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Du docteur Gratiano à Gianni Schicchi…

Tourcoing
Théâtre Municipal
02/17/2004 -  et les 20* et 22 février 2004.
Orazio Vecchi : L’Amfiparnaso
Giacomo Puccini : Gianni Schicchi

Dominique Visse (Pedrolino, Isabella, Hebrei), Bruno Boterf (Lucio, Hortensia, Isabella, Hebrei), Vincent Bouchot (Pantalone, Isabella, Hebrei), François Fauché (Gratiano, Hortensia, Isabella), Renaud Delaigue (Capitan Cardon, Hortensia, Isabella, Hebrei)
Ensemble Clément Janequin
Dominique Visse (direction)
Fulvio Massa (Gianni Schicchi), Manuela Kriscak (Lauretta), Dominique Visse (Zita), Simon Edwards (Rinuccio), Bruno Boterf (Gherardo), Liliana Faraon (Nella), Marie Planinsek (Gherardino), Renaud Delaigue (Betto di Signa), Alain Buet (Simone), François Fauché (Marco), Agnès Mellon (La Ciesca), Pierre Thirion-Vallet (Pinellino/Maestro Spinelloccio), Vincent Bouchot (Amantio di Nicolao)
Charles Marty (décors), Anne Bothuon (costumes), Vincent Monnier (lumières)
Laurent Serrano (mise en scène)
Ensemble Instrument de l’Atelier Lyrique de Tourcoing - Solistes de la Grande Écurie et la Chambre du Roy
Jean-Claude Malgoire (direction)

Après avoir donné un superbe concert deux semaines plus tôt à Wambrechies dans le cadre d’une résidence d’un mois à l’atelier lyrique de Tourcoing, l’ensemble Clément Janequin propose de revoir une charmante production qui rassemblait une comédie madrigalesque, l’Amfiparnaso d’Orazio Vecchi, et un petit opéra d’un acte de Giacomo Puccini, Gianni Schicchi (voir l’article de Christophe Vetter publié en 2002 ici). Échafauder un spectacle à partir de deux oeuvres aussi différentes musicalement pouvait paraître assez périlleux au premier abord mais Dominique Visse et ses collègues, épaulés pour la circonstance par l’orchestre de Jean-Claude Malgoire, La Grande Écurie et la Chambre du Roy, réussissent ce pari avec un immense succès.



La première partie de la représentation est donc consacrée à une “commedia harmonica” de 1594 dont l’ensemble Clément Janequin avait déjà fait un enregistrement en 1993 avec une partie des membres réquisitionnés aujourd’hui. La mise en scène est remplie d’idées et elle ne laisse aucun temps mort. Les décors représentent une petite scène de théâtre montée sur tréteaux et les chanteurs se changent derrière ou bien alors à vue, ce qui brise l’illusion scénique et finalement le spectateur assiste à tout. Quelques musiciens, dont toujours l’excellent luthiste Eric Bellocq, jouent sur le côté gauche et participent parfois à l’action en obligeant les solistes à attendre avant de rentrer sur scène car ils prolongent à l’infini l’accord de leurs instruments. Ils ont aussi revêtu, pour la circonstance, des costumes similaires à ceux des protagonistes et ils s’intègrent ainsi parfaitement à l’action. Il serait vraiment trop long de relever tous les détails qui animent cette mise en scène extrêmement inventive de Laurent Serrano mais on ne peut passer sous silence quelques trouvailles ingénieuses. Pour changer de scène ou d’acte, à tour de rôle, les chanteurs viennent expliquer ce qui va se passer mais avec des procédés différents. Pour la première scène de l’acte II, Dominique Visse improvise sur un texte et ce n’est qu’au prix d’efforts immenses qu’il parvient à donner le titre exact. Pour introduire le troisième acte, ils se servent de pancartes qu’ils agitent à travers le rideau de scène et comme l’entrée de Pantalone est retardée, les panneaux “Il ne va pas tarder” et “Le voilà” se succèdent. L’eau a une grande importance dramaturgique car le jeune premier Lucio, amoureux transis d’Isabella, tente de se suicider dans la mer mais finit par se sortir des flots et par revenir auprès de sa belle. A ce moment, il y a un duo entre les deux amoureux et le rideau improvisé du petit théâtre se lève pour dévoiler trois charmantes sirènes avec de belles queues bleues de poisson.
Alors que dans le disque, ils chantaient tous ensemble, ici ils ont chacun des passages en soliste ce qui donne l’occasion de différencier les cinq voix et de se rendre compte qu’elles possèdent toutes des qualités extraordinaires. La basse Renaud Delaigue possède des graves somptueux qui font merveille dans les passages lents lorsque, par exemple, dans la scène quatre de l’acte II il forme un petit trio avec les deux autres barytons. Il est également très à l’aise scéniquement surtout quand il joue les matamores et qu’il poursuit Dominique Visse de son épée de bois.
Le baryton François Fauché, en général assez froid dans les concerts, était peut-être l’un des plus déchaînés. Il campe plusieurs rôles mais c’est surtout dans celui du docteur Gratiano qu’il se montre le plus drôle: il essaie, par exemple, de jouer du sabayon mais se coince les doigts dans son instrument, ensuite il tente de convaincre les usuriers juifs de lui prêter de l’argent, scène d’anthologie dans laquelle les quatre autres chanteurs sont coiffés du chapeau traditionnel juif et actionnent des marionnettes qui représentent les corps des hébreux. Le chanteur n’hésite pas à changer la couleur de sa voix pour rendre son personnage plus ridicule et dans la lignée de la Commedia dell’arte notamment quand il chante son madrigal. Le second baryton Vincent Bouchot est également excellent et sa prestation en vieux Pantalone est remarquable. Le ténor Bruno Boterf dévoile une extrême sensibilité à la fois dans son jeu et dans sa voix. Il interprète essentiellement le rôle de Lucio et dans sa première apparition, il arrive avec un pot de fleurs et chante une longue complainte amoureuse, sorte d’Endimione de avant l’heure. Reste Dominique Visse, artisan musical de cette comédie délirante, qui dégage une énergie incroyable et qui change de personnage avec une facilité confondante. Tour à tour, Isabella, le valet Pedrolino, il utilise toutes les ressources de sa voix pour distinguer les figures et il parvient à vraiment créer l’illusion. Il se coule également dans cette mise en scène qui demande beaucoup et il semble jouer et chanter tous ces rôles avec un tel naturel que l’on ne peut que s’incliner devant tant de talent.

