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Les deux André Paris Maison de Radio France 03/19/2005 - André Caplet : Septuor pour cordes vocales et instrumentales – Conte fantastique
André Jolivet : Le Chant de Linos – Suite liturgique
Philippe Pierlot (flûte), Isabelle Moretti (harpe), Stéphane Suchanek (cor anglais, hautbois), Quatuor Parisii: Arnaud Vallin, Jean-Michel Berrette (violons), Dominique Lobet (alto), Jean-Philippe Martignoni (violoncelle)
Maîtrise de Radio France, Toni Ramon (direction)
Le week-end de concerts gratuits «Figures françaises» organisé par Radio France se poursuivait avec un programme alternant partitions d’André Caplet et d’André Jolivet, relevant tantôt d’une inspiration «pure» ou «abstraite», tantôt d’une veine plus littéraire (poème symphonique ou musique de scène). Relativement inattendu, le rapprochement des deux André révèle peut-être des affinités plus mystiques que musicales.
Si, disparu à l’âge de quarante-sept ans, Caplet a laissé peu d’œuvres, aucune d’entre elles ne semble négligeable, à commencer par Le Mystère de Jésus ou Epiphanie. Ecrit pour une formation à la fois originale (trois voix de femme – remplacées ici par la Maîtrise de Radio France – et quatuor) et dans l’air du temps (le Deuxième quatuor de Schönberg est antérieur d’une année), le Septuor pour cordes vocales et instrumentales (1909) installe, quinze minutes durant, un climat radieux et contemplatif. Proche collaborateur de Debussy, qu’il aida dans divers travaux d’édition, de révision ou d’orchestration, Caplet se souvient sans doute de Sirènes et adopte un langage proche de celui de l’auteur de Pelléas. Malheureusement, le choix d’un chœur d’enfants, aux attaques en outre parfois dures et imprécises, nuit à l’équilibre avec le Quatuor Parisii, dont la belle finesse est cantonnée dans un rôle subsidiaire.
Dans son Chant de Linos (1944), qui fait appel à une formation ô combien «française» et, pour tout dire, «debussyste» (flûte, harpe et trio à cordes), Jolivet recourt aux modes grecs, comme Messiaen – un autre membre du groupe «Jeune France» – mais aussi comme Maurice Emmanuel, l’un des grands oubliés, au demeurant, de ces trois jours de «Figures». Moins radical que Mana, les Incantations ou même les Danses rituelles entendues la veille, ce Chant de Linos (onze minutes) met en valeur l’un des instruments favoris du compositeur, la flûte, dont la partie virtuose, destinée à un concours du Conservatoire de Paris, est admirablement tenue par Philippe Pierlot, premier solo à l’Orchestre national de France.
Debussy, sur le tard, s’était intéressé à Edgar Poe, et plus précisément à La Chute de la maison Usher, pour un opéra qui devait rester à l’état d’esquisses. Quelques années plus tôt, Caplet, pour son Conte fantastique (1908), «poème symphonique pour harpe chromatique principale et orchestre» (à cordes), fondé sur Le Masque de la mort rouge, avait lui-même été attiré par l’écrivain américain, en même temps que par cette éphémère «harpe chromatique» de Pleyel, dont l’apparition venait d’être saluée par Debussy (Danses) puis Ravel (Introduction et allegro). Menant une narration d’une durée de plus d’un quart d’heure et riche en effets inquiétants, le soliste occupe ici une position centrale, avantagé par le choix de la version de chambre (avec quatuor) réalisée en 1923. Isabelle Moretti, jouant par cœur, y déploie un talent exceptionnel.
Henri Ghéon fut à l’origine du Mystère de Jésus de Caplet, mais ce fut aussi pour l’une de ses pièces (Le Mystère de la Visitation) que Jolivet fut sollicité, écrivant une musique de scène dont il tira sa Suite liturgique (1942). L’effectif instrumental réduit était ici conservé: harpe, violoncelle et, surtout, l’excellent cor anglais (prenant le hautbois) de Stéphane Suchanek (soliste à l’Orchestre philharmonique de Radio France), suggérant un Orient de carte postale (Prélude, Interlude) ou un hautbois d’amour sorti d’une cantate de Bach (Magnificat). Mais la partie vocale, d’ordinaire confiée à une soprano ou à un ténor, revenait à la Maîtrise de Radio France, chantant à l’unisson sous la direction de son chef, Toni Ramon: avec un même climat religieux et une même tendance à l’incantation, difficile de ne pas penser, ici ou là, aux Trois petites liturgies de la présence divine de Messiaen, créées deux ans plus tard. Autant la substitution s’était avérée problématique dans le Septuor de Caplet, autant l’intervention de la Maîtrise aura nettement convaincu dans cette Suite liturgique, dont certains des mouvements échoient d’ailleurs seulement à une partie de la chorale, voire à une soliste, remarquable dans le Salve Regina.
Simon Corley
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