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Assassinat d'une superbe interprétation par un metteur en scène!

London
Covent Garden
11/29/2003 -  et 2, 5, 8, 10*, 13, 16 et 19 décembre 2003.
Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor

Li Ping Zhang (Lucia), Anthony Michaels-Moore (Enrico), Marcelo Alvarez (Edgardo), Peter Auty (Arturo), John Relyea (Raimondo), Ekaterina Gubanova (Alisa), Andrew Kennedy (Normanno)
Herbert Murauer (décor et costume), Reinhard Traub (lumière), Christof Loy (mise en scène)
Orchestre et Choeur du Royal Opera House
Evelino Pido (direction)

Après une absence de près de 15 ans Lucia di Lammermoor réapparaît enfin sur la scène du Covent Garden. Le retour de cette oeuvre majeure du répertoire lyrique aurait pu et aurait du être bien beau car on pouvait entendre une distribution irréprochable, mais c’est malheureusement gâché par une mise en scène inexistante ou presque.



Christof Loy a voulu faire sombre et effectivement la luminosité est une notion absente de son travail. La scène est vide, il ne se passe rien. Le premier acte s’ouvre sur le choeur qui est composé de jeunes hommes ivres, débraillés et se vautrant dans la débauche. Comme seuls éléments du décors, d’hideux fauteuils noirs en cuir sont installés et sont déplacés au fur et à mesure de la représentation. Une vision assez tragique, assez noire de cet opéra passe encore mais le plus inadmissible, c’est la banalité et l’aspect conventionnel des gestes des protagonistes: les deux amoureux s’approchent l’un de l’autre, s’éloignent…
Quant aux costumes, ils sont représentatifs de l’esthétique des mises en scène allemandes de ces dernières années: costume-cravate, bottes de cuir et habits militaires. Cela commence à devenir lassant et surtout cela n’éclaire en rien l’intrigue de Lucia. La jeune fille est vêtue d’une jupe mi-longue et de grosses bottes de montagne pour le premier acte, ensuite d’une robe noire et, pour finir, d’une robe traditionnelle blanche mais simple, remplie de sang à la fin.
Un certain nombre d’éléments gestuels sont aberrants, voire idiots. Quand Lucia entre en scène pour chanter son grand air de la folie, elle porte, avec beaucoup d’efforts…, une valise remplie de sang. Se pose alors la question: est-ce un souvenir de celle qu’Edgardo ne cesse de transporter pendant tout l’opéra, ou bien celle-ci contient-elle des morceaux d’Arturo? On peut tout imaginer! Un des objets récurrents de cette mise en scène est le revolver. Chaque personnage, à un moment ou à un autre, menace un de ses comparses ou se menace soi-même. Dans son grand air du 1ère acte, on voit Enrico torturer le pauvre religieux, lui mettre un bandeau noir sur les yeux et l’obliger à s’agenouiller. Il pointe ensuite son arme contre sa tempe puis la dirige vers le public. Le metteur en scène voudrait-il nous achever avant que son “oeuvre” ne s’en charge?


