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Dans l’ombre Paris Théâtre Mogador 06/05/2004 - Zdenek Fibich : Quintette, opus 42
Franz Schreker : Der Wind
Ernö Dohnanyi : Sextuor, opus 37
Pascal Moraguès (clarinette), Bernard Schirrer (cor), Philippe Aïche (violon), Estelle Villotte (alto), Marie Leclerq (violoncelle), Bertrand Chamayou (piano)
Dans sa très intéressante série de concerts de musique de chambre du samedi matin, l’Orchestre de Paris avait donné cette fois-ci carte blanche à l’un de ses cornistes, Bernard Schirrer, qui, sous le titre «Dans l’ombre, mais éclairés…», a conçu un programme copieux (une heure un quart), original et d’une belle cohérence: trois compositeurs restés «dans l’ombre» des plus célèbres – que la vie, au demeurant, n’a pas ménagés (décès précoce de l’un, conséquences du régime nazi, au travers de la démission ou de l’exil, pour les deux autres) – et des oeuvres de caractère plus Mitteleuropa que national(iste), faisant appel à des formations rares – à la base, outre le cor, une clarinette (Pascal Moraguès), un violon (Philippe Aïche), un violoncelle (Marie Leclerq) et un piano (Bertrand Chamayou, un nom à suivre, «invité» par ses camarades de l’orchestre).
Dans l’ombre de Smetana et de Dvorak, Zdenek Fibich (1850-1900), avec son Quintette (1893) pour clarinette, cor, violon, violoncelle et piano, d’une belle ampleur (trente-quatre minutes selon le plan classique en quatre mouvements), révèle une dette à l’égard du Brahms le plus radieux, à la délicatesse et aux harmonies parfois même fauréennes (Allegro non tanto, Largo). Mais le Scherzo, marqué «avec un humour sauvage» (mit wildem Humor), laisse la place à une rugosité plus rustique, interrompu par deux trios, d’allure populaire sans être spécifiquement tchèque, faisant respectivement la part belle au cor et à la clarinette. Le volontarisme et les tournures rythmiques du vaste Allegro final évoquent en revanche nettement Schumann.
Dans l’ombre de R. Strauss et de Schönberg, Franz Schreker (1878-1934) – dont la merveilleuse Symphonie de chambre pour vingt-trois instruments sera donnée le 10 juin prochain à Mogador par l’Ensemble intercontemporain, dans le cadre d’un concert en commun avec l’Orchestre de Paris – a composé Der Wind (1908) exactement pour le même effectif que le Quintette de Fibich. «Allégorie chorégraphique», cette pièce de onze minutes, d’allure narrative, mais plus évocatrice que descriptive, illustre parfaitement le raffinement du style du compositeur autrichien, aux couleurs souvent bien françaises.
Dans l’ombre de Bartok et de Kodaly, Ernö Dohnanyi est toujours resté plus germanique que hongrois, conciliant dans sa musique les influences de Brahms et de Wagner, pourtant longtemps considérées comme contradictoires. L’adjonction de l’alto d’Estelle Villotte déplace le centre de gravité, au sens propre, de la sonorité de l’ensemble pour son Sextuor (1935). De forme classique (quatre mouvements, dont le premier très développé et les deux derniers enchaînés) et d’une durée d’une demi-heure, il porte, assumant cet anachronisme avec panache, la marque de Brahms, notamment dans l’Intermezzo (adagio), qui cite presque littéralement le thème du deuxième mouvement de son Deuxième trio, ou dans les côtés tour à tour gemütlich et robustes de l’Allegro con sentimento et sa lente transition vers le dernier mouvement. Valses et danses populaires, comme dans un voyage à travers villes et à travers champs, se succèdent dans cet Allegro vivace, giocoso final, dont l’espiègle premier thème ne dissimule pas sa nature folklorique, sans pour autant révéler nécessairement une origine géographique précise.
Simon Corley
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