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Une brillante reprise!

Paris
Garnier
05/13/2004 -  et les 16, 19, 22, 25, 28 et 31 mai, 3 juin 2004
Georg Friedrich Haendel : Alcina

Luba Orgonasova (Alcina), Vesselina Kasarova (Ruggiero), Patrizia Ciofi (Morgana), Vivica Genaux (Bradamante), Toby Spence (Oronte), Luca Pisaroni (Melisso)
Robert Carsen (mise en scène), Tabias Hoheisel (décors et costumes), Jean Kalman (lumières), Philippe Giraudeau (mouvements chorégraphiques)
Chœur de l’Opéra national de Paris, Ensemble Orchestral de Paris, John Nelson (direction musicale)


Monter un opéra de Haendel aujourd’hui n’est pas une tâche facile car si le metteur en scène décide de placer l’histoire dans notre monde contemporain, il pervertit l’œuvre du compositeur et s’il montre une magicienne avec des animaux, pour Alcina, et beaucoup d’accessoires décoratifs, il risque de se limiter à la narration. Cette production a donc choisi le juste milieu et propose des pistes de lecture plus qu’elle ne dicte une vision. La musique est laissée, cette fois, aux soins de John Nelson et de l’Ensemble Orchestral de Paris qui se défendent honnêtement, même si cela ne sonne pas aussi bien qu’un orchestre baroque traditionnel.


Lors de sa création en 1999, la mise en scène de Robert Carsen avait suscité beaucoup de réactions sceptiques. Certes la scène est assez vide et les mouvements sont lents, ce qui rend les protagonistes quelque peu statiques. Mais il a su avec talent délimiter le monde d’Alcina, calme, un peu au ralenti, et celui de l’extérieur, donc de Bradamante et de Mélisso par des gestes plus vifs et habités. La scène s’ouvre sur de grands panneaux blancs, avec des portes, qui encadrent le plateau de Garnier, puis celui du fond et celui du haut s’ouvrent pour laisser place à des toiles avec des arbres verts clairs: Alcina et Ruggiero sont au centre, tendrement enlacés. Les portes jouent un rôle essentiel dans cette mise en scène car lors de l’air “Col celarvi”, Ruggiero voit, comme une sorte d’image volée puisque les deux battants se referment juste après, Alcina entourée de ses amants puis Bradamante vêtue en femme et richement parée. Cette production gomme quelque peu l’aspect magique avec les animaux, les rochers, etc… mais la féerie est rendue par le choeur, très souvent sur scène malgré le peu de musique qu’ils ont à chanter, composé d’hommes et de femmes à moitié-habillés, voire nus. Certes Robert Carsen ne s’est pas encore débarrassé de certains objets qui commencent à devenir récurrents dans les productions de ces dernières années: la cigarette et le costume pour les hommes. Ruggiero est-il vraiment obligé d’allumer une cigarette pour calmer sa jalousie? Est-il obligé de l’éteindre si vigoureusement?


Luba Orgonasova présente une Alcina noble, digne et elle fait évoluer son personnage au cours de la représentation, tout en gardant sans cesse à l’esprit que la reine est réellement amoureuse de Ruggiero, d’où son désespoir qui se transforme en furie. Comme dans Agrippine Haendel offre deux superbes scènes à l’héroïne qui peut exprimer sa colère, voire la crier: le passage “oh mio cor” est particulièrement impressionnant et émouvant non seulement par l’interprétation engagée et énergique de la chanteuse mais aussi par les jeux de lumière car Alcina apparaît en ombre chinoise et on croit voir deux personnages, tels le Bien et le Mal. Vocalement la prestation est plus que convaincante mais assez irrégulière car si Luba Orgonasova sait trouver des accents légers et éperdus dans le trio final, elle semble avoir trop de puissance pour des airs aussi doux que “si son quella” ou “mi restano le lagrime”. Petits détails car elle dépasse facilement ses contraintes en jouant sur des pianissimo qu’elle rend de plus en plus forts ensuite notamment dans le premier air “Di cor mio”.


Vesselina Kasarova remporte un véritable triomphe dans le rôle de Ruggiero et à juste titre. Elle assume et la partition et le rôle assez ingrat avec brio et elle se joue de toutes les difficultés vocales exigeantes. Mais surtout la chanteuse sait mettre une vie dans les vocalises, ce qui est assez rare de la part d’interprètes. Elle apporte une énergie et un enthousiasme incroyables qu’elle chante un air mélancolique d’adieux aux vertes prairies (quand on pense que le fameux “Verdi prati” avait été refusé par le créateur du rôle!) ou un chant de guerre, ou bien encore un hymne amoureux. Elle apporte aussi de l’humour, voire une certaine folie, à l’air “La bocca vagha”. Ruggiero deviendrait presque un personnage sympathique grâce à son interprétation...


