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Transe orchestrale et recueillement

München
Philharmonie im Gasteig
07/10/2004 -  et 07/12*/2004
Richard Wagner : Parsifal

Johan Botha (Parsifal), René Pape (Gurnemanz), Violeta Urmana (Kundry), Richard Paul Fink (Klingsor), Albert Dohmen (Amfortas), Taras Konoshchenko (Titurel), Chœur d’enfants de Tölz, Chœur d’hommes de la Radio Nationale Bulgare, Chœur Philharmonique de Munich, Orchestre Philharmonique de Munich, James Levine (direction)

Depuis 1998 James Levine a passé six saisons à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Munich. Présence certes discontinue, d’un chef resté essentiellement new-yorkais, mais avec quand même suffisamment de concerts (117 à Munich) pour infléchir durablement la physionomie de l’une des meilleures phalanges mondiales. Les admirateurs fervents de Sergiu Celibidache, seul maître à bord (pour ne pas dire « gourou ») des Münchner Philharmoniker entre 1979 et 1996, n’ont d’ailleurs pas bien vécu cette transition, ne serait-ce qu’à cause du nouveau répertoire proposé, à forte coloration lyrique (nombreux extraits et intégrales d’opéras en version de concert), et aussi de cette amusante (mais respectable) coquetterie de James Levine de n’avoir dirigé ici aucune symphonie de Bruckner. Des divines lenteurs et du mysticisme du chef roumain, de son obsession du travail journalier sur la sonorité et les attaques (d’une exigence et d’une répétitivité parfois éprouvantes), l’orchestre est repassé à un mode de vie conforme aux standards internationaux : programmes éclectiques, répétitions moins longues et plus pragmatiques, sous la direction d’un patron toutefois humainement très apprécié, qui a su magnifier habilement l’héritage perfectionniste de la formation. D’où la véritable métamorphose constatée ces dernières saisons, l’orchestre jusqu’ici relativement sombre, voire bridé, donnant l’impression de se libérer, de récupérer une réactivité et une palette de couleurs d’une richesse incomparable, la perfection instrumentale restant quant à elle conforme à l’extraordinaire niveau de règle à Munich (tant ici qu’à l’Opéra et à la Radio Bavaroise) avec quelques premiers pupitres d’une musicalité si grisante qu’on ne se lasse pas de les écouter (1ère trompette, 1ère flûte, 1er trombone, hautbois et cor anglais…).


Période d’adieux, donc, que cette ultime saison 2003/2004, marquée de surcroît pour James Levine par de lourds problèmes de santé qui l’ont contraint à annuler plusieurs concerts, dont l’intégralité d’une tournée en Allemagne au mois de juin. Une certaine incertitude a donc plané quant à ses possibilités d’assumer physiquement les deux ultimes programmes du mois de Juillet (deux Parsifal complets puis un colossal concert Mahler répété trois soirs d’affilée). En fait, si l’on a pu voir arriver un chef à la démarche hésitante, au visage figé, éprouvant d’évidentes difficultés à se hisser sur une chaise sur laquelle il reste ensuite tassé des heures durant, réduisant sa gestique à des gestes parfois presque imperceptibles, il aura été impossible de déceler auditivement dans ces concerts le moindre signe attestant d’un manque de contrôle de l’orchestre et des chœurs (à quelques négligeables accidents près).


Ce conséquent Parsifal en version de concert a même constitué un fascinant voyage au coeur du son orchestral, parfois infiniment étiré, voire assourdi jusqu’aux limites de l’audible. Exercice exigeant, on le conçoit, pour la part la moins initiée d’un public privé de points de repère susceptibles d’accrocher son attention (jusqu’à la vision même du chef de dos, sorte de montagne cubique longuement immobile, à d’infimes mimiques et oscillations de baguette près), mais dont la magie sonore, grâce à la ductilité d’une phalange rompue de longue date aux exercices de yoga instrumental les plus exigeants, atteint souvent un niveau d’envoûtement indicible. Rien de bien nouveau, dans l’absolu, pour qui a pu vivre les Parsifal de Levine à Bayreuth ou à New-York, intrinsèquement ni moins longs ni moins soignés, mais avec néanmoins ici une surexposition liée à la version de concert, qui permet de se laisser solliciter par chaque détail ou association instrumentale, voire de découvrir le raffinement d’équilibres passant d’habitude complètement inaperçus. En tout cas, en dépit de la durée phénoménale de la soirée, celle-ci appartient à la très rare catégorie des concerts qu’on voudrait ne jamais voir finir, atteignant dans Parsifal un potentiel de fascination dont on ne peut retrouver l’équivalent qu’avec les représentations des Festivals de Pâques 1980 et 81 à Salzbourg, sous la direction d’Herbert von Karajan. Filiation évidente, au demeurant, pour James Levine, et que l’on apprécie d’avoir pu retrouver, à plus de vingt années de distance, quelque part dans un monde où la notion de perfectionnisme orchestral se trouve de plus en plus battue en brèche, voire occultée au profit d’autres valeurs.


