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Hands across the sea Paris Théâtre Mogador 05/12/2004 - Tobias Picker : Sextuor n° 4 «The Blue Hula» (*)
Marc-André Dalbavie : Tactus (#)
Franz Schubert : Octuor, D. 803 (+)
Vincent Lucas (*) (flûte), Philippe Berrod (* +), Ricardo Morales (#) (clarinette), Daniel Matsukawa (# +) (basson), David Wetherill (#), Michel Garcin-Marrou (+) (cor), Philippe Aïche (* +), David Kim (# +), Kimberly Fisher (#) (violon), Roberto Diaz (# +) (alto), Emmanuel Gaugué (*),William Stokking (#), Eric Picard (+) (violoncelle), Harold Robinson (+) (contrebasse), Alain Jacquet (*) (percussion), Kiyoko Takeuti (#) (piano), Christoph Eschenbach (piano *, direction #)
Pendant que l’Orchestre de Paris assure les représentations des Contes d’Hoffmann à Bercy (voir ici), c’est l’Orchestre de Philadelphie – l’une des deux autres formations dont Christoph Eschenbach est le directeur musical – qui vient au Théâtre Mogador, pour un concert symphonique. La veille, quelques-uns de ses solistes étaient associés à ceux de l’Orchestre de Paris pour un programme de musique de chambre, sorte de match retour d’une rencontre qui a déjà eu lieu la saison précédente à Philadelphie.
La première partie proposait, en leur présence, les œuvres de deux compositeurs contemporains: dans un plaisant échange de bonnes manières, les Parisiens interprétaient ainsi un Américain… avant que les Philadelphiens ne jouent un Français. En dix minutes et trois brèves sections, le Quatrième sextuor (1981) de Tobias Picker (né en 1954) est sous-titré «The Blue Hula», en référence à une «ancienne danse américaine». L’ensemble est celui du Pierrot lunaire de Schönberg, auquel s’ajoute un percussionniste (vibraphone, glockenspiel et maracas). Le langage, bariolé et changeant (postromantique, postmoderne, atonale, jazzy, …) ne se prend pas au sérieux, traduisant une esthétique du détraquement dans la lignée du Ragtime de Stravinski ou dans l’esprit de la Symphonie de chambre d’Adams, avec ses références apparemment contradictoires à Schönberg et aux cartoons.
Commande de la Philharmonie de Cologne, Tactus (1996) de Marc-André Dalbavie, compositeur en résidence à l’Orchestre de Paris, présente extérieurement quelques ressemblances avec le sextuor de Picker: de courts mouvements (cinq, en l’espèce, pour un total de vingt-deux minutes) et un effectif instrumental inspiré par un exemple ancien (ici, celui de l’Octuor de Schubert, augmenté d’un piano). Le titre renvoie au nom donné, au Moyen-Age, à la façon de battre la mesure. De fait, le projet de la pièce est de «confronter différents types de temps»: il n’est pas surprenant, dès lors, que le jeu des superpositions et des décalages sonne souvent comme du Ligeti. Si certaines tournures évoquent étrangement Bartok, les passages moins animés, quant à eux, rappelleraient plutôt Berio. Si la frontière est parfois ténue entre influences, procédés et séduction, les qualités habituelles de l’écriture de Dalbavie s’expriment à chaque instant: virtuosité (comme ces gammes rapides, ascendantes ou ascendantes, fusant de toute part), ludisme (tel ce démarrage à partir d’une note unique répétée en recourant aux nombreuses possibilités offertes par les instruments et leurs modes de jeu), timbres travaillés à la manière de l’école spectrale (y compris le recours à des baguettes pour frapper directement les cordes du piano, comme un cymbalum).
Pianiste puis chef en première partie, Eschenbach devient spectateur en seconde partie, pour observer ses troupes dans l’Octuor (1824) de Schubert. Si l’ensemble est exclusivement masculin, la parité franco-américaine est en revanche stricte et même si les Parisiens occupent toutefois des pupitres plus exposés (clarinette, cor, premier violon et violoncelle), cela n’empêche pas d’admirer notamment les superbes sonorités du basson de Daniel Matsukawa ou de la contrebasse de Harold Robinson. Les regards se cherchent un peu durant les première minutes, mais la complicité ne tarde pas à s’établir, à l’image de la clarinette et du basson qui semblent esquisser un pas de danse dans le Trio du Menuetto. A l’instar de la clarinette de Philippe Berrod, plus verte et impertinente que ronde ou moelleuse, les musiciens privilégient une approche allante, esquivant les reprises dans les mouvements extrêmes, sans pour autant négliger de mettre en valeur cette nostalgie qui annonce, ici ou là, Brahms.
Simon Corley
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