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La musique des musiques selon Luciano

Paris
Cité de la musique
03/21/2004 -  
Luciano Berio : Sequenze I, V, IXa, XII et XIV

Sophie Cherrier (flûte), Benny Sluchin (trombone), Alain Damiens (clarinette), Pascal Gallois (basson), Eric-Maria Couturier (violoncelle)


Dans le cycle Berio/Bach de la Cité de la musique, la confrontation tournait au monologue en ce dimanche, chaque compositeur se voyant intégralement dédier un concert. Ainsi, avant la Passion selon Saint-Jean dans la Grande salle (voir par ailleurs ici), l’amphithéâtre du Musée de la musique refusait presque du monde pour la «musique des musiques selon Luciano».


C’est à Edoardo Sanguineti, dont le nom reste attaché à Berio, que l’on doit cette formule à propos des Sequenze, car l’écrivain italien a illustré chacune des treize premières pièces par de très brefs poèmes, faisant précéder le tout de cet incipit à la fois profond et savoureux: «Incipit sequentia sequentiarum, quæ est musica musicarum secundum Lucianum» («Ainsi commence la séquence des Sequenze, qui est la musique des musiques selon Luciano»).


Il traduit ainsi la place centrale qu’occupe ce cycle dans l’œuvre du compositeur italien, couvrant la quasi totalité de son activité créatrice (1958-2002) et constituant un ensemble de quatorze pièces de durées variables (de six à dix-neuf minutes) destinées chacune à un instrument soliste (y compris la voix). En effet, si, indépendamment des genres consacrés (symphonies, concertos, sonates, ...), le principe d’une succession de partitions portant le même titre n’est pas rare on peut ainsi penser aux Chôros ou aux Bachianas brasileiras de Villa-Lobos, et, plus près de nous, aux Archipels de Boucourechliev ou aux Envoûtements de Suzanne Giraud l’une des originalités de ces Sequenze tient à ce que certaines d’entre elles ont servi de matrice à une autre série de compositions, de nature concertante quant à elles, intitulée Chemins. Quant à leur intitulé proprement dit, il fait référence à des «séquences» qui font l’objet de variations de nature harmonique, même si, et ce n’est pas la moindre des difficultés techniques, les instruments concernés sont essentiellement monodiques (flûte, clarinette, basson, ...).


Au-delà de ces considérations d’écriture, cette mise en valeur extrêmement virtuose des instruments, dont le répertoire soliste relativement restreint pour certains d’entre eux était ainsi enrichi par une contribution de premier ordre, a rapidement acquis la faveur des interprètes et du public, le couronnement en étant l’enregistrement intégral à l’exception de la Sequenza XIV, qui n’avait pas encore été publiée réalisé pour Deutsche Grammophon par les musiciens de l’Ensemble intercontemporain, que l’on retrouvait précisément pour ce concert.


Habilement sélectionnées, les cinq Sequenze ont été données sans interruption, simplement introduites, le cas échéant, par le poème de Sanguineti qui leur est attaché, dit en italien. Il est regrettable, dans ces conditions, qu’au lieu d’attendre le salut final, une partie du public ait systématiquement couvert le texte par ses applaudissements, certes mérités, destinés à l’exécutant de la précédente pièce.


Dans la Sequenza I (1958) pour flûte, Sophie Cherrier, jouant par cœur, restitue avec une parfaite aisance les multiples changements de rythmes, de mélodies et de climats de cette pièce liminaire, déjà emblématique du tempérament capricieux, ludique et théâtral qui sera celui de l’ensemble du cycle. Dédicataire et créateur de la Sequenza XII (1995) pour basson, la plus développée (dix-neuf minutes), Pascal Gallois met en valeur d’autres caractéristiques de ces Sequenze: défi physique (ici tout particulièrement le souffle exigé de l’interprète), recherche sur le son, qui transforme le timbre ordinaire de l’instrument (lequel se métamorphose ici, tour à tour, en flûte, hautbois, clarinette basse ou saxophone ténor). Bien loin de copier les modèles existants (façon Apprenti sorcier ou Sacre du printemps), Berio crée un univers à part, fortement narratif, même si son esprit rappelle peut-être celui d’une autre «aubade du bouffon» et d’un autre grand solo de basson, l’Alborada del gracioso de Ravel.


Grotesque non dénué de pathétique, lyrisme et jeux de scène marquent également la Sequenza V (1966), qui fait explicitement référence à la figure du clown (Grock, en l’espèce). S’y ajoute un effet de miroir avec la voix du tromboniste (l’excellent Benny Sluchin), qui se mêle avec la sonorité de l’instrument, modifiée par la sourdine wa-wa.


Plus «respectueuse» des caractéristiques usuelles de la clarinette, agile, veloutée, gouailleuse et stridente, la Sequenza IXa (1980) devient bien, grâce au talent d’Alain Damiens, cette «longue mélodie» qu’évoque le compositeur lui-même. Elle est immédiatement suivie de la Sequenza XIV (2002), avant-dernier opus achevé par Berio, marquée, comme toutes les autres, par la personnalité de son dédicataire: c’est ainsi l’origine sri lankaise du violoncelliste du Quatuor Arditti, Rohan de Saram, qui inspire ici l’imitation des rythmes scandés par un instrument traditionnel de cette île, le tambour de Kandy. Dramatique et heurtée, cette ultime Sequenza oppose de nombreux passages littéralement inouïs, proches de la guitare – associant frappes sur la caisse et pizzicati, où la corde claque parfois avec violence – aux tentatives de jeu avec l’archet, mêlant crissements plaintifs et brèves envolées lyriques. A l’image de ses quatre camarades, Eric-Maria Couturier domine de façon impérieuse ces quatorze minutes de tension extrême.



Simon Corley

 

 

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