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Correspondances Paris Maison de Radio France 02/07/2004 - Jean-Philippe Bec : Patientia (création)
Philippe Hersant : Lebenslauf
Raoul Lay : Souvenir du tigre (création)
Hans Abrahamsen : Winternacht (création française)
Julien Dassié : Ode à Eugène Leroy (création)
Brigitte Peyré (soprano), Jean-Marc Fabiano (accordéon)
Ensemble Télémaque, Raoul Lay (direction)
Le compositeur dialogue tout naturellement avec les autres créateurs: organisé en coproduction avec la Casa de Velasquez, ce concert de Présences 2004, au cours duquel l’Ensemble Télémaque dirigé par Raoul Lay donnait cinq oeuvres inspirées par la littérature ou la peinture (Hölderlin, Borges, Trakl, Escher ou Leroy) en témoignait à nouveau, en la… présence – discrète (au dernier rang), comme à son habitude – d’Henri Dutilleux, toujours curieux de découvrir et de soutenir la nouvelle musique.
Au cours de la précédente édition de Présences, Jean-Philippe Bec (né en 1968) s’était trouvé au centre d’une querelle esthétique avec l’un de nos confrères du Monde – toutes sortes de qualificatifs et même, dit-on, des horions avaient alors été échangés. Difficile de ne pas considérer le projet de Patientia (2003), sur un texte de Philippe Macaigne en forme d’acrostiche sur le nom de Giordano Bruno, comme un écho de ces controverses, jusque dans son titre. Bec ne suggère-t-il pas que pour le savant italien, «le feu n’est une conquête qu’à travers les emplois que nous en faisons. Ces emplois divers ne restent-ils pas constamment, aujourd’hui encore et pour chacun, affaire de choix?» Alors va pour le «libre choix»: d’une durée de treize minutes, Patientia, en création mondiale, est écrite pour soprano, hautbois, clarinette, violon, alto, violoncelle, contrebasse, percussion et électronique. La partie vocale mêle récit préenregistré et chant d’une suavité à la manière de Ravel ou de Canteloube, mais c’est le rôle dévolu à l’électronique qui surprend davantage, par ses références datées aux premiers bruits de la musique concrète ou aux atmosphères planantes des années 1970.
Mettant à nouveau en vedette la soprano Brigitte Peyré, Lebenslauf (1992) de Philippe Hersant, figure centrale de ce festival, consiste en un bref cycle (seize minutes) de six poèmes ou fragments de Hölderlin. L’effectif instrumental (flûte, clarinette, cor, quintette à cordes et piano) – réduit à un ou deux instruments (piano, cor et piano) dans deux pièces – et le style sonnent comme autant de références au romantisme et au postromantisme allemands, univers avec lequel le compositeur français entretient d’indéniables affinités. Fidèle à son esthétique de la réminiscence filtrée par le temps et par la mémoire, il fait ainsi se succéder l’esprit de R. Strauss, Berg, Mahler, Schönberg et Brahms, avec une maîtrise technique et expressive que l’on pourra difficilement contester.
Raoul Lay (né en 1963), fondateur de l’Ensemble Télémaque avec lequel il se produit en cette fin d’après-midi, est également compositeur. Souvenir du tigre (2003), en création mondiale, est influencé par L’Aleph, une nouvelle de Jorge Luis Borges, et est dédié à sa mémoire. L’harmonie et l’instrumentation – à un accordéon solo (l’excellent Jean-Marc Fabiano) sont associés flûte, hautbois, clarinette, trompette, violon, alto, violoncelle, contrebasse, piano et percussion – évoquent inévitablement le tango. Durant ces deux parties de durée très inégale (onze, puis deux minutes), entre violence et tristesse, c’est à Weill et Piazzolla que l’on ne peut s’empêcher de penser.
Hans Abrahamsen (né en 1952) a dédié à Georg Trakl les premier et dernier des quatre courts morceaux (treize minutes) pour septuor (flûte, clarinette, cor, trompette, violon, violoncelle et piano) qui constituent Winternacht (1976-1978, en création française), titre d’un texte du poète autrichien, les morceaux centraux étant respectivement dédiés, quant à eux, à Escher et à Stravinski. Adepte de la «nouvelle simplicité», le compositeur danois fait alterner une écriture statique et continue avec des passages plus pointillistes, le troisième morceau pouvant effectivement se rattacher au Stravinski des années 1960. Enigmatique et sibyllin, le propos procède également parfois par allusions, avec un piano qui semble se souvenir du premier mouvement de la Sonate Clair de lune de Beethoven ou un Dies irae qui s’insinue dans le dernier morceau.
Julien Dassié (né en 1973) est actuellement pensionnaire de la Casa de Velasquez, comme le furent Hersant et Bec en leur temps. En création mondiale, Ode à Eugène Leroy (2003), pour flûte, hautbois, clarinette, violon, alto, violoncelle, contrebasse et percussion, rend hommage autant à la personnalité qu’à l’oeuvre du peintre français (1910-2000). Tant pis pour ceux qui sont partis avant la fin du concert, car malgré une certaine naïveté du texte introductif («J’ai […] pris connaissance de sa peinture, dont notamment un Portrait, qui m’a particulièrement inspiré pour cette pièce») et un titre à la fois suranné et intrigant (une ode dépourvue de texte), cette partition d’une durée de onze minutes se révèle tout à fait réjouissante. Sans le moindre complexe ni la moindre facilité, le compositeur y exprime un véritable plaisir de manier la couleur, le rythme et la virtuosité, porté par un élan ludique et un langage personnel. Peut-être le même plaisir que Leroy éprouvait lui-même à travailler la matière.
Simon Corley
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