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Somptueux Schubert! Paris Théâtre des Champs-Elysées 02/16/2005 - Franz Schubert : Die schöne Müllerin Ian Bostridge (ténor) - Mitsuko Uchida (piano) Après avoir exploré avec succès le Winterreise au disque et en concert, le jeune ténor britannique Ian Bostridge s’aventure avec autant de bonheur dans Die schöne Müllerin. Que dire d’une interprétation si précise, si inspirée? si ce n’est qu’elle s’appuie sur un timbre exceptionnel paré de mille couleurs et de mille nuances.
Tout au long de ce cycle, Ian Bostridge et Mitsuko Uchida vont raconter une histoire, celle d’un amoureux désespéré qui s’adresse au ruisseau, à la nature. Le chanteur met sa voix au service du texte et de la musique, par exemple, en imitant l’écoulement du ruisseau, au début de “Des Müllers Blumen”, par un legato d’une grande élégance. Dans les deux difficiles Lieder “Der Jäger” et “Eifersucht und Stolz”, il crée une véritable scène d’opéra et il n’est pas besoin de décor pour exprimer la douleur du personnage ainsi que sa colère. Chaque mot est étudié avec une grande attention pour le faire ressortir: dans le premier Lied “Das Wandern”, il accentue particulièrement les mots “die Räder” pour tenter de restituer le bruits des roues ainsi que la dureté des “r” en allemand. Du très grand art!
Le chanteur réfléchit aux sentiments qui étreignent le personnage et c’est perceptible, par exemple, dans “Danksagung an den Bach” où il semble s’arrêter sur le dernier mot des phrases interrogatives “geschickt”, “berückt”, en faisant évidemment ressortir les occlusives vélaires. Dans “Der Neugierige”, les silences prolongés entre les premières phrases deviennent éloquents.
Ian Bostridge approfondit au plus haut niveau le lien qui existe entre le mot et la musique et il propose une lecture terrifiante, humaine et musicale de ce cycle de Schubert. Il fait revivre dans sa voix cette oeuvre qui, parfois, est considérée comme moins prenante que Winterreise ou Schwangesang. Mais ici il n’en est rien car le chanteur apporte la légèreté nécessaire mais aussi la colère et la douleur très profonde de cet amoureux éconduit par une meunière. Dans le premier Lied, on perçoit un meunier heureux de vivre, joyeux, etc… mais dès le septième Lied “Ungeduld” on sent l’impatience, l’anxiété monter chez lui grâce à la tension que commence à mettre le chanteur dans son phrasé. La douleur entre ensuite peu à peu chez le meunier à partir de “Mein!” pour se transformer en une terrible colère, mêlée de mépris, dans “Die böse Farbe”: les différents “grün” sont chantés avec force et détermination. Dans le dernier Lied, une fois la déception passée, le meunier s’exhorte à continuer son chemin avec des “hinweg” sonores.
La voix de Ian Bostridge possède de nombreuses teintes et elle se meut avec une facilité confondante. Dans le second Lied “Wohin”, il débute avec une voix très claire, voluptueuse et peu à peu sa voix perd de sa puissance et il termine avec un mezza-voce superbe sur “es singen wohl die Nixen”. Il laisse très souvent mourir les notes comme dans le sixième Lied “Der Neugierige” où l’atmosphère devient pesante et poignante tant l’interprétation est forte et dense.
L’interprétation de Ian Bostridge s’appuie incontestablement sur le piano savoureux de Mitsuko Uchida: la pianiste vit avec lui toutes les émotions du héros, chantant avec lui. C’est véritablement un duo entre le chant et le piano.
Les deux artistes ont littéralement tenu en haleine pendant plus d’une heure la salle du Théâtre des Champs-Elysées et un tel concert ne laisse pas indifférent. Tant de recherche dans l’interprétation, tant d’intelligence musicale et poétique forcent l’admiration et invitent à continuer à découvrir ce chanteur inépuisable.
A noter:
- Ian Bostridge et Mitsuko Uchida viennent de sortir l’enregistrement de Die schöne Müllerin, chez Emi.
Manon Ardouin
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