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Un pas en avant

Montreal
Salle Wilfrid-Pelletier
03/13/2004 -  et les 18, 20, 24 et 27 mars 2004
Béla Bartók : A kékszakállú herceg vára, opus 11
Arnold Schoenberg : Erwartung, opus 17

Greer Grimsley (Duc Barbe-Bleue), Nancy Maultsby (Judith), Renate Behle (La Femme)
Orchestre symphonique de Montréal, Gregory Vajda (direction)
Robert Lepage (mise en scène originale), François Racine (mise en scène), Michael Levine (décors et costumes), Robert Thomson, Elizabeth Asselstine (lumières), Laurie-Shawn Borzovoy (effets médias)


A l’origine présentée par la Canadian Opera Company de Toronto, cette production signée Robert Lepage aura parcouru le monde, de New York à Hong Kong en passant par Genève, avant d’achever son périple à Montréal ce printemps. Sauf erreur, c’est la première fois qu’une mise en scène de Lepage est présentée par notre Opéra; cela nous vaut également la création scénique des deux ouvrages en cette ville. Double, sinon triple événement donc, et assurément l’un des moments les plus importants de notre saison musicale, cette production Bartók/Schoenberg est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la maison.


En effet, on sort de ce spectacle bouleversé, ému, profondément troublé, émerveillé et stupéfait, convaincu de la grandeur de l’expérience que l’on vient tout de juste de vivre, convaincu aussi qu’une étape vient d’être franchie, que Montréal en tant que cité culturelle vient de faire un beau pas vers l’avenir. Arrêtons-nous un instant : une version scénique, d’envergure internationale, du monodrame de Schoenberg, sur les planches de Wilfrid-Pelletier ! Sans rien vouloir enlever à Barbe-Bleue, j’ose avancer que la chose eût été à peine concevable, il y a à peine plus de cinq ans. L’attitude du public (salle presque comble à la prima) en dit long sur sa maturité et son intelligence, et confirme qu’il est prêt, adéquatement guidé, à emprunter de nouvelles avenues, à faire des découvertes surprenantes.


Robert Lepage et Michael Levine (autre Canadien s’illustrant brillamment à l’étranger, il signe les décors et les costumes du prochain Capriccio à Garnier) plongent en profondeur dans la psyché des protagonistes, de manière certes plus tangible dans Erwartung, mais également dans un Barbe-Bleue terrifiant, morbide, et pourtant si remarquablement beau. On est emprisonné dès le départ (tout comme Judith d’ailleurs) dans les dédales infinis et grandioses de la personnalité du duc, chacune des portes s’ouvrant tour à tour sur un monde effrayant de souffrance et de beauté. On est particulièrement frappé par la délicate élaboration du climat suspensif lors de la découverte de cet immense «lac de larmes», dans lequel on baigne littéralement, et qui précède la pulvérisation de tout principe animé. Nancy Maultsby se fait à la fois amoureuse, naïve, horrifiée, résolue, à travers une puissante présence scénique et une voix spécialement poignante au grave. L’amertume et la souffrance qui émanent en permanence de Grimsley en font un duc d’une grande vérité, et les deux chanteurs se révèlent de grands interprètes, si l’on songe à la difficulté de l’écriture et au relatif statisme physique de l’action. Admirablement soutenus par Vajda, ils portent le drame à son anéantissement avant de faire place à l’insoutenable soliloque de Renate Behle.


D’abord, la solitude de l’Homme; ensuite, la solitude de la Femme, semble nous dire Lepage. Encore là, sans ne rien vouloir enlever aux interprètes ci mentionnés, Behle fut absolument renversante. Une telle énergie, une telle densité, une telle force interprétative, une identification plus grande que nature à ce personnage si cruellement difficile à faire vivre, un tour de force qui démontre une riche personnalité et d’immenses possibilités dramatiques. Ovation debout, largement méritée. Si les frontières de l’esprit nous furent exposées en début de soirée, les voici torturées, déformées, repoussées au maximum, fondues, effacées. On entre dans ces trente-cinq minutes «d’attente» comme dans une autre dimension, entraînés par une force accélératrice implacable, pour arriver en fin de parcours non pas à l’anéantissement du drame, mais au néant proprement dit.


Le chef invité Gregory Vajda s’est montré absolument idoine tout au long de la soirée, mais au risque de passer pour un grognon irrécupérable, je m’attriste autant ici (comme lors d’une récente Thaïs, d’ailleurs) de l’acoustique plutôt aléatoire de la salle. Robert Lepage, que l’on croyait à l’étranger, fit une apparition chaudement ovationnée au rappel.



Renaud Loranger

 

 

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