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Premier jet Paris Théâtre des Champs-Elysées 03/07/2005 - et 9* mars 2005 Ludwig van Beethoven : Leonore, opus 72
Endrik Wottrich (Florestan), Franzita Whelan (Leonore/Fidelio), Robert Bork (Don Fernando), Manfred Hemm (Rocco), Franz Hawlata (Don Pizarro), Martina Jankova (Marzelline), Matthias Klink (Jaquino)
Chœur du Théâtre des Champs-Elysées, Walter Zeh (chef de chœur), Orchestre de chambre Mahler, Marc Minkowski (direction)
Le Théâtre des Champs-Elysées salue, pour deux représentations de concert, avec dialogues parlés et surtitrage, le bicentenaire de la création de Leonore, titre par lequel on désigne usuellement les deux premiers états (1805 puis 1806) de Fidelio (1814). Publiée en 1967, enregistrée en studio dès 1976 et mise en scène à de nombreuses reprises depuis une dizaine d’années, y compris à Paris et à Londres (voir ici), la partition originale de Beethoven ne constitue plus réellement une rareté. Surtout, elle appelle une inévitable et passionnante comparaison avec la version «définitive» d’une œuvre qui a suscité, depuis l’origine, les réserves de certains commentateurs.
Structuré en trois actes, le livret met sans doute davantage l’accent sur le «triomphe de l’amour conjugal» et sur le souverain éclairé que celui de 1814, plus abstrait et moins mélodramatique. Quant à la musique, si elle offre deux numéros supplémentaires – un trio Marzelline/Jaquino/Rocco et un duo Leonore/Marzelline (avec violon et violoncelle obligés), ultérieurement retirés – elle se caractérise notamment par le moindre développement des Finales (actes II et III), qui semblent aussi spontanés qu’inaboutis au regard des importantes modifications que le compositeur devait y apporter, et par des différences – souvent radicales (ainsi, la Marche introductive du deuxième acte, provenant au demeurant de la reprise de 1806, a t elle été entièrement réécrite) – pour certains numéros.
Remplaçant Alexia Cousin, qui vient d’annoncer qu’elle mettait fin à sa carrière, Franzita Whelan était déjà Leonore dans la production londonienne susmentionnée. Handicapée, au sein d’une distribution à l’excellente diction, par sa prononciation, en particulier dans les dialogues parlés, la soprano irlandaise donne le sentiment de rester sur son quant à soi et de ne pas toujours parvenir à s’épanouir pleinement, même si elle maîtrise globalement les difficultés d’une partie sans doute encore plus redoutable que dans Fidelio. Dans le grand air de Florestan au début du troisième acte, Endrik Wottrich paraît au bord de l’essoufflement, cultivant un style excessivement wagnérien et souffrant d’un vibrato qui tourne parfois au chevrotement, mais la suite de sa prestation offre heureusement davantage d’aisance et de souplesse.
Dès lors, Franz Hawlata et Martina Jankova ne s’en détachent que de façon plus éclatante: le premier confirme ses formidables qualités vocales en Don Pizarro, cinglant, cynique et insinuant sans pour autant verser dans la caricature; la seconde s’impose en Marzelline par une technique et une musicalité impeccables, avec un art du phrasé tout à fait enchanteur. A ses côtés, le Jaquino de Matthias Klink a peut-être une voix trop forte pour le rôle, tandis que Manfred Hemm campe un Rocco haut en couleur, hélas affecté d’une justesse aléatoire dès qu’il quitte son superbe registre grave. Si la version de 1805 avantage le personnage de Marzelline, Don Fernando, en revanche, est légèrement en retrait: dommage, car l’intervention finale de Robert Bork, remarquablement chantée, est superbe d’autorité, de noblesse et de finesse.
A la tête du (jeune) Orchestre de chambre Mahler – au sein duquel on a plaisir à reconnaître, pour l’occasion, des «invités» issus des formations parisiennes, que ce soit Magali Mosnier, soliste à l’Orchestre philharmonique de Radio France (ici en seconde flûte luxueusement distribuée), ou Marc Trenel, premier basson à l’Orchestre de Paris – Marc Minkowski, qui maintient constamment l’équilibre entre chanteurs, chœur et orchestre, opte pour une direction très contrastée et dramatique. Comme animé du désir de convaincre le public que Leonore ne le cède en rien à Fidelio, le chef français rend justice aux fulgurances de ce premier jet, sans en arrondir les angles, et ce, dès une ouverture (Leonore II) délibérément narrative, qui prend le tour d’un véritable poème symphonique. Le Quatuor du premier acte, le chœur des prisonniers (Finale du deuxième acte) ou l’introduction du troisième acte, abordés dans un mouvement très retenu, sont travaillés dans le même esprit. Ailleurs, ce sont des tempi globalement vifs et des attaques incisives qui prédominent, sans souci de cultiver des sonorités flatteuses et en tirant parti d’un effectif restreint (trente-neuf cordes) qui n’en démontre pas moins la puissance dont il sait faire preuve.
Simon Corley
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