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Bienvenue dans l’Union! Paris Maison des cultures du monde (Théâtre de l’Alliance française) 05/01/2004 - Charles Camilleri : Au fil du temps – Talba
Joseph Vella : Phaedra – Hagar Qim
Kasper Toeplitz : Quatuor n° 3 (création)
Vidmantas Bartulis : Quatuor n° 1 «O, brangioji» (création française)
Raminta Serksnyté : Elégie orientale (création française)
Teisutis Makacinas : Scherzo concertant (création française)
Sabrina Maaroufi (flûte), Nora Cismondi (hautbois), Nicolas Baldeyras (clarinette), Christophe Vella (percussion), Magdalena Kmiecik, Marcin Broniewski (violon), Michal Mazur (alto), Dan Weinstien (violoncelle), Kasper Toeplitz (électronique), Quatuor Chordos
L’accent a tellement été mis sur les enjeux politiques et économiques de l’élargissement de l’Union européenne à dix nouveaux Etats que l’initiative consistant à présenter, le jour même de cet événement, au cours d’un «marathon musical» gratuit placé sous le haut patronage de Pascal Dusapin, dix programmes d’une demi-heure consacrés chacun à la musique de l’une de ces nations était réjouissante. Certes, l’Europe de la musique n’a évidemment pas attendu le 1er mai 2004 pour se faire, mais la perspective d’entendre des compositeurs fort peu joués sous nos latitudes valait le détour. Du coup, on sera sans doute plus enclin à excuser une organisation quelque peu défaillante (spectacles démarrant en avance, spectateurs admis après le début des concerts, mouvements des cameramen et éclairs des appareils photo), l’agacement étant accru par la désinvolture d’une partie du public (conversations, jeunes enfants bruyants, sonneries de téléphones portables).
Bien que l’ordre de passage des pays ait été déterminé par tirage au sort, les trois premières étapes permettaient de saluer successivement les trois dimensions de l’élargissement: la Méditerranée, l’Est et les Républiques baltes.
De façon presque trop attendue, les deux plus grandes personnalités maltaises, que tout oppose apparemment, avaient été sélectionnées : d’un côté, Charles Camilleri (né en 1931), l’extraverti, actif au Royaume Uni et au Canada, curieux des musiques du périmètre méditerranéen, de l’Afrique et de l’Asie, de l’autre, Joseph Vella (né en 1942), plus réservé (comme peuvent l’être les natifs de l’île-sœur de Gozo), moins connu sur la scène internationale mais au rôle essentiel dans la vie musicale de son pays. Toutefois, outre un catalogue imposant ainsi qu’un penchant commun pour la tradition populaire maltaise, ce qui rapproche peut-être le plus les deux compositeurs, c’est, au travers d’une certaine perméabilité aux grands courants de la création contemporaine, la grande variété stylistique de leur inspiration, que le concert permettait également de mesurer.
Le choix même des œuvres entretenait le dialogue (ou la rivalité), puisque chacun était représenté par deux pièces de durée sensiblement équivalente et faisant appel à des effectifs quasi identiques: l’une associant de façon assez originale deux bois (respectivement flûte et clarinette, puis flûte et hautbois) et percussion, l’autre pour un instrument soliste (respectivement hautbois et clarinette). Au fil du temps (pour flûte, clarinette et vibraphone) révèle, chez Camilleri, l'influence, à partir du début des années 1960, de l'avant-garde occidentale et des musiques orientales,
tandis que Talba (L'Etoile) (pour hautbois solo) cultive avec habileté
le côté traditionnellement pastoral de l'instrument.. Moins ambitieux ou spectaculaire, Vella mise davantage sur l’intériorité et la poésie, notamment dans la délicate nostalgie de Phaedra (pour clarinette solo), tandis que Hagar Qim (pour flûte, hautbois, tom-toms, tambourin et triangle), du nom des imposants temples préhistoriques du sud-ouest de l’île, alterne de façon rhapsodique récitatifs des bois ponctués par la percussion et sections plus rythmées, d’allure folklorique.
D’ascendance maltaise, Christophe Vella, percussionniste à l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, est à l’origine de l’Ensemble Oden, constitué – comme l’Ensemble Denosjours dont il est né voici quatre ans – de musiciens des grands orchestres parisiens (on aura ainsi pu entendre, outre Christophe Vella, la flûtiste Sabrina Maaroufi, la hautboïste Nora Cismondi et le clarinettiste Nicolas Baldeyras). Sous la direction de son fondateur, cet ensemble donnera le 22 mai prochain à l’Auditorium Saint-Germain, en version de concert, La Croix de Malte (1995), un opéra de chambre de Camilleri d’après Schiller.
Français né à Varsovie, Kasper Toeplitz (né en 1960) a spécialement destiné son Troisième quatuor à ce marathon. A la formation habituelle se joignent des sons générés en temps réel au moyen d’un ordinateur portable devant lequel s’active le compositeur lui-même. Durant vingt-trois minutes, la lenteur et le statisme des cordes coexistent, davantage qu’ils ne s’opposent, avec les vrombissements de moteur produits par l’ordinateur: ce travail sur le son et ce discours hypnotisant, sombres et plaintifs, suggèrent on ne sait quel paysage de ruines, peut-être, pour la circonstance, celui de 1945, l’allégorie d’une «Europe année zéro».
Le Quatuor Chordos rendait ensuite hommage à trois générations de compositeurs lituaniens, Makacinas, Bartulis et Serksnyte (et, d’une certaine manière, en même temps, aux trois grands compositeurs qui furent leurs maîtres, respectivement Juzeliunas, Balsys et Balakauskas), un pays dont la vitalité et la diversité musicales ne se démentent décidément pas. Volontiers narratif, le Premier quatuor (1994) de Vidmantas Bartulis (né en 1954) présente en douze minutes une succession d’épisodes très variés, dans lesquels on retrouve les répétitions de courtes structures si typiques de la musique lituanienne, indépendamment du courant minimaliste né aux Etats-Unis. De façon assez cocasse, la conclusion du quatuor vient à l’appui de son sous-titre («O, ma chérie»): après un accelerando et un immense glissando des quatre instruments, les musiciens se tournent vers le public et lui adressent un baiser bien sonore!
Elégie orientale (2003) de Raminta Serksnyte (née en 1975), qui a reçu l’année dernière le prix de la «meilleure œuvre de musique de chambre» de l’Union des compositeurs lituaniens, consiste en quatre brefs mouvements, alternant par deux fois tempi lent et vif, d’une durée totale de douze minutes. D’une étonnante maîtrise d’écriture, la pièce prend le risque de tourner au catalogue de modes de jeu des cordes, aux effets tour à tour fantomatiques et brillants, dans l’esprit d’un Ligeti, jusqu’au délire paroxystique de la péroraison.
Présenté avec humour par le violoncelliste Mindaugas Backus («toute la musique composée il y a trente ans ne ressemblait pas à ça»), le bref (huit minutes) et plaisant Scherzo concertant de Teisutis Makacinas (né en 1938) s’inscrit dans la tradition d’un folklore imaginaire à la Bartok, qui évoque aussi la grâce dansante de certains quatuors de Villa-Lobos.
Simon Corley
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