Au premier acte, qui offre le spectacle inhabituel d’une impressionnante masse chorale (dont l’essentiel reste invisible lors d’une représentation scénique), tout le monde donne surtout l’impression de vouloir s’installer, en posant çà et là ses pénates pour une cérémonie qui s’annonce longue. L’orchestre boucle un Prélude impeccable, dans un ensemble parfait (c’est le seul moment de la partition qu’il connaisse vraiment sur le bout des doigts), puis s’aventure dans l’inconnu. Le Gurnemanz sobre, presque réservé, de René Pape détaille ses longs monologues d’une belle voix de basse, pas très impressionnante en volume mais d’une perfection d’intonation digne d’un chanteur de Lied. Sur les gradins, les jeunes enfants des Tölzer Knabenchor s’endorment doucement, un à un, piquant du nez dans leur partition ou sur l’épaule de leur voisin. La qualité de silence du public, qui retient son souffle avec un effort presque palpable, est exceptionnelle, inconnue même à Bayreuth. Jusqu’à la scène de transformation puis la cérémonie du Graal, où l’on se trouve malheureusement tiré d’une sorte d’hypnose par les sonorités trop brutales de cloches synthétiques mal dosées, et par les difficultés à s’échauffer d’un Amfortas (Albert Dohmen) assez caverneux. Impossible de nier non plus que le cœur du mystère de Parsifal, le dévoilement du Graal, manque ici d’un peu de magie, comme si les sortilèges de l’orchestre wagnérien avaient vraiment besoin à ce moment d’un effet d’écran tamisant, naturellement assuré par une fosse, surtout à Bayreuth, mais qu’une version de concert ne peut dispenser.


Second acte plus conventionnel, par son écriture même, où l’on retrouve les habituels chromatismes du dernier Wagner, et par la présence plus opératique des solistes : Klingsor peu raffiné de Richard Paul Fink, et Kundry en définitive quelconque de Violetta Urmana, certes aujourd’hui wagnérienne consacrée, mais timbre sans grande sensualité et conduite vocale simplement efficace. En fait ici, c’est le rôle de Parsifal, traditionnellement le maillon faible des représentations contemporaines, par manque de ténors d’envergure, qui monopolise l’attention. Johan Botha y impose une présence vocale irradiante (en dépit du placement des chanteurs au fond de l’orchestre) et un timbre d’une plénitude magnifique (les clameurs «Amfortas», après le baiser de Kundry, sont à tomber à la renverse). Certainement un Parsifal de référence pour l’époque, qui mériterait d’être immortalisé par le disque. Dernières mesures d’une audace et d’une précision époustouflantes, comme d’habitude avec Levine, certainement aujourd’hui le chef qui sache le mieux terminer un mouvement ou un acte, avec un sens du spectaculaire et du « petit coup d’accélérateur » qui n’appartient qu’à lui.


Troisième acte magique, enfin, devant une salle déjà relativement dégarnie mais désormais disponible à 100 % pour une sorte de transe collective, soigneusement préparée par les sortilèges orchestraux de l’Enchantement du Vendredi-Saint, et qui culmine dans une apothéose sublime, implacablement édifiée, par degrés successifs, mettant le public dans un état véritablement second. La résonance du dernier accord éteinte d’un dernier geste, le large dos de Levine se fige encore davantage et de longues, longues (10 ? 15 peut-être ?) secondes de silence s’écoulent, avant qu’enfin quelqu’un se résigne à rompre le charme par un premier et timide applaudissement. Pas de standing ovation (le public a de toute façon les jambes coupées, et chacun titube un peu en quittant sa place), ni même de longs applaudissements (il est très tard), mais pour tous les présents la certitude d’avoir vécu là des moments inoubliables.



Laurent Barthel

 

 

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