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De l'enfer du pouvoir Montreal Salle Wilfrid-Pelletier 03/12/2005 - et les 17, 19, 21 et 23 mars 2005
George Frideric Handel : Agrippina
Lyne Fortin (Agrippine), Krisztina Szabo (Néron), Phillip Addis (Pallas), Michelle Sutton (Narcisse), Étienne Dupuis (Lesbus), Daniel Taylor (Othon), Karina Gauvin (Poppée), Kevin Burdette (Claude)
Jacques Leblanc (mise en scène)
John Conklin (décors)
Jess Goldstein (costumes)
Matthieu Gourd (éclairages)
Les Violons du Roy
Bernard Labadie (direction)
Pour le public attentif à la redécouverte et à la réappropriation du répertoire opératique baroque, et plus spécialement encore dans le cas des œuvres de Handel, Agrippina est probablement une des grandes laissées-pour-compte, à l’ombre des deux incontournables trilogies de maturité que sont Cesare/Rodelinda/Tamerlano et Orlando/Ariodante/Alcina. De tous les ouvrages cités, c’est en elle qu’on retrouve cependant une cohérence dramatique, une puissance théâtrale et une richesse psychologique spécialement frappantes. En cela, la qualité du livret y est pour beaucoup, de même que le choix du sujet en lui-même, terreau extraordinairement fertile sur le plan humain, et remarquablement propice à la contemplation de la décadence de l’être perverti, corrompu par le contact ou l’exercice du pouvoir. Ici, la scénographie à la fois imposante et économe imaginée par John Conklin, traduit à merveille l’enchaînement progressif d’une succession de tableaux menant inéluctablement au resserrement de l’étau, périodiquement palpable autour de chaque protagoniste, puis finalement synonyme de gouffre pour les machinations du personnage principal, couronnées de succès au prix d’une cruelle humiliation. Certains préféreront probablement un traitement scénique plus traditionnel, mais force est de reconnaître qu’en l’absence de véritable tradition dans le genre, ce qu’on a sous les yeux fonctionne admirablement et foisonne de bonnes idées, dont les références ponctuelles au diktat des mass media à notre époque.
La direction d’acteurs de Jacques Leblanc nous vaut une Poppée assumant résolument son rôle de pivot de l’intrigue, tâche dont s’acquitte avec panache la remarquable Karina Gauvin qui, à ses débuts officiels sur cette scène, remporte un triomphe théâtral et vocal complet. On ne peut finalement que reconnaître en Poppée la véritable dominatrice de cet inextricable tissu politico-affectif, et comprendre que l’Histoire allait lui donner son heure de gloire… Lyne Fortin campe aux côtés de sa compatriote une impératrice troublante dans cette lutte qu’elle mène contre elle-même, dans la détérioration (dans la recherche ?) de son identité individuelle, quoique principalement constante dans son refus de l’authenticité comme dans l’expression de sa maternité. La voix est toutefois plus blanche que ce à quoi l’on s’attendait, globalement l’interprétation perd de l’impact malgré une tessiture semblant idéale et une technique parfaitement rompue à l’écriture du rôle.
Kevin Burdette en empereur Claude se joue d’un timbre ingrat et donne un ton justement subversif à la moindre de ses interventions, nous prouvant que s’il abandonne finalement le trône, c’est bien plus par choix que par obligation. Après trois heures de coups bas, qui voudrait effectivement boire à nouveau de cette coupe empoisonnée ? Daniel Taylor est superbe d’unité de timbre et de phrasé dans sa grande scène du deuxième acte, Kristina Szabo, plus anonyme malgré une caractérisation indéniablement efficace, et Michelle Sutton, tout comme le débutant Philippe Addis, parfaitement risible en fonctionnaire mécréant (et très peu viril !). Issu tout comme Addis de l’Atelier lyrique de l’Opéra, Étienne Dupuis projette une belle voix de baryton que l’on se plaît à découvrir dans ce genre d’emploi.
Dans la fosse, Bernard Labadie anime ses Violons du Roy avec le brio qu’on lui connaît et honore sa réputation de chef handélien passionné. On se doit toutefois de le répéter, la salle Wilfrid-Pelletier ne saurait en aucun cas constituer un vaisseau viable pour les productions d’opéras antérieurs à Mozart (et encore), et il est malheureusement à douter qu’un certain public dont l’on souhaite avec raison qu’il apprivoise et apprenne à aimer les opéras du caro Sassone soit inévitablement conquis dans les circonstances.
Dans un autre ordre d’idées, l’Opéra annonçait la semaine dernière les détails de sa programmation 2005-2006. À noter, les débuts in loco d’Hasmik Papian en Norma, d’Anthony Dean Griffey en Titus, d’Emma Bell en Vitellia et de Monica Groop en Sextus, le retour attendu de Richard Margison en Radamès, une production de l’Oedipus Rex de Stravinsky signée François Girard, une Étoile de Chabrier confiée à une équipe de jeunes talents locaux prometteurs, de même qu’un Turn of the Screw réalisé en collaboration avec l’Atelier lyrique de la maison et l’École Nationale de Théâtre. On apprenait aussi que le contrat de Bernard Labadie venait d’être prolongé jusqu’en 2010. À la lumière des progrès considérables accomplis en deux saisons de règne, on ne peut que s’en réjouir.
Renaud Loranger
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