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Idoménée au scalpel

Grenoble
Grand Théâtre
05/07/2004 -  et 9, 11, 13, 15, 17, 19 mai 2004
Wolfgang Amadeus Mozart : Idomeneo, K. 366
Keith Lewis (Idoménée), Hannah Esther Minutillo (Idamante), Carmela Remigio (Ilia), Marcella Orsatti Talamanca (Electre), Jeffrey Francis (Arbace), Peter Straka (le Grand Prêtre de Neptune), Eric Owens (la Voix de Neptune)
Chœurs du Grand Théâtre, Orchestre de chambre de Lausanne, Michael Gielen (direction musicale)
Ursel et Karl-Ernst Herrmann (mise en scène)


Cette production d’Idoménée est celle que le festival de Salzbourg proposa en 2000 sous la direction du même Michael Gielen. Un Gielen implacable, à la baguette décapante, qui n’a rien à envier à certains baroqueux. Mais tant de froideur assèche les timbres et raidit le discours. Au moins la direction a-t-elle le mérite d’être constamment tendue, ce qui est essentiel dans un opera seria qui pourrait, donné dans son intégralité, sembler un peu long. Il n’empêche : la musique de Mozart, à être ainsi disséquée au scalpel, finit par perdre ses saveurs et son âme. C’est donc des chanteurs que viendra surtout notre plaisir. Keith Lewis, avec les années, a fini par s’identifier à Idoménée et l’on ne s’aperçoit guère que la voix a un peu perdu de son velours, tant la technique est sûre, le style noble et l’interprétation subtile. Le chanteur australien arrive à la fois à chanter et habiter le redoutable « Fuor del mar », dont il n’omet pas la moindre vocalise. Face à lui, un Idamante digne de lui : Hannah Esther Minutillo, mezzo aux registres parfaitement homogènes, aussi crédible vocalement que scéniquement dans un rôle souvent sacrifié. Belle Ilia aussi de Carmel Remigio – la donna Anna du Don Giovanni d’Abbado, qui compense un timbre un rien ingrat par la sincérité de la composition, évitant toute préciosité pour faire de la princesse déchue un vrai personnage tragique. Passons sur le Grand Prêtre de Peter Straka, qu’on avait pourtant aimé en Boris de Kátia Kabanová et qui se révèle totalement rebelle au chant mozartien ; on lui préfère l’Arbace de Jeffrey Francis, qui se sort plutôt bien d’un rôle peu important mais fort difficile à chanter avec ses airs relevant du seria le plus figé. Tous doivent cependant s’incliner devant l’Electre de Marcella Orsatti Talamanca, aussi belle à voir qu’à entendre, dans sa superbe robe rouge. La voix est richement timbrée, magnifiquement conduite sur toute la tessiture, avec un jeu sur les couleurs digne du plus authentique bel canto. Une femme aimante et meurtrie, plus pathétique qu’hystérique, ne bafouant jamais les droits du chant dans son air de folie du troisième acte.


La mise en scène d’Ursel et Karl-Ernst Herrmann prétend sans doute, comme la direction d’orchestre, bousculer nos habitudes. Elle n’a plus rien des grâces emperruquées du dix-huitième, avec un décor très nu, fait d’une passerelle entourant la fosse et d’un plateau ouvrant sans doute sur cette mer d’où viennent successivement la faute, le châtiment et le pardon. Souvent un mur s’abaisse pour réduire l’espace à la passerelle, enfermant davantage encore les personnages dans leur tragédie. Bref, tout est symbolique, à l’image de ce trident et de cette tache lumineuse rappelant le décret de l’inexorable dieu. La mise en scène est aussi implacable, aussi glaciale que la direction d’orchestre, dont elle suit d’ailleurs à la lettre les moindres inflexions. Il y a, de ce point de vue, un travail d’approfondissement qu’il faut saluer et auquel les chanteurs adhèrent totalement. On ne peut s’empêcher, pourtant, d’éprouver un certain scepticisme. Pas parce qu’on est bousculé, ce qui peut être stimulant ; il en faut d’ailleurs beaucoup aujourd’hui pour qu’une mise en scène vous bouscule. Plutôt parce que la perspective adoptée semble trop souvent hétérogène. Qu’Electre, par exemple, soit une jolie femme fort désirable et fasse de l’ombre à Ilia éclaire d’un jour nouveau le drame qui se joue à huis clos entre les quatre protagonistes. Mais on comprend mal les partis pris d’expressionnisme gestuel ou de distanciation narquoise empruntant un peu trop artificiellement aux mises en scène qu’on commettait naguère dans la défunte Allemagne de l’Est. Ce qui fonctionnait si heureusement avec le Turc en Italie – une très belle réussite du couple Herrmann - ne vaut pas pour Idoménée. Ainsi le duo d’Ilia et d’Idamante, où les rapports amoureux sont parfois placés sous le signe d’une intéressante ambiguïté, est-il si lourdement érotisé qu’il frise le ridicule tout en sentant le déjà vu. La fin laisse encore plus perplexe, avec la métamorphose d’Idoménée en une espèce de vieux planteur coiffé d’un sombrero, roi déchu qui a troqué la hache du sacrifice pour la canne du retraité, un peu comme ces dictateurs sud-américains partant cultiver leur jardin. Tout cela finit par compromettre, voire par banaliser un projet qui, finalement, n’apporte pas grand-chose à notre connaissance du premier opéra de la grande maturité mozartienne.



Didier van Moere

 

 

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