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Le piano parfumé

Paris
Maison de Radio France
05/09/2004 -  
Kaikhosru Shapurji Sorabji : Le Jardin parfumé
Claude Debussy : Préludes, (Premier livre, extraits) – Images (Second livre)
Toru Takemitsu : Rain tree sketch II – Litanie I
Alexandre Scriabine : Sonate n° 10, opus 70

Kun Woo Paik (piano)


Dans le cadre du week-end de concerts gratuits autour du thème de «l’Orient lointain», Radio France proposait un récital de Kun Woo Paik: soixante-dix minutes de musique, sans entracte, enchaînées presque sans interruption, constituant un programme remarquablement pensé, aux subtiles correspondances, permettant de mettre en lumière des interactions entre la musique occidentale un «Orient lointain» plus ou moins mythifié. La colonne vertébrale en était Debussy, dont on connaît l’intérêt pour l’Asie – ses musiques (qu’il entendit notamment au cours de l’Exposition universelle de 1889) et, au-delà, ses cultures – que le simple énoncé de certains titres suffit déjà à identifier (Et la lune descend sur le temple qui fut, Pagodes). Autour de Debussy, deux compositeurs, Sorabji et Scriabine, attirés par le mysticisme oriental mais aussi influencés par l’auteur de Pelléas, et, au centre, à nouveau Takemitsu, l’une des vedettes de ce week-end (voir par ailleurs ici), Japonais à l’écoute de l’Europe, en particulier de la musique française, mais aussi de la tradition de son pays.


Presque légendaire, en raison de la longueur et de la complexité de ses partitions ainsi que de la relative rareté de leurs apparitions en concert, Kaikhosru Shapurji Sorabji (1892-1988) ouvrait ce périple, avec Le Jardin parfumé (1923). Dans un langage assez avancé, hérité aussi bien de Debussy que Scriabine, trilles, arpèges et chapelets de petites notes se succèdent durant vingt et une minutes, trouvant le pianiste coréen particulièrement à son avantage, grâce à son extraordinaire subtilité de toucher. Volontairement relâchée, comme improvisée, la construction n’est pas le souci principal de cette divagation hypnotique, mais le côté gazouillant et tintant des sonorités, la succession de grappes d’accords complexes, la manière d’imposer un déroulement qui dissout temps et tempo, le titre même de l’œuvre et le mysticisme qui l’imprègne ne sont pas sans évoquer Messiaen.


Dans quatre Préludes de Debussy extraits du Premier livre (1910) – successivement Voiles, Le vent dans la plaine, Des pas sur la neige et Ce qu’a vu le vent d’ouest – difficile de ne pas penser à la manière plus allusive de l’art asiatique, d’autant que Kun Woo Paik ne verse pas dans les travers, certes confortables, que seraient le descriptif ou le flou impressionniste. En effet, le moelleux et la profondeur du son ne se départissent jamais d’une précision éblouissante et n’excluent pas des coups de griffe d’une violence jamais clinquante.


Troisième pièce de Toru Takemitsu (1930-1996) à faire référence à «l’arbre de pluie» de Kenzaburo Oe, le Nobel 1994, Rain tree sketch II (1992) est un hommage à Messiaen, qui venait de disparaître: ces quatre minutes d’un grand dépouillement portent effectivement la marque du compositeur français. Litanie I (1990) présente des caractéristiques similaires: de même durée, il s’agit également d’un hommage (à Michael Vyner) qui trouve son inspiration dans une pièce antérieure (un Lento de 1950). Mais le sentiment en est plus sombre, éloquente déploration d’une grande économie de moyens.


Retour à Debussy, avec le Second livre (1908) des Images. L’interprétation, d’une densité stimulante, restitue avec droiture et rigueur, mais sans sécheresse, l’univers de ces trois pièces: le temps – et la respiration du public – semblent suspendus dans Et la lune descend sur le temple qui fut, avant des Poissons d’or d’une puissance enthousiasmante, où le jeu ne se fait jamais dur ou métallique.


Pour conclure ce concert en forme d’arche, une œuvre en forme d’arche elle-même, la Dixième sonate (1913) de Scriabine: répondant en quelque sorte au «jardin des parfums», cette «sonate des insectes», nous replonge dans les harmonies travaillées et l’écriture cristalline de Sorabji, auxquelles s’ajoutent cependant l’élan et la concision. Ne serait-ce une apparente continuité du discours et un chatoiement sonore plus marqué, l’émiettement du propos en brèves effusions qui retombent aussitôt se rapproche de la démarche qu’entreprend Webern au même moment. Webern, l’une des références de Takemitsu… Toujours est-il que Kun Woo Paik porte avec aisance et panache ces ultimes sursauts de virtuosité lisztienne, n’hésitant pas à en souligner les aspects visionnaires et hallucinés.



Simon Corley

 

 

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