ni vraiment convaincant). On préfèrera garder en mémoire d’autres moments, d’un spectacle souvent agréable, esthétique (jolie scène de déjeuner sur l’herbe en costumes XVIIe, parfaitement éclairée de surcroît), voire drôle (la grande scène de décrassage des prétendants masculins, ou le parapluie que s approprie Benedict, clin d’œil subit à l’agitation de Gene Kelly dans Singing in the rain…). Tout cela reste globalement à la hauteur de l’enjeu.


La réécriture des dialogues parlés par Jean-Marie Villégier n’a rien d’irrespectueux pour l’oeuvre, au contraire. Elle restitue même parfois aux échanges une certaine crudité shakespearienne que Berlioz n’avait pu conserver. Le risque évident étant de tomber dans le travers du calembour gratuit, dans un style pesant parfois trop proche de l’opérette, écueil pas toujours évité. Le manque de relief du personnage de Somarone, transformé en simple ivrogne de bonne compagnie, laisse aussi à désirer. Embardées limitées toutefois, pour une production intelligente qui laisse quelques très bons souvenirs.


Parmi ces points marquants, certainement la Béatrice chaleureuse et engagée de Karin Deshayes, dont l’air « Il m’en souvient » sonne superbement. Gilles Ragon est un amusant Benedict, en dépit d’un timbre un peu trop pointu pour un jeune premier. L’Ursule d’Elodie Mechain apporte de belles lignes grave aux ensembles féminins, compensant le relatif manque de substance de Monique Zanetti, Hero attachante mais au timbre fort menu. Les seconds rôles ne déméritent pas. Cyril Diederich veille bien à l’homogénéité des attaques de son plateau vocal, et l’Orchestre de Mulhouse se tire avec les honneurs d’une partition vétilleuse, simplement trahi par l’acoustique trop mate de la fosse. Une soirée concluante.



Laurent Barthel

 

 

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