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Ariane prend la ligne 8 Paris Opéra Bastille 10/18/2004 - et 21, 26, 29 octobre, 1er, 4, 8, 11 et 14 novembre 2004 Richard Strauss : Ariane à Naxos, opus 60
Graham F. Valentine (Le majordome), Olaf Bär (Le maître de musique), Sophie Koch (Le compositeur), Jon Villars/Janez Lotric (Le ténor, Bacchus), Mihajlo Arsenski (Un officier), Xavier Mas (La maître à danser), Walter Zeh (Le perruquier), Yuri Kissin (Un laquais), Lubov Petrova (Zerbinette), Solveig Kringelborn (La primadonna, Ariane), Stéphane Degout (Arlequin), Daniel Norman (Scaramouche), Alexander Vinogradov (Truffaldin), Ales Briscein (Brighella), Ekaterina Siurina (Naïade), Svetlana Lifar (Dryade), Sine Bundgaard (L’Echo)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières), Agathe Mélinand (dramaturgie et collaboration à la mise en scène)
Accueillie en novembre dernier à Garnier (voir ici), l’Ariane à Naxos mise en scène par Laurent Pelly rejoint cette saison le cadre nécessairement moins intime de Bastille, et ce pour neuf représentations.
Remise au goût du jour par une production vive et colorée, Ariane n’aura pas été dépaysée en prenant la ligne 8. Les décors de Chantal Thomas revendiquent en effet un caractère résolument contemporain: l’opulent chalet bavarois de la première partie est réduit, pour l’opéra proprement dit, à l’état de chantier squatté par la fille de Minos devenue SDF. Mais, après tout, les personnages du prologue ne cessent de pester contre Naxos, cette «île déserte» et désolée. Outre le second degré voulu par Strauss et Hofmannsthal eux-mêmes, mêlant opera seria et opera buffa, une nouvelle distanciation est ainsi introduite, jouant paradoxalement le jeu de l’opéra dans le prologue et exposant ensuite l’envers du décor.
Le fond de scène s’enrichit, ici ou là, d’une vision maritime ou des éclairages simples mais efficaces de Joël Adam. Pelly, outre une direction d’acteurs dynamique, dans la veine de la commedia dell’arte, signe des costumes d’où ressortent le bikini et le paréo orange et vert pomme d’une Zerbinette à la chevelure rousse ainsi que les chemises hawaïennes et bermudas bariolés de ses acolytes, GM mâtinés de Marx Brothers, assumant sans complexe leur beaufitude et déployant des gestes frénétiquement exagérés.
Musicalement, cette Ariane a en revanche perdu quelques-uns de ses compagnons de route, et non des moindres (outre le rôle-titre, Zerbinette, le maître de musique et le chef d’orchestre), de telle sorte que même si la précédente distribution avait pleinement convaincu, son renouvellement substantiel présentait l’attrait de la nouveauté.
Natalie Dessay devait être, comme l’an passé, l’un des atouts maîtres de cette reprise, mais – «pour des raisons médicales qui l’obligent à renoncer à ses engagements pour une durée de quelques semaines» et dont on souhaite bien évidemment qu’elles ne l’empêchent pas de revenir très vite au plus haut niveau, comme elle l’avait précisément fait dans ce rôle de Zerbinette à l’automne dernier pour son retour sur les planches parisiennes après une opération des cordes vocales – elle a été contrainte de céder sa place à Lubov Petrova, qui ne devait à l’origine assurer que les deux derniers spectacles. Abattage incontestable, aigus faciles, manière de donner vie à la moindre vocalise, la soprano russe aura-t-elle fait autant chavirer les cœurs que la française? A ses côtés, l’Arlequin subtil de Stéphane Degout, au timbre riche et à la diction impeccable, domine sans peine le quatuor des soupirants comiques.
C’est Solveig Kringelborn qui endosse désormais la robe noire d’Ariane: à l’aise sur toute la tessiture, la soprano norvégienne délivre un chant naturel, aux phrasés merveilleusement souples. D’une stature impressionnante en Bacchus bleu nuit, Jon Villars possède toujours la puissance requise pour le rôle, mais au prix d’un vibrato important et d’une émission parfois trop contrainte.
Incarnant un compositeur juvénile et impétueux, Sophie Koch, avec force et passion, confirme ses immenses qualités. Son maître de musique n’est autre que le formidable Olaf Bär, qui s’impose sans peine pour ses débuts à l’Opéra de Paris. On sera cependant en droit de ne pas apprécier le majordome (rôle parlé) de Graham F. Valentine, ricanant et nasillard comme un Frankenstein de série B. Le trio des nymphes (Ekaterina Siurina, Svetlana Lifar et Sine Bundgaard), bien que relooké en ménagère années 1950, et le maître à danser (Xavier Mas) complètent un plateau d’excellent niveau.
Dans la fosse, Philippe Jordan a remplacé Pinchas Steinberg: si l’Orchestre de l’Opéra national de Paris demeure un instrument d’une remarquable finesse, d’autant plus qu’il est ici en formation réduite, la direction du jeune chef suisse, à laquelle on ne pourra certes reprocher de ne pas être attentive aux chanteurs, bride excessivement les musiciens, souvent trop raide et carrée pour laisser s’épanouir la sensualité de la partition. Mais rien n’interdit d’espérer qu’elle se libère au fur et à mesure des soirées à venir.
Simon Corley
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