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Entre deux mondes

Paris
Maison de Radio France
05/08/2004 -  
Leos Janacek : Quatuor n° 2 «Lettres intimes»
Toru Takemitsu : A way a lone
Ludwig van Beethoven : Quatuor n° 13, opus 130 – Grande fugue, opus 133

Quatuor de Tokyo: Martin Beaver, Kikuei Ikeda (violon), Kazuhide Isomura (alto), Clive Greensmith (violoncelle)


Dans le cadre d’un week-end de concerts gratuits autour du thème de «l’Orient lointain», présentant, comme de coutume, un large échantillon sonore, depuis les musiques traditionnelles jusqu’à la création contemporaine, Radio France proposait un récital du Quatuor de Tokyo. Constituée voici trente-cinq ans, la formation, qui associe désormais un violoniste et un altiste japonais à un violoniste et un violoncelliste américains, est emblématique du dialogue entre deux mondes occidental et oriental qui est au centre de ces trois journées de manifestations.


Donné quelques jours plus tôt par les solistes de l’Orchestre national d’Ile-de-France (voir ici), le Second quatuor «Lettres intimes» (1928) de Janacek bénéficie ici d’une mise en place d’une précision époustouflante et d’une lecture idéalement équilibrée, plus apollinienne que dionysiaque, plus lisse que rugueuse, sans doute aussi plus viennoise que morave. Canalisant le bouillonnement incessant de cette œuvre autobiographique, écrite en trois semaines par un compositeur qui se trouvait alors dans sa soixante-quatorzième (et dernière) année, le Quatuor de Tokyo opte pour une approche plus abstraite qu’immédiatement dramatique, dans laquelle l’expression naît de la vivacité des tempi adoptés, de l’attention portée au déroulement du discours et de la perfection de la réalisation, par exemple cette capacité à produire des pianissimi d’une délicatesse infinie.


Même si l’occasion aurait peut-être dû permettre de découvrir des personnalités moins connues de la musique japonaise, il n’est pas illégitime que Toru Takemitsu (1930-1996), une personnalité à la confluence de deux cultures, ait été fort bien représenté au cours de ce week-end. Suscitée par le Quatuor de Tokyo à l’occasion de son dixième anniversaire, A way A lone (1980), une pièce d’une durée de treize minutes, fournit un exemple particulièrement intéressant de cette double influence. D’un côté, non seulement son titre révèle une source littéraire occidentale (en l’espèce, les derniers mots de Finnegans Wake de Joyce), mais Takemitsu, non content de citer la Suite lyrique de Berg (laquelle citait elle-même Zemlinsky...), en reprend l’un des procédés de composition, consistant à crypter des lettres (ici, comme dans nombre d’autres partitions du compositeur japonais, celles du mot «sea») en notes. Mais, de l’autre côté, le déroulement du temps circulaire et non linéaire, à l’image du livre de Joyce et la métaphore du jardin japonais renvoient à la culture orientale. Dès lors, si l’écriture procède par fragments à la manière de Janacek, puisque le programme permettait ce rapprochement original, la façon plus allusive et détachée, moins éruptive et violente, de Takemitsu, par petites touches évanouïes aussitôt qu’énoncées, trouve dans le Quatuor de Tokyo des interprètes au raffinement et à la subtilité adéquats.


En seconde partie, dans le Treizième quatuor (1825) de Beethoven, les musiciens privilégient la maîtrise de la construction, ne travaillant pas sur la rondeur ou la puissance de la sonorité, mais déployant au contraire une finesse et une transparence un rien nostalgiques, qui conviennent parfaitement aux quatre mouvements centraux. Comme les Prazak il y a un mois (voir ici), ils choisissent de conclure par la Grande fugue et non par le mouvement final que Beethoven lui substitua l’année suivante à la demande de son éditeur. Mais leur conception contraste de façon spectaculaire avec celle, à la fois plus exubérante et plus radicale, des Tchèques: souple, résolument narrative sans souligner pour autant la moindre inflexion du discours, elle met en valeur les éléments lyriques ainsi que les moments intimistes et mystérieux de cette pièce monumentale.


Cet ensemble de qualités sied bien évidemment à Mozart, dont l’Allegretto initial du Vingt et unième quatuor K. 575 (1789) est offert en bis.



Simon Corley

 

 

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