Changement d’oeuvre mais pas de décor car la grande cohérence de ce spectacle réside aussi dans le fait que les éléments scéniques sont presque identiques, seulement un peu modifiés pour l’opéra de Puccini. Le théâtre de l’Amfiparnaso a fait place à un lit dans lequel le pauvre Buoso Donati gît entouré d’une famille très éprouvée, tout aussi pittoresques les uns que les autres. La mise en scène respecte à la lettre l’ambiance de l’intrigue et les personnages sont habillés avec des vêtements typiquement florentins et médiévaux. Au loin on peut imaginer l’architecture de Florence grâce à des décors stylisés blancs.
Dans le rôle-titre le baryton Fulvio Massa se sort admirablement des difficultés du personnage et de la partition car il faut savoir allier une certaine rouerie à un peu de distance. Sa voix est assez puissante, à défaut d’être vraiment personnalisée, et il parvient à la transformer de manière à rendre Gianni Schicchi intéressant et surtout inattendu. Il évolue sur scène avec grande maîtrise et est excellent dans la scène avec le notaire quand il s’attribue les lots les plus importants. Le Rinuccio de Simon Edwards est très honnête mais, vocalement, il montre ses limites dans son air et principalement dans les aigus. Sa voix est assez monotone mais il s’appuie sur une excellente prononciation pour tenter de donner un sens au texte et à son personnage. Manuela Kriscak campe une Lauretta très sensible mais elle ne peut guère rivaliser avec de grandes sopranos lyriques comme Mirella Freni. Elle se sert de ses jolis pianissimo pour apporter une grande fraîcheur à la jeune fille et le fameux air “O mio babbino caro” est conduit avec soin et enthousiasme.
Mais c’est dans les petits rôles qu’il faut chercher son bonheur. Si les membres de l’ensemble Clément Janequin semblent un peu relégués au second plan, certains se détachent pour interpréter des rôles importants. Celui du notaire échoit au baryton Vincent Bouchot qui, visiblement, s’amuse beaucoup à présenter un Amantio di Nicolao intelligent et prêt à aider le faux Buoso pour spolier le reste de la famille. Toutefois c’est Dominique Visse qui possède le rôle le plus long et il est absolument extraordinaire de drôlerie et de subtilité dans le personnage de la vieille cousine Zita. Scéniquement sa prestation fait énormément penser à Dame Beffana de L’Opera Seria de Gassman et vocalement à La Calisto de Cavalli. Il ne se ménage pas une seconde et pleure au début de l’opéra avec une grande sincérité. Il utilise toutes les ressources de sa voix pour jouer une petite vieille aigrie mais encore vive pour empêcher son neveu d’épouser la fille de Gianni Schicchi mais qui parfois est dépassée par les événements au point de tomber dans les pommes dès le moindre problème. Il sait se montrer bouleversant et émouvant dans le quatuor qui rassemble Rinuccio, Gianni Schicchi, Lauretta et lui quand les deux enfants supplient leurs parents de les laisser se marier. Cette scène est une magnifique parenthèse dans une oeuvre dense et c’est à ce moment que l’on retrouve une écriture plus proche des oeuvres connues de Puccini.
On retrouve avec plaisir Liliana Faraon dans le rôle de Nella qui apporte un soutien vocal intéressant grâce à son timbre solide et fourni. La scène “de séduction” des trois femmes de l’opéra (Nella, La Ciesca et Zita) est un morceau d’anthologie et les trois voix très variées se mêlent parfaitement. La soprano Agnès Mellon, qui a fait les beaux jours du baroque, n’a certes plus une voix très puissante mais quelle élégance dans son phrasé et quelle aisance scénique! Alain Buet est également très convaincant dans le rôle de Simone et il révèle un timbre chaud et une certaine autorité dans son chant.


Jean-Claude Malgoire aborde un répertoire assez éloigné du sien mais dirige admirablement même s’il ne dispose pas d’un orchestre suffisamment étoffé pour l’esthétique puccinienne. Il donne un élan à cette musique, un certain humour notamment dans le motif qui parcourt l’ouverture grâce à un pupitre de violon qui accentuent chaque note. Du bien beau travail!



C’est avec un immense plaisir que l’on déguste cet assemblage de deux petites comédies italiennes, assez contrastantes mais qui trouvent leur union dans le rire qu’elles provoquent et dans la bonne humeur qu’elles dégagent. Qui mieux que l’ensemble Clément Janequin avec ses membres aux personnalités vocales et scéniques si fortes pouvait mener à bien ce projet? Espérons que ce spectacle suscitera la volonté d’en monter d’autres et de faire (re)découvrir des trésors de la musique italienne!





A noter:
- le 17 mars 2004, l’ensemble Clément Janequin reprend Les Cris de Paris au Théâtre Municipal de Blois puis part en tournée en Hollande avec Le Chant des Oiseaux au mois de mai.



Manon Ardouin

 

 

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