Back
De l’Atlantique à l’Oural Prades Abbaye Saint-Michel de Cuxà 08/05/2004 - Wolfgang Amadeus Mozart : Quatuor n° 19 «Des Dissonances», K. 465
Dimitri Chostakovitch : Quatuor n° 8, opus 110
Claude Debussy : Quatuor, opus 10
Quatuor Michelangelo: Mihaela Martin, Stephan Picard (violon), Nobuko Imaï (alto), Frans Helmerson (violoncelle)
Le Festival Pablo Casals marquait une petite pause dans une édition centrée cette année sur l’Union européenne à vingt-cinq, en proposant un programme allant de la France à la Russie en passant par l’Autriche et parcourant ainsi cette grande Europe qui s’étend, pour reprendre l’expression gaullienne, «de l’Atlantique à l’Oural».
Le Quatuor Michelangelo, constitué en 2002 par Mihaela Martin, Stephan Picard, Nobuko Imaï et Frans Helmerson, est un peu chez lui à Prades, à l’image d’un autre ensemble qui a choisi de rendre hommage à un peintre, le Quatuor Turner, lié quant à lui aux Académies musicales de Saintes. Il est d’ailleurs amusant de relever que Nobuko Imaï a longtemps été l'altiste du Quatuor... Vermeer.
Les musiciens avaient sélectionné trois œuvres des XVIIIe, XIXe et XXe siècles: des «grands quatuors», certes, conformément au titre donné à ce concert, mais, au-delà, autant de moments essentiels dans la vie de leurs auteurs.
C’est évidemment le cas du Dix-neuvième quatuor «Les Dissonances» (1785), dernier de la série de six que Mozart dédia à Haydn. Fort d’une exceptionnelle perfection instrumentale, le Quatuor Michelangelo n’en livre pas pour autant une vision purement narcissique ou apollinienne: musclée, à la fois mobile et charpentée, sans le moindre soupçon de maniérisme, l’interprétation, regardant résolument vers l’avant (un Menuet déjà schubertien), magnifie la pureté de la construction tout en soulignant, par des attaques précises et tranchantes, l’âpreté et les conflits qui émaillent le discours.
Qu’il ait été écrit, selon la version «officielle», après une visite de Dresde, ville meurtrie par la fin de la Seconde Guerre mondiale, ou qu’il ait présenté pour Chostakovitch un caractère plus autobiographique - ce dont témoignent l’omniprésence de sa «signature» musicale (la traduction de ses initiales par le biais du système allemand de notation en lettres) ou les citations de ses propres compositions - le Huitième quatuor (1960) correspond lui aussi à un instant important dans la vie de son créateur. Riche de sonorités contrastées, la prestation techniquement époustouflante du Quatuor Michelangelo s’illustre plus particulièrement dans un Allegro d’une impressionnante férocité.
Debussy a entrepris son unique Quatuor (1893) à l’âge où Mozart achevait son Dix-neuvième quatuor, mais la problématique en est naturellement différente, puisqu’il s’agit ici d’une partition charnière, peut-être la première de sa maturité, dans laquelle coexistent récapitulation de l’acquis et perspectives d’avenir. Jouant d’une vaste palette de couleurs, depuis la robustesse jusqu’à la transparence, le Quatuor Michelangelo fait à nouveau preuve d’une impeccable cohésion et délivre un superbe travail sur le son. Plutôt que de tenter de donner une cohérence aux diverses influences qui traversent les quatre mouvements, il en fait un brillant kaléidoscope, animé par une jeunesse fougueuse et passionnée. Si le précieux objet debussyste n’est pas nécessairement habitué à un tel traitement, force est de constater qu’il résiste plutôt bien à l’expérience.
En bis, le souci constant de la mise en place fait merveille dans la délicate - à tous les sens du terme - Sérénade (italienne) (1887) de Wolf: un «petit» quatuor qui offre une respiration bienvenue après ces trois «grands», mais qui ne doit pas faire oublier que le compositeur autrichien possède à son actif un magnifique et imposant Quatuor en ré mineur que l’on aimerait entendre plus souvent.
Simon Corley
|