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La consécration de Semele Paris Théâtre des Champs-Elysées 02/04/2004 - et les 6*, 8, 10, 12 et 14 février 2004. Georg Friedrich Haendel : Semele
Annick Massis (Semele), Richard Croft (Jupiter), Sarah Connolly (Junon), Charlotte Hellekant (Ino), David Pittsinger (Cadmus/Somnus), Stephen Wallace (Athamas), Claron McFadden (Iris), Marion Harousseau (Cupidon), Andrew Tortise (Apollon)
Tanya McCallin (décors), Brigitte Reiffenstuel (costumes), Paule Constable (lumières), andrew George (chorégraphie)
David McVicar (mise en scène)
Choeur et Orchestre des Musiciens du Louvre
Marc Minkowski (direction)
Depuis peu, l’oratorio Semele connaît un regain d’intérêt grâce, notamment, à la mise en scène inventive de Robert Carsen en compagnie des Arts Florissants à Aix il y a quelques années. Le metteur en scène David McVicar et les Musiciens du Louvre ont la chance de s'atteler aujourd’hui à cette oeuvre avec grand succès et ils s’appuient sur une distribution vocale irréprochable.
David McVicar décide de placer l’action non pas dans l’Antiquité et encore moins au XXème siècle (comme c’était le cas pour Agrippina) mais au XVIIIème, au temps de Haendel. Pour cela il s’aide des costumes magnifiques et recherchés de Brigitte Reiffenstuel. Semele et sa famille portent des vêtements assez simples, campagnards dans des tons pastels alors que les déesses et Jupiter arborent des tenues éclatantes et recherchées jusque dans les éventails de Junon et Iris qui sont assortis à leurs robes. Le décor est unique et mobile et il s’agit vraisemblablement d’une pièce entourée par des panneaux avec des fenêtres et un balcon où se place le choeur pour commenter l’action. Le metteur en scène délimite les différents espaces scéniques par un habile jeu de lumières et, par exemple, quand il s’agit d’une scène entre Junon et Iris, la scène est éclairée en bleu.
Avec prudence et grande intelligence, Annick Massis affronte pour la première fois la difficile partition de Semele . Elle sait parfaitement ce qu’elle peut demander à sa voix et parfois elle s’économise pour donner plus de rigueur et de propreté à des suites de vocalises épouvantables comme en témoigne l’air “”No, no, I’ll take no less.” Elle brosse le portrait d’une jeune fille qui veut devenir une femme et une déesse trop vite: elle prononce les même mots au début et à la fin de l’oratorio “o help”, ce qui permet de donner une certaine cohérence à l’action et elle les met en relief en les chantant de la même manière et en accentuant le “h” de “help”. Par quelques œillades, quelques gestes simples, elle apporte aussi une fraîcheur au personnage, tout en accentuant son côté déterminé et un peu buté. Vocalement elle se sort à merveille des exigences de la musique et relève le défi d’habiter la succession de vocalises, aidée pour cela par la gestuelle de David McVicar. Dans le premier air, consacré à l’alouette “The morning lark”, elle mime un oiseau avec ses mains en accord avec le rythme musical. Si Annick Massis commence la soirée un peu froidement, elle semble s’épanouir dès le deuxième acte et surtout au troisième acte où elle retrouve sa voix si agile et son timbre si particulier: elle enchaîne alors air sur air avec une maîtrise vocale incomparable.
