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Tonalité ibérique

Prades
Eglise d’Olette et Abbaye Saint-Michel de Cuxà
08/07/2004 -  
Eglise d’Olette, 18 heures
Astor Piazzolla : Tangos (arrangements Vladimir Mendelssohn) (+)
Luis de Freitas Branco : Sonate pour violon et piano n° 1 (#)
Emmanuel Nunes : Einspielung 2 (*)
Heitor Villa-Lobos : Bachiana brasileira n° 1 (extraits) (&)

Andras Adorjan (+) (flûte), Michel Lethiec (+) (clarinette), Gil Sharon (+ #), Christian Altenburger (+) (violon), Hartmut Rohde (+) (alto), Damien Ventula (+ &), Alain Meunier (*), étudiants de l’Académie européenne de musique (&) (violoncelle), Wolfgang Güttler (+) (contrebasse), Denis Weber (+#) (piano), Vladimir Mendelssohn (+) (direction)


Abbaye Saint-Michel de Cuxà, 21 heures
Luigi Boccherini : Quintette «La musica notturna delle strade di Madrid», opus 30 n° 6, G. 324 (*)
Enrique Granados : Trio avec piano, opus 50 (+)
Joaquin Turina : La Oracion del torero, opus 34 (#)
Antonio Soler : Sonate en ré mineur (&)
Mateo Albéniz : Sonate en ré majeur (&)
Isaac Albéniz : Asturias, extrait de la Suite espagnole, opus 47 n° 5 (&)
Manuel de Falla : Tombeau de Debussy (&) - Danse rituelle du feu extraite de L’Amour sorcier (&) - Concerto pour clavecin (§)
Pablo Casals : Le Chant des oiseaux (^)

Andras Adorjan (§) (flûte), Alexeï Ogrintchouk (§) (hautbois), Michel Lethiec (§) (clarinette), Gil Sharon (+), Boris Garlitsky (§) (violon), Arto Noras (*), Alain Meunier (+), Philippe Muller (§), Damien Ventula (^) (violoncelle), Jean-Patrice Brosse (& §) (clavecin), Lydia Wong (+) (piano), Quatuor Michelangelo (*): Mihaela Martin, Stephan Picard (violon), Nobuko Imaï (alto), Frans Helmerson (violoncelle), Quatuor Talich (# ^): Jan Talich, Petr Macecek (violon), Vladimir Bukac (alto), Petr Pause (violoncelle)


Poursuivant son périple dans l’Union européenne à vingt-cinq, le Festival Pablo Casals faisait étape dans la péninsule ibérique, saluant successivement le Portugal à Olette - et, au-delà, deux grands pays d’Amérique latine - puis l’Espagne à Saint-Michel de Cuxà.


1. Cinéma permanent


Cette fin d’après-midi consacrée pour l’essentiel à la musique lusophone aura été obérée par les insuffisances d’une organisation non seulement dépassée par son succès - l’affluence était telle qu’il manquait des chaises - ainsi que par les contraintes liées à des répétitions tardives - le public n’a pu prendre place que cinq minutes après l’heure prévue pour le début du concert, ce qui n’a pas été sans provoquer diverses réactions - mais aussi incapable d’assurer un minimum d’ordre à l’entrée et à l’intérieur de l’église: porte grinçant et claquant au gré des passages de spectateurs ou de visiteurs qui circulent ensuite dans les allées, déplacements incessants d’un photographe arrogant et, comble de malchance, arrivée, démarrage et sifflement du train jaune, dont la voie se situe en contrebas...


On ne tentera pas de trouver un rapport entre le Portugal et l’Argentin Astor Piazzolla, le principal étant que Vladimir Mendelssohn, arrangeur d’un jour, et les huit musiciens qu’il dirigeait aient pris plaisir à jouer deux de ses Tangos. Les auditeurs, quant à eux, n’y trouvèrent pas nécessairement leur compte, l’acoustique ayant transformé le second en un joyeux capharnaüm d’ou émerge la clarinette volontairement criarde de Michel Lethiec.


