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Une gageure qui vieillit bien

Baden-Baden
Festspielhaus
03/24/2005 -  et les 25 et 26* mars
Johann Sebastian Bach : Passion selon Saint Matthieu
John Neumeier (le Christ), Ballet de Hambourg


Il faut aujourd’hui un certain courage pour s’attaquer frontalement à la Passion selon Saint Matthieu avec un effectif instrumental et vocal lourd, même si le résultat s’avère encore payant, ce qu’ont bien montré Armin Jordan et Catherine Bolzinger à Strasbourg en ce week-end pascal. Mais en marge de ces deux concerts exemplaires, l’excursion à Baden-Baden, à soixante kilomètres de là, permettait d’assister à une gageure encore plus saisissante : une Passion selon Saint Matthieu intégrale entièrement dansée…


Le chorégraphe John Neumeier a mis ce ballet au point en 1980-81 dans une optique rigoriste conforme à l’air du temps, dans une Allemagne de l’Ouest encore blessée, d’avant la réunification, adepte d’un dépouillement moderniste faisant abstraction du passé : absence de décor, 44 danseurs vêtus de blanc et souvent pieds nus, tout juste quelques bancs noirs que l’on assemble ici ou là pour en faire une prison, un prétoire ou une croix… Tout y est focalisé sur la danse à l’état pur, dans une chorégraphie où l’on retrouve évidemment tous les ingrédients d’un «style Neumeier» immédiatement reconnaissable (attitudes de repli fermées alternant avec de brutales décharges d’énergie dépliant les corps en grands élans magnifiquement aériens, merveilleux déplacements du poids des danseurs en attitudes soudain chancelantes, d’une fragile beauté…), mouvement déclinés parfois avec trop d’insistance (impossible d’échapper, sur trois heures de ballet, à une certaine répétitivité), mais qui deviennent magiques dès que plusieurs danseurs investissent ensemble le plateau (une prodigieuse inventivité dans les portés, les entrelacements d’attitudes, l’asymétrie des mouvements…). Et il faut bien l’imagination d’un Neumeier pour habiter aussi constamment ce très long spectacle dans lequel on s’immerge sans réserve, sensible à la constante beauté des images, parfois ouvertement narratives (c’est bien d’une Passion qu’il s’agit), parfois plus allusives et méditatives, en tout cas toujours touchantes. Un ballet pas totalement abouti (dans la même veine Neumeier réussira ultérieurement un Messie de Haendel et un Magnificat de Bach encore plus exceptionnels) mais qu’il était important pour le Ballet de Hambourg de pouvoir conserver dans cette sorte de candeur originelle qui fait encore sa valeur aujourd’hui.


Pas de musiciens physiquement présents mais simplement une bande enregistrée, pour cette chorégraphie très unitaire qui tolèrerait en définitive assez mal la cohabitation avec le geste instrumental. Un enregistrement d’ailleurs quelconque, épisodiquement réchauffé par le timbre unique de Mitsuko Shirai dans les airs d’alto, alourdi par des voix masculines sans éclat (Schreier épuisé, Weikl et Grundheber rustiques), et des chœurs parfois laborieux, mais dont même les imperfections très «humaines» cadrent bien avec le propos.


À l’occasion de ces trois soirées exceptionnelles à Baden-Baden c’est encore John Neumeier lui-même qui interprétait le rôle du Christ, à plus de soixante ans, avec une souplesse et une aisance lui permettant de n’amoindrir en rien l’impact de sa conception d’ensemble, voire au contraire de l’enrichir encore de tout un faisceau de résonances, liées à l’énorme différence d’âge entre ce premier rôle grisonnant et le reste de la compagnie.


Une vision qui défie le temps, et nous renvoie utilement à l’époque pas si lointaine où l’oeuvre de Bach était encore considérée comme un patrimoine d’une dimension universelle, et pas seulement comme la simple production d’un musicien baroque et daté, parmi d’autres…



Laurent Barthel

 

 

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