Après avoir incarné, au disque, un brillant Lurcanio dans Ariodante pour Marc Minkowski, Richard Croft aborde le rôle difficile de Jupiter. Il apporte au personnage une certaine noblesse, un peu étrange, et il marque la différence entre les dieux et Semele, une mortelle, par des gestes lents. Sa coiffure, qui n’est pas sans rappeler celle de Ruggero Raimondi dans le Don Giovanni de Losey, est peut-être un clin d’oeil à ce séducteur invétéré. Le chant du ténor est d’une grande beauté et aucune vocalise ne l’effraie: il prend son temps et n’hésite pas à diminuer le volume de sa voix pour les rendre plus legato et plus précises. Il a également travaillé avec soin les récitatifs accompagnés et il se montre particulièrement expressifs dans celui qu’il chante après la demande fatale de Semele: la phrase “she must a victim fall” est répétée sur un rythme plaintif et entrecoupée de silences éloquents. Son timbre de voix charmeur fait merveille dans l’air fameux “Where’er you walk” dont il distille chaque note: la douceur de sa voix semble figurer les zéphyrs, le vent… et le “your eyes” se termine sur un pianissimo annonçant une reprise en mezza-voce, comme l’aime Minkowski. Pendant tout ce passage, une pluie de confettis tombe sur la jeune fille, rendant cette scène inoubliable et magique.
Sarah Connolly est bien connue pour ses interprétations prodigieuses de Haendel en Angleterre. Après avoir fait des débuts intéressants en 2002 dans le rôle de Sesto de Giulio Cesare sous la direction de Marc Minkowski à Garnier, elle retrouve ce chef pour présenter une Junon déchaînée, déterminée et rugissante: elle tient à prouver que Junon est prête à recourir à toutes les ruses pour contrer sa rivale et qu’elle prend beaucoup de plaisir à la faire souffrir comme en témoigne la petite danse d’allégresse qu’elle exécute avec Iris une fois Semele perdue. Sarah Connolly fait part d’un engagement assez rare et délivre une interprétation saisissante de son premier air “Hence Iris, hence away” dans lequel elle crie (mais volontairement) plus qu’elle ne chante.
Charlotte Hellekant, qui avait été une bien émouvante Cornelia l’année dernière, est également parfaite et sait jouer le désespoir amoureux avec grande subtilité. Habillée déjà comme une vieille fille (fines lunettes, chignon,…), elle va faire évoluer son personnage au cours de l’oratorio jusqu’à en faire une vraie femme. Elle commence la représentation avec une voix un petit peu trop puissante et qui ne laisse pas assez place aux nuances, petite réserve qui n’est plus de mise dans les actes suivants et sa phrase “Of my ill-boding sream…” est d’une émotion intense. La chanteuse confère une grande tendresse à l’air “Turn, hopeless lover” dans lequel elle avoue, à mots couvert, son amour à Athamas: ce passage est un des plus beaux de l’oeuvre grâce à la participation du violoncelle qui tient une superbe partie soliste et qui, de surcroît, est cic jouée avec une musicalité excellente. Charlotte Hellekant parvient même à enlaidir sa voix et elle trouve ainsi des accents sombres et profonds comme dans le début du duo avec Athamas “You’ve undone me”.
David Pittsinger est absolument époustouflant dans le double-rôle de Cadmus et Somnus. D’une grande prestance scénique, il campe un père humble mais préoccupé de l’avenir de ses filles et dans le rôle du Sommeil il sait provoquer le sourire notamment quand en plein milieu d’une vocalise, il esquisse un bâillement: dans son air introductif de l’acte III, il chante un magnifique descrecendo sur le deuxième “murmur”. Sa voix est d’une très grande puissante et on sent se profiler derrière lui de grands personnages mozartiens.
Claron McFadden compose une piquante Iris, prête à s’associer à Junon pour ennuyer les motels. Sa voix légère, très agile convient parfaitement au personnage et à l’idée qu’elle veut en donner.
Après avoir été une mère Caverna dans l’Opera Seria l’année dernière, Stephen Wallace revient ici dans un rôle qui met en valeur le timbre de sa voix (qui fait beaucoup penser à celui de David Daniel) et sa musicalité. Il campe un amoureux naïf, perdu et surtout dépassé par les événements divins. La chaleur de son timbre est particulièrement remarquable lorsqu’il tente de consoler Ino au premier acte “Your tuneful voice”.