Figure centrale de la musique portugaise, Luis de Freitas Branco (1890-1955) - son frère cadet Pedro a par ailleurs fait une grande carrière de chef d’orchestre - a laissé deux Sonates pour violon et piano. C’est - malgré l’absence de précision du programme sur ce point - la Première (1907) de ces deux sonates, due à un jeune homme de dix-sept ans, qui avait été choisie. En quatre (et non trois, comme l’indiquait le programme) mouvements d’une durée totale de vingt-cinq minutes, elle rappelle très précisément le bouillonnement désordonné et les influences contradictoires qui s’exerçaient au même moment sur les premières œuvres pour violon et piano de Martinu, né la même année que Freitas Branco: César Franck (le thème initial de l’Andantino non troppo moderato et son traitement cyclique évoquent sa Sonate pour violon et piano), Richard Strauss (le ton héroïque et certaines tournures harmoniques du dernier mouvement) mais aussi des éléments populaires (un Allegretto giocoso guilleret). De doux épanchements lyriques et quelques maladresses touchantes confèrent à cette sonate un délicieux charme suranné, mis en valeur par l’archet sensible de Gil Sharon et le piano solide de Denis Weber.


Einspielung 2 (1980) d’Emmanuel Nunes se rattache aux grandes fresques pour violoncelle solo, depuis la Sonate de Kodaly jusqu’à la Sequenza XIV de Berio. Formée de brèves sections, la pièce impose à l’exécutant un quart d’heure de défis sans cesse renouvelés, avec de fréquents changements de registres, le souci d’une écriture polyphonique, le recours à toutes les ressources techniques de l’instrument et une complexité rythmique délibérée: Alain Meunier, qui en fut le créateur, y déploie une autorité et un engagement physique que la réverbération fait sonner de manière particulièrement impressionnante.


Un salut au Brésil se justifiait bien sûr dans cette rencontre avec le Portugal, surtout pour présenter Damien Ventula et sept élèves de l’Académie européenne de musique - dont la classe de violoncelle est assurée, excusez du peu, par Helmerson, Meunier, Muller et Noras - dans la Bachiana brasileira n° 1 (1930) de Villa-Lobos. Leur générosité et leur enthousiasme communicatif auront toutefois été gâchés par le fait qu’on ait jugé bon, sans le moindre commencement d’explication, de ne pas en donner le troisième et dernier mouvement.


2. Avec un peu d’Espagne autour


Pas une place de libre, une fois de plus, à Saint-Michel de Cuxa: l’un des moments phares de cette cinquante-troisième édition s’annonçait en effet. Et ce n’était que justice, puisqu’il s’agissait du traditionnel hommage au créateur du festival, Pablo Casals, au travers du volet espagnol du tour d’horizon européen que la programmation propose cette année. «L’heure espagnole», donc, et ce à tous les sens de l’expression, puisque les nombreux changements de plateau et les interminables réglages des caméras de télévision qui immortalisaient l’événement pour la chaîne Mezzo auront prolongé la soirée jusque peu avant minuit.


Mais en fait d’heure espagnole, ce fut plutôt l’auberge espagnole, entre une première partie certes sympathique, mais un peu légère et, surtout, fort peu espagnole, et une seconde partie où, entre quelques lueurs de musicalité, la perplexité le disputait à la consternation.


Avec ses plaisantes imitations (guitare, violoneux, mélodies arabisantes) et ses onomatopées sonores dans la descendance des Quatre saisons de Vivaldi, le Quintette «La musica notturna delle strade di Madrid» (1780) de Boccherini fournissait une joyeuse entrée en matière, servie avec humour et précision par le Quatuor Michelangelo renforcé par Arto Noras au second violoncelle.


