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Spectacle total

Paris
Théâtre Le Trianon
11/11/2004 -  et 27, 28 août (Utrecht), 8, 9 (Avignon), 12 (Le Havre), 15, 16, 17 (Pontoise), 20 (Vitry-sur-Seine) octobre, 12 (Paris) et 18 (Metz) novembre 2004
Molière/Jean-Baptiste Lully : Le Bourgeois gentilhomme, LWV 43

Olivier Martin-Salvan (Monsieur Jourdain), Nicolas Vial (Madame Jourdain), Benjamin Lazar (Cléonte, Le maître de philosophie), Jean-Denis Monory (Covielle, Le maître tailleur), Alexandra Rübner (Nicole, Le maître de musique), Julien Lubek (Le maître à danser), Lorenzo Charoy (Dorante, Le maître d’armes), Anne-Guersande Ledoux (Dorimène), Louise Moaty (Lucile)
Bernard Arrieta (Un chanteur, L’homme du bel air, Un Espagnol), François-Nicolas Geslot (Premier musicien, La vieille bourgeoise babillarde, Un Espagnol, Un Poitevin), Serge Goubioud (Un chanteur, Un Gascon, Un Poitevin), Claire Lefilliâtre (Une musicienne, La femme du bel air, L’Italienne), Arnaud Marzorati (L’Elève, Le Muphti, Le vieux bourgeois babillard), Lisandro Nesis (Un chanteur, Un Gascon, Un Espagnol), Arnaud Richard (Le Suisse, L’Italien)
Caroline Ducrest, Julien Lubek, Cécile Roussat, Flora Sans, Gudrun Skamletz, Akiko Veaux (danseurs)
Musica florea, Marek Stryncl (direction), Le poème harmonique, Vincent Dumestre (direction artistique)
Benjamin Lazar (mise en scène), Cécile Roussat (chorégraphie), Adeline Caron (scénographie), Alain Blanchot (costumes), Christophe Naillet (lumières)


Le premier festival organisé par Abeille musique se poursuit au Théâtre Le Trianon par deux représentations du Bourgeois gentilhomme (1670) de Molière et Lully, coproduites par Le poème harmonique, par la Fondation Royaumont en partenariat avec la ville de Pontoise, l’Apostrophe (scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise) et le Festival baroque de Pontoise, par l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse, par le Festival de musique ancienne d’Utrecht et par l’Arsenal de Metz.


Autour d’une comédie-ballet où les disciplines (musique, danse, armes et philosophie) entretiennent de plaisantes querelles de préséance, c’est un spectacle total qui est proposé, réalisant cette sorte de fusion idéale que de rares productions d’opéra parviennent à atteindre: comment ne pas penser ici au miraculeux Atys de W. Christie et J.-M. Villégier? Rien de surprenant lorsque l’on constate que le metteur en scène tient deux rôles, que la chorégraphe fait partie des six danseurs, que l’un de ces danseurs est également acteur et que les chanteurs se révèlent d’excellents comédiens: cette polyvalence contribue à former une véritable troupe, sans doute de petites dimensions par rapport à ce que furent les fastes versaillais, mais adaptée à ce Trianon… parisien et, surtout, ô combien motivée et dynamique.


On doit ce succès au pari lancé par un trio composé d’un metteur en scène, d’une chorégraphe et d’un directeur musical: avec l’audace de la jeunesse (une moyenne d’âge de moins de vingt-neuf ans), ils ont adopté un parti pris radical de reconstitution. Car le spectacle mérite d’autant plus le qualificatif de «total» qu’il restitue l’intégralité non seulement du texte mais aussi des «airs» et des danses, qui constituaient, dans l’esprit des initiateurs de cette comédie-ballet, un tout indissociable.


