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Der Abschied: les adieux de James Levine à Munich

München
Philharmonie im Gasteig
07/17/2004 -  et les 18 et 19 juillet
Gustav Mahler : Das Lied der Erde, 2e Symphonie «Résurrection».
Dorothea Röschmann (soprano), Anne Sofie von Otter (mezzo-soprano), Johan Botha (ténor), Chœur du Conservatoire de Munich, Chœur Philharmonique de Munich, James Levine (direction).

Personnalités politiques largement représentées et conséquent discours de louanges : le dernier concert du mandat de James Levine à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Munich a débuté avec toute la solennité de rigueur. Bonne occasion de tirer le bilan de ces années d’une présence trop brève (deux à trois séjours par an, pendant six saisons seulement), mais néanmoins décisive pour un orchestre qui a ainsi pu récupérer la reconnaissance internationale que l’ère Celibidache, trop particulière et confinée, ne lui permettait plus d’obtenir. Réception peut être moins favorable du côté du public, surtout composé d’abonnés routiniers de longue date, pas forcément séduit par les richesses nouvelles et un peu inattendues (des Gurre-Lieder à la musique américaine contemporaine) qui lui ont été prodiguées pendant ces quelques années. Le destin des Münchner Philharmoniker sera repris en main dès l’automne prochain par Christian Thielemann, avec le retour prévisible d’un répertoire à coloration plus allemande, voire conventionnelle, et certainement aussi, pour ce chef encore en devenir, l’occasion de prouver ses compétences, pour l’instant davantage évidentes à l’opéra qu’au concert et au disque. «Anton Bruckner, Richard Wagner et Richard Strauss sont curieux et impatients de découvrir Christian Thielemann», annoncent de grandes affiches placardées un peu partout dans Munich, marketing que l’on peut juger déplacé mais qui a le mérite de bien résumer l’attentisme ambiant. Après une décennie luxueuse (Zubin Mehta, Lorin Maazel et James Levine présents simultanément à la tête des trois principaux orchestres de la ville), Munich se prépare progressivement à une relève plus aventureuse (Kent Nagano, Maris Janssons et Christian Thielemann, aux mêmes postes), l’affaire restant évidemment à suivre de près, compte tenu de la qualité exceptionnelle des phalanges concernées.


Sans grande possibilité de récupération après deux exécutions fleuve de Parsifal encore récentes, le menu de ce concert d’adieux est à nouveau impressionnant, et même d’une durée inconcevable aujourd’hui. En fait il s’agit de la reprise du programme Mahler dirigé par Bruno Walter le 20 novembre 1911 à Munich, et comportant en première partie la création mondiale (posthume) du Chant de la Terre, et après l’entracte rien moins que l’intégralité de la 2e Symphonie « Résurrection ». Belle occasion en tout cas de conjuguer la thématique de l’adieu déclinée par le Chant de la Terre avec le grand déploiement spectaculaire final de la 2e Symphonie, soit un programme bien en phase avec les circonstances.


Idéalement, et même s’il est évident qu’une soirée ainsi composée, du plus subtil au plus énorme, se révèle davantage « payante» en termes d’acclamations finales, on aurait toutefois pu souhaiter la présentation des œuvres dans l’ordre inverse, chronologique. D’abord parce qu’après les raffinements du Chant de la Terre, dont la raréfaction d’écriture et les audaces harmoniques anticipent largement sur Schoenberg, les blocs orchestraux massifs et l’écriture beaucoup plus primaire de la 2e Symphonie prennent des airs de caricature. Ensuite parce que les ultimes mesures d’un fleuve susurré par une Anne Sofie von Otter en état de grâce, osant à la fin un dernier « Ewig » impalpable, absolument sans couleur, d’une émotion étreignante, auraient constitué pour ces années Levine une conclusion encore plus belle que les hurlements d’enthousiasme déclenchés par le finale symphonique de la 2e Symphonie, d’un volume sonore susceptible effectivement de réveiller les morts. Regrets inutiles, mais qui permettent de mieux situer le cœur de la soirée, soit certainement cette exécution transcendante du Chant de la Terre, jamais entendu à ce degré d’intelligence et de pragmatisme. Tous les dosages n’y sont pas parfaits, et il est certain qu’on a pu entendre ici ou là des lectures plus volontaristes et synthétiques (dont celle, exceptionnelle, de Michael Gielen à Baden-Baden), mais le parcours organisé par James Levine sait faire totalement oublier l’une des composantes du Chant de la Terre souvent considérée comme inévitable : l’ennui ! Car pour sublime qu’il soit, ce cycle ultime n’est pas sans receler des plages d’un redoutable statisme, a fortiori quand les solistes sont débordés (et ils peuvent l’être assez souvent). Or ici, quand Anne Sofie von Otter (ligne vocale enivrante mais moyens pas énormes, ce que quelques maniérismes de prononciation ne parviennent jamais à faire oublier) se noie un peu trop dans l’opulence sonore ambiante, c’est le raffinement orchestral, avec des dialogues et des relances proprement inouïs, qui assure pleinement le relais, à l’image de cette conclusion du 4e Lied, ou les phrasés s’enchaînent en une impressionnante série de drapés, d’une logique jamais perçue à ce point. Inutile en revanche de ménager Johan Botha : même cantonnée tout au fond de l’orchestre la voix passe impeccablement, avec toutes ses harmoniques et même tous les mots du texte (rien à voir avec une banale projection claironnante, la prestation est simplement-là, entière, facile, indiscutable… Bravo !). Espérons que ce Chant de la Terre, enregistré sur le vif tout comme l’ensemble des concerts de James Levine dans la salle du Gasteig depuis 6 ans, sera publié un jour en disque : on y trouvera certainement beaucoup de choses à apprendre, alors même que les durées de répétition n’auront pas été très importantes (c’est là sans doute l’une des caractéristiques les plus surprenantes de l’ « effet Levine » à Munich, aux antipodes des concerts de Celibidache, certes préparés jusqu’au plus infime détail, mais parfois jusqu’à l’étouffement de toute spontanéité).


Dans la 2e Symphonie, cette sûreté dans la navigation à vue paraît davantage prise en défaut. Le premier mouvement, bien conduit dans son implacable rythme de marche, reste parfaitement architecturé. Le second, dirigé sans baguette, prend des allures de divertimento chambriste d’une ravissante fluidité. En revanche tout le développement final se morcelle, détaillé en une succession d’évènements, tantôt contemplatifs, tantôt tonitruants, que Levine ne cherche plus du tout à intégrer dans une quelconque vision d’ensemble. La durée d’exécution s’allonge dangereusement, et sans la qualité de facture proprement incroyable du son orchestral (la trompette et le trombone rivalisent d’exploits) une certaine indifférence pourrait facilement s’installer. L’Urlicht d’Anne-Sofie von Otter, phrasé avec trop de manières pour un environnement aussi « physique » déçoit un peu. En revanche les quelques lignes admirablement suspendues de Dorothea Röschmann exercent bien l’effet escompté, de même que les interventions chorales (soutenues par les grandes orgues de la Philharmonie, dont on sent même l’air balayer la salle !). Quant à la conclusion instrumentale, on peut faire confiance à Levine pour ne pas frustrer le public en laissant retomber le volume sonore avant l’extrême fin, grâce à une segmentation judicieuse des accords successifs.


Hurlements d’enthousiasme, fleurs et standing ovation après l’extinction brutale, rigoureusement nette, d’un ultime orage de décibels. Une page d’histoire vient de se tourner, en beauté.




Laurent Barthel

 

 

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