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URSS 1955

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/07/2004 -  - et 8 avril 2004
Mikhaïl Glinka : Rouslan et Ludmilla (ouverture)
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour violon n° 1, opus 77/99
Modeste Moussorgski : Tableaux d’une exposition (orchestration Sergeï Gortchakov)

Vadim Repin (violon)
Orchestre national de France, Kurt Masur (direction)


A la veille d’une tournée à Toulouse puis au Japon au cours de laquelle ils reprendront notamment le cycle Brahms qu’ils ont récemment proposé à Paris, l’Orchestre national de France et son directeur musical présentaient un programme entièrement russe, fort intelligemment conçu.


Si l’on voit fort peu souvent Glinka à l’affiche dans notre pays, l’ouverture de son opéra Rouslan et Ludmilla (1842) est heureusement restée au répertoire des orchestres: redoutable entrée en matière pour les musiciens, elle est ici restituée avec panache, élancée et limpide, incisive et lyrique, malgré un effectif assez fourni (soixante cordes).


La suite du concert permettait de mettre en lumière deux aspects de la vie musicale soviétique en 1955, à une période charnière entre la mort de Staline (1953) et le XXe congrès du parti communiste (1956): dégel déjà perceptible, avec la création du Premier concerto pour violon (1948) de Chostakovitch, composé sept ans plus tôt mais prudemment conservé dans le tiroir, d’une part; persistance des réflexes anciens d’un communisme volontiers nationaliste, avec la création d’une orchestration «soviétique» des Tableaux d’une exposition (1874) de Moussorgski, d’autre part.


Deux mois après un récital exemplaire (voir ici), Vadim Repin récidive dans ce concerto de Chostakovitch. Face à une telle perfection, le chroniqueur se trouve coi: qu’ajouter en effet à ce qui n’a pas déjà été dit ou écrit sur le violoniste russe? Car la manière dont il colore chaque note, dont il lui donne vie, est d’autant plus admirable qu’il ne s’en contente pas pour verser exclusivement dans un pur souci du beau son, sachant même se faire gris (Nocturne) ou rauque (Scherzo) et manifestant une maîtrise totale des progressions (Passacaglia). Bien plus, malgré des moyens exceptionnels (puissance, aigus de rêve) qui lui permettent de survoler les difficultés (Cadenza), sa prestation reste dépourvue d’excès et de spectaculaire, empreinte d’une certaine modestie, qui convient dans cette œuvre que Chostakovitch qualifiait lui-même de «symphonie pour violon solo avec orchestre». Orchestre qui se montre un partenaire remarquable, au demeurant, notamment par les sonorités qu’en tire Kurt Masur.


Si Chostakovitch, auquel l’Orchestre national consacrera un cycle la saison prochaine, a orchestré ou révisé certaines partitions de Moussorgski, à commencer par Boris Godounov, c’est à un compositeur indéniablement plus obscur, Sergeï Gortchakov, que l’on doit la version des Tableaux d’une exposition choisie non sans audace par Masur, qui l’a cependant déjà enregistrée à deux reprises. Comme l’on a parfois reproché à Ravel, trop «raffiné», trop «français» en somme, d’avoir trahi Moussorgski, on peut considérer cette rareté comme une sorte de retour aux sources, qui n’était certes pas pour déplaire à un régime toujours soucieux d’attirer à lui les monuments de la culture russe. Sa conformité à l’original pour piano est d’ailleurs certainement plus grande: ainsi, Bydlo débute-t-il dans la nuance forte, tandis qu’est rétablie la Promenade située entre Samuel Goldenberg et Schmuyle et Limoges, le marché. En revanche, certains phrasés surprennent (Promenade entre Gnomus et Il Vecchio castello, Bydlo, La Cabane sur des pattes de poule), encore qu’il soit malaisé de distinguer ce qui tient de l’arrangeur et du chef.


Cela étant, si certains avaient eu la chance de s’aventurer avant le génial orchestrateur qu’était Ravel – Mikhaïl Touchmalov (1891), Henry Wood (1915), Leo Funtek (1921) et Giuseppe Becce (1922) – le défi, face à une réussite aussi éclatante qu’universellement connue, était ensuite considérable à relever, mais cela ne dissuada pas pour autant bon nombre de tentatives ultérieures. Pour s’en tenir en effet aux seules orchestrations, il faut rappeler entre autres celles de Leonidas Leonardi (1924), Leopold Stokowski (1929), Lucien Cailliet (1937), Walter Goehr (1942) et Vladimir Ashkenazy (1982), mais aussi Hanspeter Gmur, Thomas Wilbrandt (1992) et Byrwec Ellison (1995, où chaque pièce est orchestrée «à la manière de», un exercice d’ailleurs bien ravélien), sans compter les versions pour piano et orchestre (!) de Lawrence Leonard (1977) ou Emile Naoumoff (1993).


Inévitable, tant le travail de Ravel est imprimé dans la mémoire, le jeu des comparaisons se révèle à la fois passionnant et impitoyable. Gortchakov retient un orchestre à peine plus étoffé, ajoutant quelques instruments (un hautbois, une clarinette, un tuba) mais retranchant une harpe. A l’intérieur de cette palette quasi identique, la volonté de concurrencer les trouvailles ravéliennes suscite parfois des solutions astucieuses: par exemple, dans un curieux chassé-croisé, le fameux saxophone alto de Il Vecchio castello devient une trompette avec sourdine, tandis que la trompette piccolo de Samuel Goldenberg et Schmuyle est remplacée par un saxophone soprano.


Plus généralement, toutefois, privilégiant les masses de cordes, cette orchestration à la fois plus terne, plus épaisse et plus clinquante le cède à celle de Ravel, tant en subtilité qu’en transparence. En outre, Masur, lent et presque analytique, ne contribue pas à alléger l’ensemble: les pièces vives (Tuileries, Limoges, le marché) paraissent dès lors très en retrait, tandis que les textures de la fin de la seconde partie des Catacombes, de la partie centrale de La Cabane sur des pattes de poule ou le crescendo carillonnant dans La Grande porte de Kiev sonnent de façon incontestablement bien moins fine. De même, l’effet est systématiquement recherché, notamment par le passage en force des cuivres et percussions: Bydlo vraiment trop pesante, La Cabane sur des pattes de poule trop chargée et La Grande porte de Kiev fortissimo dès les premières mesures.


Dès lors, malgré un objectif affiché de fidélité, l’orchestration de Gortchakov semble même faillir de ce point de vue: non seulement elle ne s’apparente en rien aux instrumentations si personnelles de Moussorgski que Rimski-Korsakov s’ingéniait à «corriger», mais la vision ravélienne – rutilante, sauvage, colorée, qui n’est pas sans évoquer Borodine, pour lequel il manifestait dans sa jeunesse une grande admiration – rend sans doute finalement mieux justice à la force et à l’originalité de ces Tableaux. Cela n’empêche nullement l’Orchestre national de donner le meilleur de lui-même, remerciant le public de son chaleureux accueil en jouant à nouveau le bref Ballet des poussins dans leurs coques.



Simon Corley

 

 

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