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Hersant et les Scandinaves

Paris
Maison de Radio France
01/30/2004 -  
Sunleif Rasmussen : La Nuit des éplorés (création)
Karin Rehnqvist : A l’ange aux mains brûlantes (création française)
Philippe Hersant : Streams
Carl Nielsen : Symphonie n° 3 «Sinfonia espansiva», FS 60

Max Artved (hautbois), Alice Ader (piano), Ditte Andersen (soprano), Michael Lindberg (baryton), Julie Cordier (récitante)
Chœur de jeunes filles de la Radio danoise, Michael Bojesen (chef de chœur), Orchestre symphonique de la Radio danoise, Thomas Dausgaard (direction)


C’est sur un coup de gong que s’est ouverte la quatorzième édition de «Présences», «festival de création musicale» de Radio France, qui se tient jusqu’au 14 février, proposant vingt et un concerts gratuits, soit cent quatre partitions de quatre-vingt-deux compositeurs originaires de quinze pays, dont cinquante-deux créations mondiales et quarante-trois commandes de Radio France.


Double fil rouge pour ce millésime 2004, qui, après les échanges d’invectives de l’année passée et, moins anecdotiquement, après la lettre ouverte adressée en mai dernier par un collectif de soixante-dix compositeurs français à la présidence de Radio France, comportera aussi sans doute son lot de controverses.


D’une part, comme de coutume, un compositeur est au centre de la programmation: Philippe Hersant (né en 1948), après Hans Werner Henze (2003) et avant les quatre-vingts ans de Pierre Boulez (2005).


D’autre part, l’accent porte sur la musique de l’Europe du Nord, car si la Finlande jouit d’une bonne réputation dans notre pays (Lindberg, Saariaho et Salonen n’en seront pas moins à l’affiche), il reste beaucoup à découvrir en Norvège et en Suède, bien sûr, mais aussi au Danemark (et aux Iles Féroé) ainsi qu’en Islande. Le festival s’est donc associé au Conseil nordique des compositeurs et au Festival Magma (dont le Danemark est, cette année, le producteur exécutif), rassemblant trois cent vingt musiciens (dont les orchestres national de la Radio danoise et philharmonique de Bergen ainsi que cinq chœurs d’enfants) et trente-huit compositeurs «nordiques»: on a vu grand, et c’est tant mieux.


Cela étant, les Français ne seront pas tout à fait oubliés, avec par exemple des créations de Connesson (Athanor pour solistes, chœur et «grand orchestre»), Paulet (Le Grand stellaire pour solistes et orchestre à cordes), Bec (Patientia pour soprano et sept instruments) et Zavaro (Three studies for a crucifixion pour orchestre), ou bien l’occasion de réentendre Visages d’Axël de Nigg et Qsar Ghilâne de Florentz. Bref, à peu d’exceptions près, c’est un certain courant esthétique, que l’on pourra qualifier, selon qu’on se sent ou non en harmonie avec son projet, d’accessible ou de démagogique, qui s’affirme année après année à «Présences».


C’est donc par un coup de gong que débutait le concert d’ouverture du Festival, celui qui retentit dès la première mesure de La Nuit des éplorés (2003) de Sunleif Rasmussen (né en 1961), originaire des Iles Féroé, seul, à ce jour, de cette province autonome à avoir reçu le prix musical du Conseil nordique (en 2002, pour sa Première symphonie). Donnée en création mondiale, cette commande de Radio France et de la Société danoise des compositeurs, qui met en musique Les Habitations de la mort, un poème de Nelly Sachs (1891-1970), est écrite pour chœur d’enfants et orchestre. Le compositeur suggère un «requiem miniature», mais c’est l’idée d’un De profundis qui se révèle progressivement au fil de ces seize minutes, depuis le torrent de sonorités graves et compactes du début, dont émergent avec peine les timbres clairs du chœur ou des cloches et vibraphones, jusqu’à une sorte de berceuse hypnotique, au langage plus décanté, soutenue par la harpe, où le texte laisse la place à des phonèmes.


