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Les Oiseaux chantent à Genève Geneva Grand Théâtre 01/24/2004 - et 26, 28, 30 janvier, 1er, 3 février 2004 Walter Braunfels : Die Vögel, Opus 30 Roman Trekel (Prométhée), Brett Polegato (la Huppe), Marlis Petersen (le Rossignol), Regina Klepper (le Roitelet), Pär Lindskog (Bonespoir), Duccio Dalmonte (Fidèlami), Kenneth Cox (l'Aigle et la Voix de Zeus)
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande, Ulf Schirmer (direction)
Yannis Kokkos (mise en scène)
Qui connaît aujourd’hui Walter Braunfels (1882-1954), juif converti au catholicisme que les nazis mirent au ban de la vie musicale allemande et qui ne parvint pas à émerger à nouveau après la guerre, victime cette fois des ayatollahs du sérialisme à tout va, bien que Konrad Adenauer lui eût confié le Conservatoire de Cologne ? Il eut pourtant son heure de gloire et ses Oiseaux, que Decca exhuma dans le cadre de sa série « Musique dégénérée » et que vient de monter l’Opéra de Genève, furent créés avec succès en 1920, à Munich, par le prestigieux Bruno Walter.
Braunfels s’inspire de la comédie d’Aristophane où Bonespoir et Fidèlami, déçus par la méchanceté du monde et les turpitudes de leur patrie athénienne, poussent les oiseaux à se révolter contre les dieux pour instaurer un monde meilleur. Mais le musicien, gommant les allusions à l’actualité de l’Athènes d’Aristophane tout en ouvrant la porte à des interprétations fondées sur celle de sa propre époque, donne à l’histoire un sens différent : les oiseaux refusent ici de suivre les conseils de Prométhée qui les met en garde contre son propre exemple ; ils sont aussitôt impitoyablement défaits par Zeus et célèbrent alors la grandeur de celui qu’ils ont si imprudemment bravé. Dieu doit rester garant de l’équilibre du monde. Fidèlami reviendra à sa grisaille quotidienne, mais Bonespoir, qui a chanté avec le Rossignol, au deuxième acte, un duo parfois proche de celui de Tristan, a été initié aux mystères de la nature et en a été profondément transformé.
La forêt, dans cet acte, tient à la fois de celle de Hänsel et Gretel de Humperdinck et de celle de Siegfried. Comme le Waldvogel wagnérien, le Rossignol est un médiateur – féminin, étant donné le genre du mot allemand. Un beau rôle de soprano colorature, où Braunfels, pensant peut-être à l’exemple de la Zerbinette d’Ariane à Naxos de Strauss, renouvelle une des conventions à la fois les plus spectaculaires et les plus creuses de l’opéra traditionnel. La musique elle-même est très post-wagnérienne et l’auditeur averti repère aisément des réminiscences de telle ou telle partition du maître de Bayreuth. Cela peut d’ailleurs sonner aussi très straussien, comme ce thème de Zeus qui rappelle la Symphonie alpestre. Mais il y a là une fluidité toute classique montrant de la part de Braunfels une nostalgie du classicisme, comme si la défaite des oiseaux n’était que la sanction de l’aspiration désordonnée à une modernité excessive. Partout, l’hybris est donc punie.
La production genevoise est une indéniable réussite. Yannis Kokkos trouve le juste équilibre entre le réalisme et le féerique, n’appuyant jamais la dimension symbolique de l’œuvre, qui se dégage d’elle-même. C’est visuellement très beau, avec ces oiseaux bigarrés, ces décors stylisés, ces effets de lumière nous faisant osciller entre deux mondes, notamment au deuxième acte, où les arbres de la forêt semblent découpés par des enfants. Ulf Schirmer évite toute emphase et obtient de l’orchestre une parfaite transparence sans pour autant oublier les exigences du théâtre ; on regrette seulement, comme dans sa Femme sans ombre parisienne, que cette exactitude ne se nimbe pas davantage de poésie. Du côté des chanteurs, le Rossignol de Marlis Petersen domine la distribution, par son aisance et la subtile humanité de sa caractérisation. Une mention aussi pour le délicieux Roitelet de Regina Klepper, ou pour le Bonespoir de Pär Lindskog, très à l’aise, même s’il ouvre un peu dangereusement les sons, dans un de ces éprouvants rôles de ténor très caractéristiques de l’opéra post-wagnérien. Certains, en revanche, s’ils chantent avec style, sont plus timides de projection, comme le Fidèlami de Duccio Dalmonte, belle basse profonde au demeurant, ou surtout le Prométhée de Roman Trekel, Liedersänger manquant de puissance et court de grave, sans parler de la Huppe de l’insuffisant Brett Polegato. Cela dit l’ensemble du spectacle est d’une telle séduction que l’on passe volontiers sur ses – relatives – faiblesses. Une fois de plus, c’est Genève qui nous rappelle que la mission d’un opéra n’est pas seulement de maintenir un répertoire, mais de réparer les injustices.
Didier van Moere
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