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Festival Messiaen

La Grave
Eglise de l'Assomption
07/23/2004 -  jusqu'au 1er août 2004
Festival Messiaen

Un festival consacré à Messiaen et les Amériques se devait de programmer Des canyons aux étoiles. En faisant appel à Marek Janowski, les organisateurs avaient vraiment mis tous les atouts de leur côté. Le temps même était propice, sur cette place de Villar d’Arène où le regard pouvait aller de l’église aux montagnes. Force est de convenir que le résultat a été décevant. L’Orchestre Poitou-Charentes n’est pas en cause : tous les musiciens se sont acquittés de leur tâche avec un professionnalisme digne de tous les éloges. Mais on n’a eu, là où on attendait une interprétation, qu’une lecture, sans âme, sans ferveur – un comble, pour Messiaen, le chef semblant surtout soucieux de battre les mesures, tandis que Jean-François Heisser, au piano, se contentait d’égrener ses notes dans la plus grande indifférence, comme s’il s’acquittait d’un devoir. On a finalement surtout écouté le corniste André Cazalet (superbe « Cedar Breaks et le don de crainte ») et les percussionnistes François Petit et Daniel Ciampolini, les seuls à se donner vraiment à la musique qu’ils jouaient (27 juillet).
Deux autres œuvres de Messiaen étaient très attendues : les Visions de l’Amen par Florent Boffard et Claire Désert (29 juillet), ainsi que Harawi par Salomé Haller et Jay Gottlieb (31 juillet). Dans les deux cas, l’interprétation n’a pas échappé à un certain décalage. Décalage entre les deux instruments dans les Visions de l’Amen, le piano aux couleurs raffinées de Florent Boffard ne trouvant pas dans celui de Claire Désert, monochrome et parfois dur, son parfait alter ego. Décalage entre la voix et le piano dans Harawi, Salomé Haller, qui avait déjà chanté l’oeuvre en 2000 accompagnée par Yvonne Loriod elle-même, n’ayant corrigé aucun de ses défauts : l’articulation reste défectueuse, l’émission droite, la technique peu sûre avec des moments où l’accident, dans les aigus, a été évité de justesse. Messiaen, qui créa Harawi avec la wagnérienne Marcelle Bunlet, l’avait lui-même précisé : le cycle est destiné à un grand soprano dramatique, ce que n’est nullement la jeune chanteuse qui peut être excellente ailleurs et a été ici, une seconde fois, victime de sa témérité. Comment en effet sortir vainqueur de l’affrontement avec un accompagnement aussi orchestral, surtout quand il est assuré par l’extraordinaire Jay Gottlieb ? C’est finalement lui qu’on a surtout écouté, magnifique de puissance et de subtilité, déployant un éventail de couleurs presque infini. Cela, à vrai dire, n’a surpris personne : il avait donné la veille un récital de musique américaine – sa spécialité – qui a peut-être été le moment le plus mémorable du festival, non seulement parce qu’il a dominé les difficultés parfois redoutables de son programme mais parce qu’il y a fait preuve d’une imagination dont on n’a que de rares exemples aujourd’hui. Un programme permettant de se faire une assez bonne idée de la musique d’outre-Atlantique, de l’iconoclaste – en son temps – John Cage au répétitif John Adams. On était aussi curieux de Ragamalika (2001) de Gerald Levinson (élève de Messiaen, né en 1951, présent au festival comme Gilles Tremblay), une œuvre récente témoignant d’un grand sens des couleurs et des rythmes, où passe l’ombre de Debussy (la troisième partie est intitulée « En blanc et noir »), plus intéressante que Bronze music pour deux pianos, donné la veille en création française par Florent Boffard et Claire Désert : très marquée par le gamelan balinais, parfumée de pentatonisme, très confortable pour les partisans de la tonalité, la partition, assez curieusement, rappelle parfois le Concerto pour deux pianos de Poulenc. Les deux pianistes avaient aussi interprété Celestial Mechanics, pour piano amplifié à quatre mains de Goerge Crumb (né en 1929), qui fait jouer autant sur les cordes que sur les touches, le tourneur de pages étant même invité à la rescousse : des effets de bruitage essentiellement, qu’on commence par trouver intéressants et qu’on finit par trouver lassants, sans doute parce que l’œuvre, avec ses quatre parties, est trop longue.
Autre concert de musique américaine, celui du Quatuor Meije, fondé par Hae-Sun Kang à la demande du festival, remarquable ensemble dont on a pu une fois de plus vérifier l’homogénéité et le dévouement à la musique de notre temps. Cela dit, le Quatuor de John Cage (1950), avec ses interminables tenues, semble assez daté aujourd’hui, et on reste sceptique sur Different Trains, pour quatuor et bande, de Steve Reich (1988). L’idée était séduisante, avec cette insertion de témoignages enregistrés (en Amérique avant la guerre, en Europe pendant la guerre, puis après la guerre) et la reprise par les instruments des intonations des paroles. Mais là encore on ne peut s’empêcher de penser que le compositeur pu faire plus court. On n’en reste pas moins très admiratif devant l’interprétation du Quatuor Meije. C’est finalement la création française de Croissant, de Gilles Tremblay, qui a le plus retenu l’attention dans la mesure où les effets sonores ne sont jamais gratuits mais parfaitement intégrés à un ensemble très pensé, où le compositeur canadien a semblé plus libre, plus lyrique que dans certaines autres pages (30 juillet).
On marquera enfin d’une pierre blanche le concert donné par Marc Coppey et ses élèves du Conservatoire de Paris dans la belle église du Chazelet. Une Première Suite de Bach d’abord, remarquable par la concentration du jeu, la rondeur chaleureuse de la sonorité et la noblesse de l’interprétation. Les Bachianas Brasileras n°1 et 5 de Villa-Lobos ont permis aux jeunes solistes de déployer tout leur talent et de montrer, sous la houlette tutélaire de leur maître, leur capacité à former un ensemble exemplaire d’homogénéité, accompagnant, dans la Cinquième, le soprano techniquement irréprochable mais encore un peu vert de la jeune Japonaise Kaoli Isshiki. On a plutôt aimé la longue plainte pour violoncelle seul qu’est Cèdres en voiles (1989) d’un Gilles Tremblay là aussi assez lyrique, mais c’est le Chant de Nyandarua pour quatre violoncelles (1985) de Jean-Louis Florentz, récemment disparu, partition inspirée par cette Afrique où il a si souvent puisé son inspiration, qui a le plus ému, par l’intensité de son lyrisme et la beauté de ses mélodies : une œuvre où tout, comme toujours chez cet indépendant viscéralement hostile à l’embrigadement des chapelles, quelles qu’elles soient, n’est que chant de l’âme, bien digne d’être rejouée en bis (31 juillet).
Le festival Messiaen sera l’année prochaine consacré au groupe Jeune France, fondé en 1936. L’occasion d’entendre évidemment des œuvres de jeunesse du compositeur de Saint-François d’Assise, mais aussi de célébrer le centenaire de la naissance d’un des musiciens français les plus scandaleusement oubliés qui soit : André Jolivet.



Didier van Moere

 

 

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