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Duo de choc

Paris
Salle Gaveau
05/27/2004 -  et 28 mai* 2004
Johannes Brahms : Variations sur un thème de Haydn, opus 56b
Serge Rachmaninov : Suite n° 2, opus 17
Witold Lutoslawski : Variations sur un thème de Paganini
Franz Schubert : Grand rondeau, D. 951
Maurice Ravel : La Valse

Martha Argerich, Nelson Freire (piano)


Bien que Piano **** ait organisé une soirée supplémentaire pour un récital qui devait initialement n’être donné qu’une seule fois, Gaveau affichait complet – musiciens compris (Ivry Gitlis, Nicholas Angelich) – pour la venue des deux monstres sacrés que sont Martha Argerich et Nelson Freire, dans un programme court (quoique augmenté de trois bis), alternant deux pianos et piano à quatre mains, concentré sur un bon siècle de musique (1828-1941) mais d’une très grande variété stylistique. S’il fallait définir globalement l’approche de ces deux complices de longue date, ce serait peut-être, malgré la diversité des défis posés par les œuvres choisies, le souci de les exploiter de façon indéniablement originale sans être pour autant extravagante, invitant l’auditeur à découvrir certains de leurs aspects généralement peu mis en valeur.


D’une grande liberté de tempi, tant dans leur choix (souvent rapides) que dans la manière de les faire varier à l’intérieur d’une même pièce, les Variations sur un thème de Haydn (1873) de Brahms démontrent une volonté de ne pas tenter d’imiter l’orchestre, sans renoncer pour autant à la grandeur (Sixième variation, Passacaille finale). Si une finesse et une légèreté réjouissantes caractérisent les variations rapides (Cinquième et Huitième), les variations lentes témoignent d’un travail très élaboré: la Quatrième, sorte d’hommage à Bach, ouvre des perspectives insoupçonnées, tandis que la Septième, bien qu’allante et capricieuse, demeure délicate et dépourvue d’affectation.


Dans la Seconde suite (1901) de Rachmaninov, le panache est bien évidemment de mise, avec coups de griffe et trépidation dans les mouvements extrêmes, mais les mouvements intermédiaires, jamais émollients, mettent en valeur le chic et l’art du phrasé (Valse), puis le sens lyrique et la magie des sonorités (Romance).


Comme la première partie, la seconde partie du concert débutait par un cycle de variations, les Variations sur un thème de Paganini (1941) de Lutoslawski. Argerich, qui revient en scène dans un éclat de rire qu’on n’osera qualifier d’argentin, et Freire, auquel échoit la redoutable partie dévolue au premier piano, les restituent avec la férocité et la pyrotechnie requises, mais le délire reste parfaitement maîtrisé, notamment dans les variations lentes, dont ils font ressortir la puissance expressive.


Contraste total, avec la dernière pièce pour quatre mains de Schubert, le Grand rondeau en la majeur (1828), dont le charme presque irréel est certes impeccablement restitué, mais sans aucune pâleur ou mièvrerie, avec au contraire, çà et là, une certaine vigueur.


Si Schubert a inspiré à Ravel ne serait-ce que le titre et le principe de ses Valses nobles et sentimentales, c’est La Valse (1920) qui concluait le programme. Conçue pour deux pianos avant d’être orchestrée, comme les Variations Haydn de Brahms, elle bénéficie ici d’un luxe exceptionnel de toucher, tour à tour impalpable, moelleux et percussif. Mais les interprètes, préférant une succession d’images fortes à un discours continu, en offrent une lecture à la fois raffinée, fantasque et échevelée.


Face à un public qui, après une longue ovation debout, ne consentira finalement à quitter les lieux qu’après le retour des lumières, les pianistes concèdent trois bis à quatre mains, dus chacun à l’un des compositeurs précédemment entendus: d’abord Laideronnette, impératrice des pagodes, extrait de Ma Mère l’Oye (1910), où le scintillement tintinnabulant, vivement mené, s’oppose à une partie centrale d’une poésie on ne peut plus ravélienne.


Après un «Merci!» puis un «Viva el Mercosur!» retentissants lancés par deux spectatrices, vient la Valse en la majeur, quatrième des Six duos (1894) de Rachmaninov, tout sauf salonarde sous les doigts de l’Argentine et du Brésilien. Malicieuse, la Septième danse hongroise (1869), toujours en la majeur, de Brahms manque plusieurs fois, sous l’effet de décalages imprévus, de verser dans le fou rire, mais ces embardées n’entament la bonne humeur ni devant le clavier, où s’échangent des regards faussement réprobateurs, ni dans la salle, disposée, après une telle performance, à tout pardonner aux artistes.



Simon Corley

 

 

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