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Des Meistersinger exceptionnels! Paris Bastille 11/10/2003 - et les 14 et 18 novembre 2003. Richard Wagner: Die Meistersinger von Nürnberg Jan-Hendrik Rootering (Hans Sachs), Kristinn Sigmundsson (Veit Pogner), Ben Heppner (Walther von Stolzing), Toby Spence (David), Eike Wilm Schulte (Sixtus Beckmesser), Nicolas Courjal (ein Nachtwachter), Anja Harteros (Eva), Nora Gubisch (Magdalene), Gunnar Gudbjörnsson (Kunz Vogelgesang), Michael Nelle (Konrad Nachtigall), Robert Bork (Fritz Kothner), Martin Finke (Balthasar Zorn), Wilfried Gahmlich (Ulrich Eisslinger), Thorsten Scharnke (Augustin Moser), Ulrich Hielscher (Hermann Ortel), Scott Wilde (Hans Schwarz), Michael Vier (Hans Foltz)
Orchestre et Choeur de l’Opéra National de Paris
Choeur des Lehrbuben
James Conlon (direction) Oeuvre rarement représentée à l’Opéra de Paris, les Meistersinger von Nürnberg sont aujourd’hui donnés sous forme de version concertante et ces spectacles resteront un grand moment de l’art poussé jusqu’à son plus haut niveau. Chanteurs, orchestre, choeurs, chef semblent prendre conscience de la lourde tâche qui leur est imposée et tous se surpassent et rendent un vibrant hommage à Wagner.
Tous les chanteurs ou presque sont des habitués des rôles qu’ils interprètent et cela se ressent dans l’aisance scénique et vocale.
Du côté des chanteuses, Anja Harteros propose un chant frais et elle compose une Eva discrète mais également déterminée notamment lors de sa visite chez Hans Sachs. La chanteuse se soucie particulièrement de ses legato qui sont remarquables dans leur conduite comme dans la première scène au moment où elle compare celui qu’elle aime au héros David. Il est à noter que le chant est assuré et que la puissance requise pour ce type de répertoire ne fait défaut. La seule petite réserve viendrait de graves peu nourris, ce qui parfois nuit à la beauté du timbre, par exemple, dans le début de son duo avec le cordonnier.
Nora Gubisch, en revanche, crée la surprise avec son premier Wagner. Elle trouve en lui un compositeur à la hauteur de ses possibilités vocales et sa Magdalene est idéale. La voix est puissante, homogène, belle et elle tente de jouer son personnage jusqu’au bout des limites que lui impose une version concertante. Sa diction excellente lui permet de jouer sur les mots et de rendre son personnage assez enjoué sans être ridicule et sa vision d’un héros à la longue barbe est chantée avec beaucoup de goût et d’expressivité. Pour une fois, il ne s’agit pas d’une Lene mièvre ou de second plan mais d’un vrai personnage intelligent et Nora Gubisch se sert de sa voix pour le prouver comme dans la première scène où elle retourne sans cesse chercher des affaires pour Eva. Attendons avec impatience son interprétation de Waltraute dans la future et nouvelle production du Ring au Châtelet…
Très attendu à Paris, le Walther von Stolzing de Ben Heppner, sans décevoir complètement, reste un peu en-deçà des espoirs placés en son interprétation. Il est l’un des rares chanteurs à éprouver des difficultés pour passer l’orchestre et lorsqu’il chante à Hans Sachs le fameux air “Morgenlied…”, il a quelque mal à attaquer la première note de manière assurée. En revanche il se rattrape au troisième acte et démarre juste et dans le ton. Ces réserves ne doivent pas entacher une belle exécution et surtout un timbre, même s’il se montre parfois métallique, adéquat à la musique wagnérienne. Le chanteur joue également le jeu de la mise en espace et il compose un Walther amoureux mais également très sensible aux remarques des Meister et la scène finale du premier acte est un passage intéressant dans lequel Ben Heppner devient comme fou lorsqu’il essaie de chanter coûte que coûte son air malgré le choeur des membres de la guilde.
