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Peut mieux faire

Salzburg
Festpielhaus
08/20/2004 -  et 08/22/2004

Wolfgang Amadeus Mozart : Cosi fan tutte
Tamar Iveri (Fiordiligi), Elina Garanca (Dorabella), Helen Donath (Despina), Saimir Pirgu (Ferrando), Nicola Ulivieri (Guglielmo), Thomas Allen (Don Alfonso), Orchestre Philharmonique de Vienne, Chœur de l’Opéra de Vienne, Philippe Jordan (direction)
Ursel et Karl-Ernst Herrmann (mise en scène)

Richard Strauss : Der Rosenkavalier
Adrianne Pieczonka (la Maréchale), Angelika Kirchschlager (Octavian), Miah Persson (Sophie), Franz Grundheber (Faninal), Franz Hawlata (Ochs), Ingrid Kaiserfeld (Marianne), Jeffrey Francis (Valzacchi), Elena Batoukova (Annina), Florian Boesch (le commissaire de police), Piotr Beczala (un Ténor italien), Orchestre Philharmonique de Vienne, Chœur de l’ Opéra de Vienne, Semyon Bychkov (direction)
Robert Carsen (mise en scène)


Même si cette édition 2004 du Festival de Salzbourg comportait quelques bonnes surprises, le programme était de mémoire de festivalier un des plus faibles de ces dernières années. Il faut y voir l’impact de la fermeture pour travaux de la salle du Kleines Festpielhaus, les incertitudes liées au départ annoncé de Peter Ruzicka en 2007 ou tout simplement la suite des tensions inévitables entre direction du Festival, un public hétérogène et une génération d’artistes et de créateurs en renouvellement.


Il n’y a plus cette année que cinq productions dont deux reprises. C’est bien moins que lors des dernières saisons et très insuffisant. Peut-on vraiment en outre proposer de mettre au même niveau la calamiteuse reprise de L’Enlèvement au Sérail assurée par l’Orchestre local, sympathique mais modeste, du Mozarteum ou la nouvelle production de Die Tote Stadt avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne dans la fosse ? Comment peut-on accepter que chef et rôle-titre du Chevalier à la Rose (et probablement une bonne partie de l’effectif orchestral) changent au milieu des représentations avec tout ce que cela suppose comme raccords et de légèreté au niveau des répétitions ? A cela s’ajoute une programmation de concerts moins riche, où l’on ne peut que constater l’absence d’habitués comme Pierre Boulez, Riccardo Chailly, Zubin Mehta, Claudio Abbado, James Levine, Christian Thielemann, Mariss Jansons, Lorin Maazel …. ainsi que la part plus modeste consentie à la musique contemporaine (même si György Kurtag a donné avec son épouse un jubilatoire récital à quatre mains de ses œuvres).


Afin de rôder les opéras qui vont être proposés pour l’année Mozart en 2006, le Festival avait choisi de reprendre le Cosi fan tutte présenté lors du dernier Festival de Pâques. Le concept dramatique d'Ursel et Karl-Ernst Herrmann est que loin d’être des victimes de leurs fiancés, Fiordiligi et Dorabella sont au courant du pari avec Don Alfonso et ne sont pas dupes même si le jeu échappe à leur contrôle vers la fin. Cette relecture astucieuse marche bien dans les passages plus comiques du premier acte mais s’avère quelque peu inadaptée au second acte, où la faiblesse du concept ainsi que la limite de la direction d’acteurs ne sont que trop contredites par la musique si subtile et si profonde de Mozart. Comme souvent avec les Herrmann, décor et éclairages sont de toute beauté, mais cela ne suffit pas. La musique est en revanche magistralement servie. Les quatre jeunes chanteurs sont merveilleusement équilibrés, et bien différentiés par rapport à leurs glorieux aînés. Thomas Allen a un peu perdu de sa ligne de chant légendaire, mais il sait imposer une superbe présence scénique. Helen Donath, inoubliable Sophie pour Solti ou Eva chez Karajan, est en grande forme : une technique, un style irréprochables et un timbre qui a traversé les années sans être le moins altéré. Saimir Pirgu en Ferrando et surtout Elina Garanca, révélation vocale de ce spectacle, en Dorabella sont superbes. Mais le succès musical vient, comme souvent cela doit être le cas chez Mozart, d’un travail d’ensemble qui prime sur la performance des individualités. Cette magie ne serait possible si l’ensemble n’était pas sous la direction d’un grand chef. Les Parisiens avaient déjà pu apprécier les qualités de Philippe Jordan en tant que chef d’opéra au Châtelet pour la reprise de Hänsel et Gretel en 2000 (voir ici). Cette représentation confirme à quel point il est un des plus talentueux chefs actuels. L’orchestre est léger, nerveux, aéré et offre une leçon d’accompagnement des chanteurs. On n’a pas dirigé Mozart à Salzbourg avec autant de magie depuis le même Cosi de Riccardo Muti où le Don Giovanni de Herbert von Karajan, mais à la différence de ces chefs qui ont en tête un modèle d’une autre génération, Jordan a retenu la leçon des musiciens baroques et allège son orchestre sans pour autant tomber dans certains travers de ces musiciens qui cherchent à faire systématiquement table rase du passée. Voici le Mozart du XXIe siècle qui fait la synthèse des styles des dernières années.


