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Janus Paris Maison de Radio France 10/08/2004 - Wilhelm Furtwängler : Ouverture en mi bémol
Bedrich Smetana : Quatuor n° 1 «Z meho zivota» (orchestration Manfred Honeck)
Alexander von Zemlinsky : Symphonische Gesänge, opus 20
Paul Hindemith : Symphonie «Mathis der Maler»
Martin Gantner (baryton)
Orchestre philharmonique de Radio France, Manfred Honeck (direction)
Le deuxième des désormais traditionnels week-ends de concerts gratuits organisés cette saison par Radio France est sous-titré «Figures de maestro». Pour ouvrir cette série, l’Autrichien Manfred Honeck et l’Orchestre philharmonique de Radio France rendaient hommage à ces Janus musicaux, compositeurs qui s’illustrèrent par ailleurs dans la direction d’orchestre (Smetana, Zemlinsky, Hindemith) ou chef qui se consacra tout au long de sa vie à l’écriture (Furtwängler), tant il est vrai que ceux dont la postérité a retenu (ou retiendra) le nom à ces deux titres à la fois, tels Mahler, Bernstein ou Boulez, appartiennent à un cercle très restreint.
Parmi les chefs connus par ailleurs pour leur activité créatrice – on pourra entendre au cours de week-end des partitions de Mitropoulos, Kubelik ou Salonen – Wilhelm Furtwängler n’est pas le plus à plaindre, car ses imposants Concerto symphonique, Seconde sonate pour violon et piano ou Deuxième symphonie ont acquis une relative notoriété. Tel n’est toutefois pas le cas de l’Ouverture en mi bémol (1899). Due à un jeune homme de treize ans, elle rappelle l’Ouverture tragique de Brahms tant par son langage que par ses proportions (onze minutes) ou par son effectif (quoique avec seulement deux cors, mais avec un cor anglais renforçant les hautbois). Cela étant, le thème curieusement orientalisant confié au cor anglais suggère déjà l’esprit du Scherzo de la Deuxième symphonie, achevée un demi-siècle plus tard.
Pas encore très en doigts dans cette pièce qui relève essentiellement de la curiosité, les cordes prennent toute leur ampleur dans l’adaptation du Premier quatuor «De ma vie» (1876) de Smetana que Honeck leur a destinée. En 1940, George Szell – encore un autre chef qui avait plusieurs cordes à son arc – en avait déjà proposé une instrumentation destinée à un orchestre de type romantique. Il est vrai que le propos autobiographique du Tchèque, admirateur de Liszt et auteur, comme lui, de nombreux poèmes symphoniques, semble appeler l’orchestre. Difficile, du coup, de ne pas penser aux Sérénades pour cordes presque contemporaines de Dvorak (1875), bien sûr, mais aussi de Tchaïkovski (1880). Avec soixante cordes disposées à la viennoise (seconds violons à droite et contrebasses au fond), Honeck joue naturellement sur la puissance, voire l’opulence, par rapport à la version originale, n’hésitant pas à souligner les accents de façon plus puissante que subtile, tout en parvenant en même temps à donner au discours un caractère âpre, expressif et dramatique.
Avec Zemlinsky et Hindemith, honnis par le régime hitlérien, la seconde partie s’inscrivait, par coïncidence, dans la thématique d’une exposition et d’un cycle de la Cité de la musique intitulés «Le Troisième Reich et la musique», qu’une seconde formation de l’Orchestre philharmonique inaugurait le même soir. Ironie du sort, les Chants symphoniques (1929) de Zemlinsky sont fondés sur la poésie afro-américaine, quelques années avant la mise à l’index de la «musique nègre» par les censeurs nazis et l’exil du compositeur autrichien aux Etats-Unis. Dans ces sept brèves mélodies, la révolte exprimée par les textes est filtrée, avec une grande économie de moyens, par l’ironie d’un Mahler (l’instrumentarium comprend d’ailleurs une mandoline) et la distanciation d’un Weill. Si son timbre n’est pas très caractérisé, le baryton allemand Martin Gantner, sans effusions superflues, fait valoir de rares qualités de diction et de restitution des poèmes.
Pour conclure, retour à la case Furtwängler, qui créa la Symphonie «Mathis le peintre» (1934) de Hindemith, après l’avoir dûment imposée aux autorités, dans un geste tellement emblématique des enjeux politiques et culturels de l’époque qu’on pourra la réentendre, interprétée par l’Orchestre national de France, dès le 14 octobre dans le cadre du cycle susmentionné de la Cité de la musique. Pourtant, le trublion des années vingt étant devenu un musicien que l’on n’allait pas tarder de taxer d’académisme et même si le sujet de Mathis le peintre (la liberté de l’artiste) avait de quoi irriter le pouvoir en place, difficile de trouver musique plus ancrée dans la tradition allemande, avec ses chorals, ses développements fugués et son style contrapuntique. En bon chef d’opéra, Honeck privilégie l’intensité et l’efficacité, clarifiant soigneusement les différents plans sonores. Au sein d’un Orchestre philharmonique plus solide qu’en première partie, l’œuvre met plus particulièrement en valeur la flûte fine et précise de Magali Mosnier, couronnée le mois dernier d’un premier prix au concours de l’ARD à Munich.
Simon Corley
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