Hans Sachs trouve en Jan-Hendrik Rootering un interprète sensible, attentif aux incertitudes du personnage et surtout puissant vocalement. Ce grand spécialiste de Wagner ne fatigue pas un seul instant dans ce rôle qui est long et difficile et il sait se ménager pour parvenir à la fin de la représentation aussi frais qu’au début. Du grand art!
Kristinn Sigmundsson, pilier de l’opéra de Paris depuis de nombreuses années, est un Veit Pogner attachant et sensible aux sentiments de sa fille. Sa prestation vocale n’appelle que des éloges tant il se montre sûr de lui et d’une grande stabilité vocale. La confrontation entre les deux basses est un véritable régal pour les spectateurs et l’ovation finale qui leur est réservée témoigne de l’excellence de leur interprétation.
Toby Spence, surtout connu pour ses interprétations mozartiennes ou monteverdiennes, est extraordinaire dans le rôle de David. Il a l’âge et la physionomie du personnage et surtout la voix appropriée. La longue scène dans laquelle il explique à Walther les caractéristiques d’un Meister est soutenue par une ligne de chant régulière et une diction parfaite. Très à l’aise dans cette tessiture, le chanteur anglais ne néglige aucune nuance et il n’hésite pas à utiliser des couleurs légères et fines sur des mots tels que “rosen” ou “Nachtigall”. Il apporte également une touche d’ironie dans les vocalises qui accompagnent le mot “Schüler”, insistant ainsi sur le côté didactique de ce passage.
Eike Wilm Schulte est excellent en Beckmesser. Il tire parti au maximum de la mise en espace, se montre très drôle, mais non ridicule, dans la scène de la sérénade de l’acte II et est d’une présence scénique assez rare. Le jeu est complété par une voix sans faille et le chanteur en fait absolument ce qu’il veut. Il ne ménage aucunement ses efforts et malgré un rôle assez lourd, il est encore très frais à l’issue de la représentation. Le chanteur agrémente son interprétation de superbes piani et une technique solide lui permet de hacher les différents “a” de sa sérénade tout en arrivant parfaitement au bout.
A noter l’intervention de Nicolas Courjal en veilleur de nuit, remplaçant Gerd Grochowski, qui montre une voix ample et sensible.
Tous les autres Meister sont parfaits et d’une grande homogénéité.
Les choeurs, comme à leur habitude, ne sont guère en phase avec l’orchestre. De nombreux décalages sont à noter. En revanche le choeur des apprentis est excellent et l’écart se creuse irrémédiablement.
La direction de James Conlon est intelligente, sensible et musicale. Même si le début semble un peu haché, cette option est justifiée par le caractère non pas tragique mais toutefois assez noir que le chef privilégie au cours de la représentation. Il ne fait pas de cet opéra une charmante comédie, comme on peut l’entendre parfois, mais jusqu’à la fin il maintient un climat tendu et soutenu qui vole en éclat au dénouement.
Pour rendre cette version de concert plus vivante, une petite mise en espace a été imaginée, bien que son auteur ne figure pas sur le programme. Quelques objets simples, comme une table, sur laquelle Hans Sachs fabrique avec son marteau des chaussures, un gradin pour les chanteurs lors du concours du 3ème acte, contribuent à créer une ambiance et les chanteurs jouent également de leur tenue vestimentaire en enlevant leur veste officielle de concert pour les passages qui se déroulent en soirée et Eva change de robe pour le dernier acte. Ces moyens modeste se révèlent très efficaces et vu les mauvais traitements infligés par certains metteurs en scène aussi à Wagner, la question se pose alors de savoir si une vision épurée comme celle-ci n’est pas préférable à une mise en scène qui aurait pu gâcher l’oeuvre.
Espérons enfin que James Conlon reviendra en tant que chef invité dans les saisons prochaines pour continuer à diriger Wagner et d’autres compositeurs allemands car il a su prouver au cours des années de présence à la tête de l’orchestre de l’opéra de Paris qu’il possède des affinités évidentes avec ce répertoire et les représentations de Parsifal ou des Meistersinger resteront dans les annales de l’histoire musicale de l’Opéra de Paris. Manon Ardouin
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