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Les fondateurs Prades Eglise de Molitg village et Abbaye Saint-Michel de Cuxà 08/04/2004 - Eglise de Molitg village, 18 heures
Eugène Ysaÿe : Sonate pour violon n° 3, opus 27 n° 3 (*)
Claude Lenners : Alba (création française) (+)
Rudolf Escher : Air pour charmer un lézard (création française)
César Franck : Sonate pour violon et piano
Andras Adorjan (flûte), Stephan Picard (*), Gérard Poulet (violon), Denis Weber (+), Mikhaïl Rudy (piano)
Abbaye Saint-Michel de Cuxà, 21 heures
Gioacchino Rossini : Sonate à quatre n° 3 (*)
Gabriel Fauré : Quatuor avec piano n° 1, opus 15 (#)
Felix Mendelssohn : Octuor, opus 20 (+)
Christian Altenburger (* +), Stephan Picard (*), Mihaela Martin (#), Gil Sharon (+), Amanda Favier (+), Boris Garlitsky (+) (violon), Nobuko Imaï (#), Hartmut Rohde (+), Vladimir Mendelssohn (+)(alto), Alain Meunier (*), Arto Noras (#), Frans Helmerson (+), Damien Ventula (+) (violoncelle), Wolfgang Güttler (*) (contrebasse), Lydia Wong (#) (piano)
Le tour de l’Union européenne à vingt-cinq, fil rouge de la cinquante-troisième édition du Festival Pablo Casals, saluait, en deux concerts baptisés chacun «Opus 1957», les six Etats signataires du traité de Rome le 25 mars 1957: Belgique, Luxembourg et Pays-Bas, d’une part, Allemagne, France et Italie, d’autre part.
1. Le Bénélux à Molitg
Le public avait rempli la pimpante église de Molitg, dans le village ancien qui domine la station thermale, nullement découragé par la relative brièveté du programme et par une pluie battante, qui s’écoulait à l’extérieur au travers d’une gouttière quelque peu bruyante.
Si le choix des compositeurs paraissait plus arbitraire que cohérent, notamment en termes de génération et de notoriété, chacun des pays du Bénélux était représenté par une brève (sept minutes) œuvre soliste: pour la Belgique, c’est la toujours redoutable Troisième sonate (1923) d’Ysaÿe, dédiée à Enesco, qui trouve en Stephan Picard un interprète à l’archet impérieux: insistant davantage sur les aspects sombres et méditatifs que sur la dimension virtuose, le violoniste allemand joue cette Ballade comme s’il s’agissait d’un mouvement d’une Partita de Bach.
Deux créations françaises illustraient successivement le Luxembourg et les Pays-Bas. En présence du compositeur, Denis Weber donne d’abord Alba (1992) de Claude Lenners (né en 1956): une incantation vitupérante, en guirlandes vives et martelées dans l’aigu du piano, qui semble se figer progressivement en descendant vers le registre médian, laisse la place à des accords ascendants, chargés de sons et de couleurs à la manière de Messiaen, aboutissant dans l’extrême aigu à une sorte de lumière aveuglante, peut-être le paroxysme de la blancheur suggérée par le titre.
Andras Adorjan proposait ensuite Air pour charmer un lézard (1975) du Néerlandais Rudolf Escher (1912-1980). Cette mélopée calme et sinueuse se situe davantage dans la filiation de Syrinx de Debussy que de Densité 21,5 de Varèse et elle met en valeur les qualités exceptionnelles (pureté de la sonorité, précision de la technique) du flûtiste danois.
La conclusion de cette après-midi privilégiait la Belgique - mais, après tout, l’Europe s’identifie aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire, à «Bruxelles» - avec la Sonate pour violon et piano (1886) de Franck. Comme s’il l’abordait pour la première fois, Gérard Poulet transforme en eau-forte la fade aquarelle «à la française» qui est généralement de mise ici, tant il s’y montre rayonnant et extraverti, délivrant un grand jeu délibérément romantique, aux tempi allants, au vibrato généreux, aux portamenti audacieux et aux notes arrachées. Il parvient à concilier cette approche particulièrement engagée avec sa connaissance parfaite du texte, qu’il fait vivre et respirer avec une merveilleuse évidence et dont il met en valeur les instants où le temps paraît suspendu, comme au centre du torrentiel Allegro (qui sera d’ailleurs bissé). Mikhaïl Rudy peine parfois à suivre, mais son tempérament naturel est indéniablement à l’unisson d’une telle conception.
2. Italie, France et Allemagne à Saint-Michel de Cuxà
Le soir à Saint-Michel de Cuxà, le fil conducteur «européen» ne fournissait qu’un (excellent) prétexte pour présenter trois œuvres du XIXe siècle très différentes quant à leur style ou à leur atmosphère, mais fidèles à l’esprit de Prades, en ce qu’elles offrent à des artistes de tous âges et horizons le plaisir de faire de la musique ensemble.
Les cordes réunies pour la Troisième sonate à quatre (1804) de Rossini se divertissent ainsi ouvertement des traits périlleux qu’un compositeur de douze ans leur réserve: non seulement les deux violons, mais aussi le violoncelle et la contrebasse, qui ne sont pas cantonnés à un simple rôle d’observateur. Et l’insouciance s’interrompt le temps d’un Andante à la coloration plus dramatique, dont l’esprit évoque davantage Mozart que Paganini.
Contraste radical avec un Premier quatuor avec piano (1879) de Fauré objectivement inattaquable, à la construction parfaitement maîtrisée, d’un goût irréprochable et d’une mise en place impeccable. Malheureusement, le piano de la Canadienne Lydia Wong, remarquablement léger mais au point d’en devenir effacé et scolaire, disparaît derrière un imposant tapis de cordes, au sein duquel seul le violoncelle d’Arto Noras se détache réellement par son implication.
L’Octuor (1825) de Mendelssohn permet souvent d’associer deux quatuors constitués, autour de l’une des très rares partitions faisant appel à cette combinaison instrumentale, tant le compositeur, alors dans sa dix-septième année, a, avec cette œuvre quasiment dépourvue d’antécédent, découragé en même temps toute véritable velléité de succession. Mais plutôt que de solliciter les deux formations actuellement en résidence (Michelangelo et Talich), le Festival a préféré rassembler, sous l’archet aux aigus remarquablement précis de Gil Sharon, huit personnalités de toutes origines, depuis les piliers de Prades, tel l’altiste Vladimir Mendelssohn, jusqu’aux tout jeunes «solistes de l’ADAMI» comme la violoniste Amanda Favier et le violoncelliste Damien Ventula. Si le tout perd ici ou là aussi bien en cohésion (Scherzo) qu’en équilibre entre les pupitres, justice est rendue à l’élan miraculeux qui anime sans cesse cette musique, culminant dans le feu d’artifice du Presto final, sans pourtant que ses zones d’ombres (développement de l’Allegro moderato ma con fuoco, Andante) soient négligées.
Simon Corley
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