Point de carte postale, en revanche, dans le Trio avec piano (1894) de Granados, dont les allusions ou couleurs hispanisantes demeurent fort discrètes. En revanche, cette partition de grande ampleur (quatre mouvements de près d’une demi-heure) réalise une surprenante synthèse de divers éléments que le futur auteur des Goyescas, alors âgé de vingt-sept ans, avait déjà parfaitement assimilés: le romantisme allemand (Mendelssohn - Scherzetto aérien - et Schumann, voire Brahms), la délicatesse fauréenne, la neurasthénie d’un Tchaïkovski et l’ingénuité d’un Grieg (Andante con molta espressione, pièce de genre à la limite de la mièvrerie). Cette mélancolie tendre et un rien complaisante, si elle interrompt un temps, sous la forme d’une réminiscence cyclique, le déroulement de l’énergique danse de l’Allegro molto final, n’aura toutefois pas le dernier mot. Gil Sharon, Alain Meunier et Lydia Wong s’attachent à démontrer qu’il n’aura pas été inutile d’exhumer cette rareté.


En seconde partie, avec La Oracion del torero (1925) de Turina, on se rapproche d’une Espagne authentique: noblesse altière, fière élégance, souplesse féline. Et dire que c’est un quatuor tchèque qui est à l’ouvrage! Car sans forcer sur la corde sensible, les Talich interprètent avec bonheur cette brève «prière» originellement destinée à un quatuor de... luths.


Sous les murmures admiratifs, le clavecin - copie d’un instrument français d’après Pascal Taskin (1769) - fait alors son entrée. Jean-Patrice Brosse avait concocté un mini-récital astucieusement conçu, conduisant au fil de la chronologie et des morceaux, au Concerto pour clavecin de Falla: d’abord une Sonate en ré mineur du padre Antonio Soler puis une Sonate en ré majeur du Basque Mateo Albéniz (1755-1831, a priori sans aucun rapport avec Isaac Albéniz), que l’on aurait parfaitement pu attribuer toutes deux - l’une avec ses frottements harmoniques, l’autre avec ses fanfares et ses rythmes entraînants - à Scarlatti, un Italien, qui, à l’image de Boccherini, fit carrière dans la péninsule ibérique.


Suivaient trois adaptations pour clavecin: Asturias, le célèbre cinquième mouvement de la Suite espagnole (1886) pour piano d’Isaac Albéniz, puis deux pièces de Falla, le Tombeau de Debussy (1920), qui existe à la fois dans des versions pour guitare et pour piano, et la Danse rituelle du feu extraite de L’Amour sorcier (1916), qui a notamment été réduite pour le piano par l’auteur lui-même. L’exercice est tour à tour révélateur, certaines tournures trouvant un écho dans la finesse et la vivacité du clavecin, et frustrant, tant celui-ci peine par construction à restituer toute la dynamique du piano.


Malheureusement, Jean-Patrice Brosse, visiblement raidi par le trac, n’a pas livré une prestation à la hauteur de sa réputation: on n’en dira pas davantage, car ce serait accabler vainement un grand artiste qui, comme chacun d’entre nous, a droit à l’erreur. Dans ces conditions, le Concerto pour clavecin (1926) de Falla, créé à Barcelone sous la direction de Pablo Casals et qui devait donc constituer le point d’orgue de cet hommage, aura d’autant plus déçu que le quintette des accompagnateurs aura, quant à lui, brillé par sa verve et son exactitude.


La conclusion s’apparentait à une sorte d’adoubement pour Damien Ventula: quelle chance en effet pour le jeune violoncelliste, soutenu par les Talich, que de se voir offrir la possibilité de clore, à Saint-Michel de Cuxà, devant les caméras de Mezzo et les micros de France Musiques, un hommage à Casals par l’arrangement qu’il fit en 1941, peu de temps après son arrivée à Prades, du Chant des oiseaux, une mélodie populaire catalane du nom duquel il baptisa par ailleurs sa maison! Mais sa manière très intériorisée et recueillie fut à la hauteur de l’enjeu et il accepta de bonne grâce de bisser ce chant d’une si merveilleuse simplicité.



Simon Corley

 

 

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