En création française, A l’ange aux mains brûlantes (2000) de Karen Rehnqvist, constitue en quelque sorte un pendant de l’œuvre précédente: le poème de Björn von Rosen – piètrement lu par Julie Cordier, en guise d’introduction, dans une traduction française – que la compositrice suédoise (née en 1957) met en musique offre en effet une contrepartie plus lumineuse, même s’il évoque aussi la mort. A nouveau, c’est le remarquable Chœur de jeunes filles de la Radio danoise, dirigé par Michael Bojesen, qui est en vedette, d’autant qu’il n’est accompagné, cette fois-ci, que du seul – et excellent – hautbois de Max Artved, membre de l’Orchestre national de la Radio danoise. Accompagné, de l’aveu même du compositeur, n’est d’ailleurs pas le terme exact, puisqu’elle a cherché (et réussi) à mêler et à confondre les voix et l’instrument soliste. Plus traditionnelle, l’écriture s’enracine dans la tradition chorale scandinave et même dans la musique populaire, qui amène le hautbois à recourir aux quarts de ton. Le caractère relativement insolite de l’effectif requis rappelle les chœurs comparables de Martinu (par exemple les Trois Légendes avec violon), avec une verdeur volontairement perçante qui vise à restituer la technique vocale des gardiennes de troupeaux (et ici, c’est au Bouquet de fleurs du même Martinu que l’on pense). Toutefois, l’intérêt tend peut-être à diminuer au cours de ces neuf minutes, faute de renouvellement du matériau.


Philippe Hersant, figure centrale de «Présences 2004», fait probablement partie des compositeurs vivants dont la musique est la plus connue, puisqu’il est l’auteur des brefs intermèdes de l’un des plus grands (et inattendus) succès récents du cinéma français, Etre et avoir (2002) de Nicolas Philibert. Mais on pourra certes admettre que ce fait aura échappé à bon nombre de spectateurs de ce documentaire, voire de spectateurs du concert. Alice Ader, familière de l’œuvre de Hersant, est dédicataire, avec l’Orchestre national de Lyon, de Streams (2000), un concerto pour piano en deux mouvements enchaînés, d’une durée de vingt-six minutes. Décidément, un véritable thème semble structurer le programme de la soirée, car le titre, traduit par Fleuves, fait référence aux cinq fleuves infernaux, plus particulièrement au Léthé dans le second mouvement. Pour autant, l’enfer de Hersant n’est pas celui, noir et tragique, de Rasmussen, mais s’apparente plutôt, selon lui, à un labyrinthe.


Pour un compositeur qui dit avoir mis fin au «cycle de la mélancolie» depuis son Château des Carpathes (1992), cette pièce concertante n’en est cependant pas dépourvue, les phases d’activité, avec de petite cellules mélodiques à la Janacek, cédant le pas à de longues plages de calme un peu inquiet, de caractère non moins répétitif: la conclusion superpose ainsi plusieurs discours autonomes qui semblent ne jamais pouvoir communiquer entre eux, à l’image du mouvement final de son sextuor (2002) sous-titré Im fremden Land (voir ici). Les amateurs de grand concerto romantique ne seront pas forcément déçus, avec de beaux élans expressifs, de grands gestes pianistiques et un solo faisant penser à une cadence.


Considérant la méconnaissance du répertoire scandinave dans notre pays, le Festival peut se payer le luxe de présenter quelques-uns de ses piliers: avant Grieg et Tveitt dans les jours qui viennent, c’est ainsi la Troisième symphonie «Sinfonia espansiva» (1911) de Nielsen qui occupait la seconde partie de ce programme inaugural. Même s’il apparaît bon an mal an une fois par saison à Paris, souvent grâce à Radio France, d’ailleurs (voir par exemple voir ici et ici), Nielsen reste inexplicablement sous-estimé, alors que ceux qui appartiennent à des univers proches (Mahler, Sibelius, Chostakovitch) se sont désormais imposés. Car avec une entrée en matière aussi mémorable que celle de son Allegro espansivo – un effet d’accélération sur un accord répété de tout l’orchestre entrecoupé de silences de plus en plus courts – cette symphonie a tout pour saisir d’emblée l’auditeur. Après l’enfer de Hersant, le «paradis» (selon les termes mêmes du compositeur danois) de l’Andante pastorale, dans lequel interviennent une soprano et un baryton, entrait aussi en résonance avec l’ambiance rustique du chœur de Karen Rehnqvist ainsi que son souci de fusionner voix et instruments. L’Orchestre national de la Radio danoise et Thomas Dausgaard, qui est son «chef invité principal» depuis janvier 2001, se meuvent avec une stupéfiante aisance dans cette musique, qu’ils livrent avec une alacrité, une puissance et une précision merveilleuses.


Le site de «Présences 2004»



Simon Corley

 

 

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