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King Arthur revisité par Thomas Hengelbrock : une proposition constructive. Baden-Baden Festspielhaus 10/02/2004 - Henry Purcell : King Arthur Graham F. Valentine (récitant), Constanze Backes, Andrea Brown, Simone Kermes, Laurie Reviol (sopranos), Benoît Haller, Henning Kaiser (ténors), Manfred Bittner, Johannes Mannov, Marek Rzepka (basses), Balthasar-Neumann-Chor, Balthasar-Neumann-Ensemble, Thomas Hengelbrock (direction).
Thomas Hengelbrock (mise en scène et concept), Verena Weiss (chorégraphie). La musique du King Arthur d’Henry Purcell, aussi efficace soit-elle, est incapable de se suffire à elle-même. Si on ne lui accorde pas un minimum de «liant» dramatique, elle ne ressemblera jamais à autre chose qu’une mosaïque d’intermèdes et d’airs dépareillés. Assez logiquement Jürgen Flimm et Nikolaus Harnoncourt ont donc tenté il y a trois mois de faire cohabiter sur la scène du Felsenreitschule de Salzbourg l’intégralité de la musique de Purcell avec l’essentiel de la pièce parlée originale de John Dryden, obtenant certes un authentique «semi-opéra», mais aussi un spectacle long et fastidieux, en dépit d’une scénographie luxueuse. Un peu plus ancienne, la «mise en espace» proposée par Thomas Hengelbrock (production légère montée au cours de la Triennale de la Ruhr 2003, puis invitée à présent par le Festival de Baden-Baden) s’avère beaucoup plus astucieuse, voire convaincante.
Au lieu d’une tentative de reconstruction historique, l’option choisie relèverait plutôt du bricolage intuitif, mais judicieux. Thomas Hengelbrock ne recule devant aucun expédient pour faire tenir son spectacle debout, et réussit souvent. Impossible de ne pas voir les ficelles du montage (elles sont conséquentes), mais difficile aussi de ne pas se laisser prendre par le charme de ce patchwork, qui tient tout à la fois du spectacle son et lumière, de la version de concert hypertrophiée, voire de la comédie-ballet. L’idée la plus brillante restant d’avoir confié l’intégralité des parties parlées à Graham F. Valentine, récitant dont le timbre protéiforme lui permet de déclamer tous les rôles en même temps. Car ce diable d’homme ne fait pas que lire le texte de Dryden : il est vraiment la pièce à lui seul, enchaînant à volonté toutes les répliques, en adoptant pour chaque personnage une voix différente. Placé dans un coin du plateau, mis en relief par un simple faisceau de projecteur, ce guide à la prononciation anglaise d’une clarté enviable soutient constamment l’intérêt. Impossible de vivre les longues séquences qui lui sont dévolues comme des temps morts, d’autant plus qu’elles ont été très habilement (et utilement) abrégées.
L’autre rôle-vedette est assumé par le maître d’œuvre du spectacle lui-même, Thomas Hengelbrock, bien en vue devant son petit ensemble d’instruments anciens, aligné sur un praticable surélevé derrière les chanteurs. Les musiciens commencent à jouer une bonne dizaine de minutes avant le début réel du spectacle, en boucle, pendant que le public achève de s’installer. Et ils s’octroieront aussi le dernier mot de la soirée, répétant longuement la ritournelle de l’air de Vénus (en éteignant leurs pupitres un à un, comme dans la Symphonie « Les Adieux » de Haydn), laissant la musique rejoindre le silence à mesure que le Festspielhaus disparaît lui aussi progressivement dans l’obscurité.
Quant au chœur de solistes, il occupe un espace relativement réduit à l’avant-scène. La partition n’attribuant pas forcément les parties chantées à des personnages précis, l’option choisie ici est de traiter les intervenants vocaux comme un groupe interchangeable, en simples tenues de ville, assurant tour à tour processions rituelles, scènes de liesse populaire et sortilèges magiques, et ne s’aidant pour cela que de quelques accessoires rudimentaires : lampes de poche, chaises, voire draps de lit. Ici c’est l’imagination de la chorégraphe Verena Weiss qui est au pouvoir, apprivoisant des gestes quotidiens pour créer des ambiances fascinantes par leur humanité fragile ou dérisoire, jamais ridicule. Spectacle très policé tout en restant original, qui ne provoque pas, et sait aussi récupérer des idées ailleurs quand elles sont bonnes (Hengelbrock a vu beaucoup de mises en scène de Bob Wilson et Achim Freyer, influences qu’il ne cherche d’ailleurs même pas à camoufler). Un bel exemple de ce qu’un professionnel de la musique peut apporter aujourd’hui au monde déboussolé de la mise en scène d’opéra : une mise en images sobre, sans véritable génie sans doute, mais qui fonctionne bien.
Musicalement, le Balthasar-Neumann-Ensemble démontre clairement sa compétence (beaucoup moins évidente quand il aborde imprudemment des musiques plus tardives), délivrant de Purcell une image cohérente, parfois un peu trop énergique rythmiquement (au risque de tomber dans une curieuse atmosphère «folk»… problème très habituel des soirées baroques dirigées par Thomas Hengelbrock). Les chanteurs sont jeunes, disponibles, savent se mouvoir activement sur une scène (la chorégraphe va d’ailleurs jusqu’à exploiter judicieusement leurs éventuelles maladresses), et ont tous des voix intéressantes. Le très célèbre Air du froid s’encombre comme à Salzbourg de grelottements trop envahissants, mais plus subtils et variés. Et si le Duo des sirènes, toujours très attendu, manque ici d'un peu de magie, les ensembles choraux sont en revanche d’une clarté digne de la subtilité harmonique de l’écriture de Purcell.
Pas vraiment le «semi-opéra» attendu, donc, mais certainement une tentative réussie d’offrir de King Arthur une version présentable en public. C’est déjà beaucoup. Laurent Barthel
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