Après plusieurs annulations, c’est finalement Andréa Rost et Li Ping Zhang qui se sont partagées le rôle-titre. Ce soir c’est au tour de la jeune chanteuse chinoise d’endosser la robe blanche de Lucia et sa prestation est assez remarquable dans l’ensemble. Toutefois, ce rôle montre un peu les limites de sa voix et surtout les fameuses notes de passages, bêtes noires de tous les sopranos légers. Ses aigus sont brillants, puissants mais elle ne les tient pas très longtemps. Li Ping Zhang est très souvent en décalage avec l’orchestre car elle ne tient pas les notes aussi longtemps qu’il le faudrait et Evelino Pido est obligé de presser l’orchestre pour rétablir l’équilibre. La scène de la folie est parfaitement menée mais la tension retombe à chaque intervention du choeur et des autres personnages et finalement on a l’impression de l’entendre en plusieurs fois: ses “ah si” sont magnifiques vocalement car elle utilise la partie légère de sa voix et les notes s’envolent. Elle campe une Lucia sensible, rageuse (dans le duo avec son frère “Il pallor funesto, orrendo”), folle mais cela serait mille fois mieux si la chanteuse se laissait aller et s’épanouissait. On la sent constamment se contrôler, se retenir alors que ses moyens musicaux autant que vocaux pourraient faire d’elle une Lucia plus que convaincante.
Marcelo Alvarez est époustouflant en musicalité et en vocalité dans le personnage d’Edgardo. Après des représentations un peu difficiles, vocalement, de La Bohème à l’opéra Bastille, il est très agréable de retrouver le ténor dans une forme éblouissante et avec tous ses moyens. Marcelo Alvarez avait déjà fait une très grande impression il y a un an et demi quand il avait succédé à Roberto Alagna au Châtelet dans la production française venue de Lyon. On a déjà souligné le peu d’aisance de ce chanteur en scène mais il semblait se corriger et prendre plus d’assurance à Paris dernièrement. Mais, dirigé de cette manière, il redevient un peu lourdaud, ce qui contraste fortement avec la subtilité et l’intelligence de sa voix et de son interprétation. Si on ferme les yeux, ce qui est quand même assez paradoxal quand on va à l’opéra, on peut davantage saisir les superbes intonations du musicien. Marcelo Alvarez assure toute la représentation avec brio mais c’est surtout dans la scène finale qu’il trouve ses meilleurs accents: dans la dernière partie, on le sent s’éteindre peu à peu et utiliser son fameux “mezza-voce” si doux, si fin et si charmeur. Il laisse une chance à l’avenir et son air final n’est pas un adieu désespéré à la vie mais un apaisement qui conclut deux heures de conflit entre les personnages. Un grand Edgardo!
Anthony Michaels-Moore est presque parfait en Enrico. La seule petite réserve que l’on pourrait apporter, c’est qu’il propose des accents trop gentils et qui s’apparentent davantage à la douleur de Rigoletto qu’à la méchanceté du frère de Lucia. Toutefois cette tendance vise à s’estomper au fur et à mesure de la représentation et il se montre un frère cruel et un adversaire redoutable lors du duo avec Edgardo au troisième acte, meilleur moment de la soirée. Le chanteur s’appuie souvent sur les “r” qu’il roule avec talent et dans l’un de ses premiers duos avec Normanno, il peut se servir de cet artifice pour exprimer sa colère “è troppo, è troppo orribile”. Il sait aussi se montrer charmeur et hypocrite dans le duo de l’acte II avec Lucia “A ragion me fe’ spietato”. Avec Marcelo Alvarez ce sont vraiment les deux seuls chanteurs à donner une âme et une vie à leurs personnages notamment parce que leur excellente diction leur permet de se fonder sur les mots pour les mettre en lumière et ainsi dessiner une évolution dans la psychologie de ceux qu’ils incarnent. Dans ce fameux duo avec Lucia, Evelino Pido et Anthony Michaels-Moore adoptent un tempo très rapide ce qui rend ce passage presque fou, du moins terrifiant sur les intentions d’Enrico: les “tu”, “potrai” sont particulièrement mis en relief.
Dans le rôle d’Arturo, Peter Auty est très décevant et on comprendrait presque que Lucia lui préfère Edgardo. Le chanteur n’a pas vraiment un timbre laid mais tellement banal. Il chante avec beaucoup de conviction et essaie de donner une épaisseur à son personnage mais ses intentions scéniques ne sont guère soutenues par une voix qui reste celle d’un ténor léger mais un peu (trop) naïf.
John Relyea commence honnêtement la représentation pour la finir brillamment. Il est complètement habité par son rôle et par la situation tragique lors de son récit du meurtre d’Arthur par Lucia. Il possède une voix puissante qu’il sait imposer dans les ensembles.
Les rôles secondaires, comme c’est presque toujours le cas au Covent Garden, sont tenus par de jeunes élèves du Vilar Young Artists Programme. Le rôle d’Alisa est donc interprété par la mezzo russe Ekaterina Gubanova qui s’en sort parfaitement et qui présente une voix forte - peut-être un petit peu trop pour ce rôle de duègne - claire et franche. Malheureusement elle est affublée d’un long manteau noir et de bottes, et surtout d’une perruque blonde avec des boucles qui la fait ressembler à une allemande. Il est alors assez difficile, dans ces conditions, d’apprécier son jeu. Normanno est chanté par Andrew Kennedy qui ne convainc pas dans les premières notes mais qui, après, laisse entendre une voix intéressante et séduisante de ténor.


La direction d’Evelino Pido est toujours très enthousiaste, très énergique et fine. Dès les premiers coups de tambour de l’ouverture, il place le drame, la scène. Il part d’un crescendo sur ces quelques coups très doux pour ensuite exploser joyeusement et il crée ainsi un contraste entre les deux éléments. Pour la scène de la folie il choisit de remplacer la flûte traditionnelle par une sorte d’harmonica (qui a une sonorité de verre) et cela rend l’atmosphère encore plus étrange et c’est un son vraiment très doux qui s’échappe de cet instrument.



Une belle distribution, une belle direction, un bon orchestre… mais une mise en scène insupportable! Les metteurs en scène, actuellement, souhaitent faire passer un “message” et mettre au goût du jour des oeuvres anciennes. Certes, mais pourquoi utiliser toujours les mêmes ressorts techniques? pourquoi faire si laid? pourquoi gâter une musique si bien servie?





A noter:
- Marcelo Alvarez reprendra la rôle d’Edgardo en janvier-février 2004 au Chicago Lyric Opera sous la direction de Jésus Lopez-Cobos et avec une Lucia de rêve, Natalie Dessay.


Manon Ardouin

 

 

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