Patrizia Ciofi a la lourde tâche de succéder à Natalie Dessay et elle relève le défi avec succès. Certes la voix n’est pas aussi agile dans le suraigu mais la chanteuse apporte une certaine épaisseur au personnage, une vie à Morgana, qui remplace bien des prouesses vocales. Mais ces minces réserves s’éteignent dès son troisième air “alma, sospira” où à l’intensité dramatique très forte s’ajoute un parfaite ligne de chant. La chanteuse avait sûrement besoin de se chauffer car elle se montre magnifique dans son dernier air, dans lequel elle essaie de reconquérir Oronte “credete al mio dolore” à l’aide de sons filés et tenus. Patrizia Ciofi propose une Morgana vive, certes, mais également sensible et à l’amour et à la perte du monde dans lequel elle vit puisque Robert Carsen a décidé d’en faire une soubrette, jupe courte et manchettes blanches, une sorte de double d’Alcina qui prend les amants les uns après les autres.


Vivica Genaux est égale à elle-même, c’est-à-dire qu’elle est toujours autant impressionnante par la qualité spectaculaire de ses vocalises qui sont conduites dans un tempo très rapide et avec une exactitude méticuleuse. Toutefois si ses graves restent assez laids, son aigu ne cesse de s’illuminer et les rares vocalises situées dans le haut de sa tessiture sont des rayons de soleil. Elle campe un Ricciardo un peu gauche, un peu effacé par rapport aux autres chanteurs pour finalement trouver tout son poids dramatique quand elle se transforme en femme et qu’elle détient la vie d’Alcina par le bras de Ruggiero.


Toby Spence est toujours aussi excellent qu’il chante du Wagner, du Monteverdi ou du Haendel. Il apporte la douceur de sa voix de ténor léger au personnage d’Oronte et il parvient à lui donner une consistance alors que l’amoureux de Morgana est un peu marginal dans cette intrigue.


Luca Pisaroni impose son autorité vocale en accord avec le rôle de précepteur qu’il tient. Son air “pensa a chi geme” est magnifiquement chanté et interprété et si l’on retrouve ça-et-là quelques intonations de Laurent Naouri dans les aigus, ce jeune chanteur possède un instrument de très grande qualité: il fait monter la tension avec habileté grâce à un souffle parfaitement maîtrisé et une sorte de distanciation parfaite pour le personnage. Un nom à suivre!


L’orchestre est très attentif à la musique de Haendel mais tout cela reste bien poussif et même si John Nelson est pétri de bonnes intentions, on se prend à rêver d’un William Christie ou bien d’un Marc Minkowski qui donnerait un autre tempo, une autre envergure à ce superbe opéra. Toutefois le chef semble diriger différemment les chanteurs selon qu’ils sont rompus ou pas avec cette musique car on le sent beaucoup plus à l’aise quand il accompagne Vivica Genaux, haendelienne avérée, ou bien Vesselina Kasarova. Il convient toutefois de saluer l’excellence de Pascal Monteilhet à la théorbe et de Guillaume Paoletti au violoncelle, qui soutiennent le “si son quella” avec beaucoup de douceur et de fermeté. Les chœurs sont meilleurs que d’habitude et le dernier chœur est murmuré avec délicatesse.


De beaux atouts pour cette première reprise qui ne demandent qu’à s’épanouir au cours des représentations. Les personnages sont bien distribués et tous les chanteurs apportent leur conviction pour rendre crédible l’histoire qu’ils sont censés présenter et il faut dire qu’ils sont aidés pour cela par des décors éclairants et une mise en scène inventive.


A noter:
- Haendel toujours pour Patrizia Ciofi qui interprète des duos en compagnie de Joyce diDonato et Alan Curtis, chez Virgin Classics.
- Vivica Genaux et John Nelson ont récemment gravé un récital dédié au Bel Canto, chez Virgin Classics.
- On retrouvera Luca Pisaroni dans Les Noces de Figaro au TCE du 15 au 25 juin 2004.
- William Christie a réalisé un enregistrement d’Alcina à partir de la distribution de 1999, avec R. Fleming, S. Graham, N. Dessay et les Arts Florissants Chez Erato.



Manon Ardouin

 

 

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