Le jeune ténor Andrew Tortise fait une apparition courte mais remarquée dans le rôle d’Apollon. Il possède de très grandes qualités expressives et musicales qui, sans nulle doute, s’épanouiront dans les années à venir.
La très jeune Marion Harousseau devait faire des débuts prometteurs dans le rôle de Cupidon mais, souffrante, elle a été remplacée par Claron McFadden et Hanna Landa. David McVicar et Marc Minkowski ont décidé d’étoffer la figure de Cupidon, rôle qui est souvent coupé dans les autres interprétations. Scéniquement, le dieu de l’Amour est habillé d’un somptueux costume rouge et se présente sous les traits d’un aveugle, titubant, certes, mais avec quelle grâce chorégraphique! Il est constamment présent dans les scènes entre Semele et Jupiter et apparaît comme une sorte d’entité qui rôde pour rappeler aux deux personnages principaux qu’ils ne sont pas entièrement libres. Musicalement, le chef a décidé de lui restituer deux airs magnifiques auxquels Marion Harousseau ne manquera pas de prêter une grande sensibilité.
Le choeur des Musiciens du Louvre est, comme toujours, excellent. David McVicar les a habillé avec des smoking et en fait des spectateurs à la fois actifs et passifs. D’une très grande dignité ils sont une sorte de choeur antique qui commente l’action et qui juge les personnages. Ce n’est qu’à la fin qu’ils quittent leur apparence rigide et enlèvent chaussures et vestes pour “faire la fête” avec Cupidon qui apporte du champagne. Les gestes sont précis, chorégraphiques et se calquent sur la musique comme dans “Lucky omens bless” où ils agitent leurs mains en fonction du rythme. Très attentifs au texte, les choristes accentuent certains termes: ils mettent en valeur le problème de la scène (et de l’oratorio dans son ensemble) avec “our rites”
Que dire de la direction de Marc Minkowski si ce n’est que, une fois de plus, le chef français persiste et signe pour être le meilleur guide dans Haendel. Il n’épargne pas une seule note de la partition et toutes sont l’objet d’une recherche attentive, minutieuse. Dès l’ouverture il donne le ton puisqu’il la dirige avec beaucoup d’énergie et un sens théâtral: un monde commence à se créer, à s’échafauder sous ses doigts. De même au début de l’acte II, il adopte un tempo extrêmement rapide pour préparer l’entrée de Junon et on sent que, manifestement, il se fait plaisir en jouant ainsi et surtout en interprétant cet opéra. A l’opposé de cette esthétique, il allonge au maximum, jusqu’à la mort de la note, le point d’orgue qui se trouve à la fin du fameux récitatif de Jupiter déjà cité. Marc Minkowski s’appuie sur un orchestre qui fait toujours autant merveille et il convient de souligner le soutien musical qu’apporte Mirella Giardelli avec son orgue notamment dans le récitatif accompagné de Semele “O Jove, assist me”. Les bassons sont aussi remarquables au début du troisième acte et ils apportent une certaine étrangeté à la scène du Sommeil.
Après une Agrippina décapante et un Serse un peu froid, cette troisième production clôt en grande beauté le cycle lyrique consacré à Haendel: tout y parfait, une mise en scène simple mais efficace, des chanteurs exceptionnels avec de fortes personnalités et un chef époustouflant de grâce et d’intelligence musicales. Un magnifique hommage à Haendel et une superbe redécouverte de cette oeuvre qui, certes n’est peut-être pas la meilleure de ce compositeur, mais qui comporte quelques airs, comme ceux du Sommeil ou de Jupiter, extrêmement riches.
A noter:
- On pourra réentendre Marc Minkowski dans Haendel à l’Opernhaus de Zürich en mars prochain pour Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, oratorio dans lequel participera Richard Croft.
- Toujours à Zürich mais en juin prochain, les Musiciens du Louvre, Annick Massis et Richard Croft se retrouveront pour Les Boréades de Rameau. Manon Ardouin
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