Du coup, la soirée dure plus de quatre heures, entracte compris, à la lueur d’une rampe de bougies placée au devant de la scène et, par moments, de chandeliers suspendus: ces éclairages, dus à Christophe Naillet, suggèrent, à la façon de Rembrandt, un clair-obscur aux effets magiques, rehaussé par le décor (unique) de panneaux de bois sculpté, à la patine chargée de reflets d’or et de cuivre. De même, la sobre scénographie d’Adeline Caron se contente d’éléments simples et réalistes, par exemple la chaise à porteurs du Bourgeois qui fait en même temps office de fauteuil. Plus fantaisistes et spirituels pour les danseurs, les costumes d’Alain Blanchot s’inscrivent sagement dans le Grand siècle. Si le volet musical de cette reconstitution ne surprend plus à l’époque des Christie, Rousset et Niquet, la chorégraphie de Cécile Roussat détonne déjà davantage: avec seulement cinq danseuses et un danseur, qui ne cessent de se mêler aux comédiens et chanteurs, elle imprègne l’ensemble par sa vivacité et sa malice, culminant dans les chansons à boire du quatrième acte.


Mais ce sont avant tout la déclamation et la mise en scène qui bousculent les habitudes les plus établies. Benjamin Lazar a opté pour une prononciation déstabilisante, mélange d’accents méridional et québécois, avec «h» aspirés et «r» bien roulés, où l’on entend «la caisse» pour «laquais», «sexe primaire» pour «s’exprimer», «minces» pour «mains», «habite» pour «habit», «fi» pour «fils», «séance» pour «céans», «paladingue» pour «paladin» et «souhait» pour «soi». L’énonciation est clairement détachée, entrecoupée de silences, ce qui participe à une impression de lenteur. La direction d’acteurs se limite délibérément à deux dimensions, recourant peu à la profondeur du plateau, les personnages faisant le plus souvent face au public. Mais ce qui pourrait devenir raide, statique et lassant est transfiguré par un jeu très animé, voire outré, avec force gestes et mimiques inspirés du mime et de la commedia dell’arte.


Cela étant, même si les spectateurs rient et applaudissent presque comme au boulevard, la pièce ne tourne jamais à la farce: Lazar incarne lui-même un maître de philosophie tremblant, voûté et nasillard, d’une vérité et d’une drôlerie qui ne trouvent leur pareil que dans le Covielle souple et subtil de Jean-Denis Monory, impayable en truchement mielleux et insidieux. Monsieur Jourdain (Olivier Martin-Salvan), plus touchant que grotesque, ne verse pas non plus dans l’excès. Curieusement, ce sont les caractères d’ordinaire plus fades qui font l’objet d’une surcharge interprétative: Dorante et Dorimène, mais surtout Madame Jourdain, tournée en dérision par Nicolas Vial, qui reprend ici la tradition de la création, où le rôle avait été confié à un acteur. A l’opposé, le maître de musique – comme dans l’Ariane à Naxos de R. Strauss… conçue à l’origine comme un prologue au Bourgeois – est une femme, Alexandra Rübner, qui campe par ailleurs une rustique Nicole.


La musique, discrète au cours des trois premiers actes, devient essentielle dans les deux derniers, avec la cérémonie turque – où Lully tenait lui-même la partie du Muphti – et le ballet des nations final. Dans la fosse, Vincent Dumestre dirige, parfois depuis sa guitare, vingt-quatre musiciens, regroupant son Poème harmonique ainsi que les cordes tchèques de Musica florea, dont le directeur est le violoncelliste Marek Stryncl. On voudra bien attribuer à la facture ancienne les quelques flottements perceptibles dans les pupitres de bois, mais ils n’en rendent pas moins globalement justice à une partition inventive et colorée. Les sept solistes, d’une tenue vocale et stylistique irréprochable, n’appellent que des éloges, avec une mention plus particulière pour Claire Lefilliâtre et François-Nicolas Geslot.


Au regard d’une telle réussite, peu importe dès lors quel fut Le Bourgeois gentilhomme que vit Louis XIV ou que souhaitèrent Molière et Lully, tant les choix de Lazar, Dumestre et Roussat se justifient par eux-mêmes. On se réjouit donc qu’Arte ainsi que l’éditeur Alpha aient mis en boîte cette étape parisienne de la tournée, respectivement pour une retransmission télévisée dans le courant de l’année 2005 et en vue de la parution d’un disque vidéo.



Simon Corley

 

 

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