Ce sont des caractéristiques symétriques que l’on retrouve avec le Chevalier à la rose. Avec cette production, Peter Ruzicka a manqué une occasion de faire taire ses détracteurs et de marquer le Festival avec l'une de ces représentations dont on parle encore durant des années. Comme pour le récent Capriccio qu'il a mis en scène à Paris (voir ici), un des concepts de base de Robert Carsen a été de déplacer l’œuvre de Strauss et de Hofmannsthal à leur époque. Ochs arrive chez la Maréchale avec sa troupe que l’on verra venir en grande pompe « reluquer » Sophie au deuxième acte puis, lors d’une dernière image saisissante, tomber au champ d’honneur à la fin de l’opéra. Faninal est montré sans ambiguïté comme le marchand d’armes qu’il est, trop heureux de placer sa fille pour s’ouvrir plus de portes en haut lieu. C’est naturellement Sigmund Freud qui soigne en bon voisin Ochs après sa blessure du deuxième acte et qui ensuite prend des notes pendant que son patient délire sur son agresseur. Quand au troisième acte, il ne se déroule pas dans l'une de ces « Heurige » qui fait le charme des hauteurs de Vienne, mais bel et bien dans un bordel dont l’activité est montrée on ne peut plus crûment. Même s’il prend des libertés par rapport à l’histoire, il n’y a rien de forcé dans ce que propose le metteur en scène canadien. Il respecte la lettre de l’œuvre et éclaire son esprit de façon radicale. Sa direction d’acteurs est exemplaire ainsi que de sa capacité à utiliser toutes les possibilités de la salle du Grosses Festpielhaus que seuls ont eue en leur temps un Wernicke ou un Ponnelle.


Si seulement la partie musicale était à la hauteur. Certes, Miah Persson est une Sophie exquise, Franz Grundheber un Faninal tout simplement idéal et le jeune Florian Boesch, fils du Papagno de la fameuse Flûte enchantée du tandem Levine-Ponnelle, plein de promesses. La maréchale d’Adrianne Pieczonka est certes irréprochable vocalement mais elle reste très en dehors de son personnage. Elle donne une impression de bonne santé et de pleine forme sans réussir à émouvoir alors qu’il s’agit d’un des plus beaux et des plus profonds rôles du répertoire de soprano. Au moins est-elle adéquate alors qu’Angelika Kirchschlager et Franz Hawlata sont de cruelles déceptions. La mezzo autrichienne bénéficie d’un fort capital de sympathie auprès de son public, mais son Octavian est très pâle vocalement, à des lieues de ce qu’en faisait en leurs temps Brigitte Fassbaender avec Kleiber, Agnes Baltsa avec Karajan ou plus près de nous Susan Graham. Elle a expliqué à plusieurs magazines autrichiens que c’était Gérard Mortier qui avait bloqué ses débuts au Festival, mais peut-être est-ce lui qui avait raison. Franz Hawlata a un certain abattage qui convient bien au personnage mais c’est un baryton-basse à qui fait défaut une bonne partie de la tessiture du personnage et dont les notes ne résonnent pas. Il n’est tout simplement pas à sa place. Mais tout cela n’est rien par rapport à la direction calamiteuse de Semyon Bychkov. Alors que Philippe Jordan accompagnait à la perfection ses chanteurs en prenant soin de ne jamais les couvrir, Bychkov confond l’opéra de Strauss avec la Pathétique de Tchaïkovski et couvre ses chanteurs sans aucun égard pour eux. Les cuivres sont bruyants et vulgaires, le phrasé haché: l’Orchestre Philharmonique de Vienne, si subtil dans Mozart, est simplement méconnaissable. Dans la même salle avec le même orchestre, Karajan avait démontré comment tenir une ligne straussienne sans sacrifier à la beauté et à la profondeur du son de l’orchestre et en faisant en sorte que tous les chanteurs soient audibles sans avoir à faire d’effort. Ruzicka voulait que ce soit Giuseppe Sinopoli qui assure la majorité des œuvres straussiennes et semble-t-il avait essayé de convaincre Carlos Kleiber. Ces deux musiciens nous ont quittés, mais il y a quand même une dizaine de chefs actuels qui auraient pu faire mieux que Bychkov. Il faut impérativement redonner cette production avec une distribution et un chef dignes de ce chef-d’œuvre.


Il semble que ce soit Jürgen Flimm, actuel directeur de la partie théâtrale du Festival qui soit appelé à remplacer Ruzicka en 2007, secondé par Peter Schmidl, clarinette solo du Philharmonique de Vienne. Pour conserver son aura et sa réputation et plus prosaïquement pour faire accepter à son public les tarifs pratiqués, il devra faire preuve d’une rigueur artistique bien plus grande et surtout devra s’assurer que Salzbourg prétende à nouveau à de plus hautes ambitions.




Antoine Leboyer

 

 

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