About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Trahison

Paris
Théâtre du Châtelet
01/24/2005 -  et 25, 27* et 28 janvier 2005
Toru Takemitsu : Requiem pour cordes – November steps – Family tree – Stanza I – My Way of life

Georgette Dee (diseuse), Christine Oesterlein (actrice), Mélanie Fouché (récitante), Karen Rettinghaus (soprano), Dwayne Croft (baryton)
Yukio Tanaka (biwa), Kifu Mitsuhashi (shakuhachi), Yasunori Yamaguchi (percussion), Daisuke Suzuki (guitare)
Chœur Accentus, Laurence Equilbey (chef de chœur), Deutsches Sinfonie-Orchester Berlin, Kent Nagano (direction)
Peter Mussbach (mise en scène), Erich Wonder (décors), Eiko Ishioka (costumes), Alexander Koppelmann (lumières), Andras Siebold, Axel Bott (dramaturgie), Etienne Bultingaire (création sonore)


L’œuvre de Toru Takemitsu (1930-1996) restant encore largement terra incognita pour le public français, c’est avec un préjugé favorable que pouvait être accueillie la coproduction du Théâtre du Châtelet et de la Staastsoper (Unter den Linden) de Berlin, consistant en une soirée regroupant cinq de ses partitions sous la direction de Kent Nagano. Force est cependant de constater que ce projet, présenté comme une manière de réaliser, selon la tradition japonaise, les dernières volontés du défunt, relève malheureusement de la trahison. Certes, le compositeur japonais a, comme tant d’autres, caressé le rêve de l’opéra, ayant même trouvé un livret à cette fin, mais, sous le titre My Way of life, le spectacle ne se fonde bien entendu ni sur ce livret, ni même sur une musique qu’il aurait laissée inachevée.


Et suffit-il de mettre un orchestre – le Deutsches Sinfonie-Orchester de Berlin – dans la fosse pour parler d’opéra? Car la trame imaginée par le metteur en scène Peter Mussbach, au demeurant difficile à comprendre sans l’aide du programme, semble artificiellement plaquée sur les cinq pièces de Takemitsu, auxquelles s’ajoutent des préludes, interludes ou postludes reprenant soit d’autres morceaux du compositeur, soit un matériau très varié, assez largement étranger à son univers esthétique, sous la forme de bruitages mais aussi de chansons: Parlez-moi d’amour, dont l’importance pour le jeune Takemitsu n’est pas nécessairement connue de tous, ou I left my heart in San Francisco, dont il faut sans doute espérer qu’il ne s’agit pas seulement d’une allusion à la Californie natale de Nagano. Dans des décors minimalistes d’Erich Wonder, le plateau est occupé tour à tour par des acteurs apparaissant et disparaissant par des trappes, mimant des strangulations et dirigés à la façon de Bob Wilson, par des teletubbies, par des teddy-bears traversant la scène d’un pas mal assuré, par une immense tête de poupon renfrogné aux oreilles décollées et par des girls sorties du Crazy horse: face à la fragilité d’une musique souvent lente et contemplative, procédant par petites touches et se contentant de suggérer plutôt que de décrire, ce déploiement vulgaire et criard s’apparente au contresens.


Comble de malchance, le seul espoir restant, celui d’un beau concert monographique, représentatif de l’intérêt de Takemitsu pour tous les styles («occidental», traditionnel, électronique, cinématographique, …), est également déçu: non seulement les musiques additionnelles tirées de certaines de ses autres partitions – notamment les deux versions du Visage de l’autre, valse tirée du film Tanin no Kao – font l’objet d’arrangements qui les dénaturent profondément, mais les cinq grandes œuvres données intégralement, couvrant fort judicieusement, de 1957 à 1992, l’essentiel de son activité créatrice, ne bénéficient pas d’une mise en valeur satisfaisante.


En effet, comment admettre qu’un musicien si minutieux quant au traitement du son puisse voir son travail grossièrement enlaidi par des bruits parasites, certes admirablement spatialisés, en particulier par les ricanements et grognements amplifiés des acteurs? Dans un tel contexte, le lyrisme pudique du Requiem pour cordes (1957) puis l’ascèse webernienne de November steps (1967) – dont le biwa et le shakuhachi solistes se retrouvent d’ailleurs sur scène, en costume traditionnel et augmentés d’une sonorisation – peinent à se détacher. Bien mis en valeur par la récitante Mélanie Fouché, Family tree (1992), au raffinement orchestral exacerbé, souffre hélas de l’approche excessivement hollywoodienne de Nagano. Stanza I (1969), au langage et à l’effectif (voix, guitare, piano, célesta, harpe et vibraphone) bouleziens, est mieux servi, avec l’intervention de Karen Rettinghaus. Enfin, dans My Way of life (1990), dont le spectacle tire son nom, le baryton Dwayne Croft, au timbre et à la diction superbes, a encore moins besoin d’un micro que la soprano allemande: chef et chanteur privilégient l’hédonisme sonore, d’autant que la partie chorale est confiée à Accentus, d’un moelleux toujours aussi confondant. On tend ici vers la comédie musicale: la voie – ou la voix? – est libre pour I left my heart in San Francisco


Assez clairsemé – mais il est vrai que l’offre, en ce jeudi soir, était pléthorique (Orchestre national de France, Orchestre de Paris, Orchestre du Théâtre national de l’Opéra de Paris, Philharmonie de Stockholm, …) – le public, malgré quelques enthousiastes, réagit froidement et, en l’absence du metteur en scène, ce sont les acteurs ou figurants qui essuient quelques huées.



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com