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Eclairs sur l’au-delà

Paris
Théâtre des Bouffes du Nord
10/06/2003 -  
Gérard Grisey : Anubis et Nout – Quatre chants pour franchir le seuil

Sylvia Nopper (soprano), Damien Royannais (saxophone basse), Ensemble Court-Circuit, direction : Pierre-André Valade


Fondé en 1991 à Genève par Philippe Hurel et Pierre-André Valade, l’Ensemble Court-Circuit, familier dès l’origine du répertoire de l’école spectrale, figure sans doute aujourd’hui parmi les mieux placés pour rendre justice à l’œuvre de Gérard Grisey (1946-1998), dont il donnait deux partitions liées par le thème de la mort. On regrettera cependant un retard de vingt-cinq minutes, qui, en l’absence du moindre commencement d’explication, confine au mépris pur et simple du public.


In memoriam Claude Vivier (1948-1983), assassiné alors qu’il travaillait sur Crois-tu en l’immortalité de l’âme?, Anubis et Nout pour saxophone basse (1983) se présente sous la forme d’un diptyque antithétique et évocateur: plus développée (sept minutes) et de caractère virtuose, la première pièce requiert la maîtrise d’une multitude de modes de jeu, de l’imitation (contrebasse en pizzicato) jusqu’aux bruits ou onomatopées, et, bien que fondée sur la répétition et l’instabilité, suggère un discours de nature polyphonique; la seconde (cinq minutes), en revanche, privilégie la continuité, la lenteur, le souffle, les sons tenus et les complexes harmoniques, avec des changements progressifs de hauteurs et de timbres. Damien Royannais stupéfie par son aptitude à restituer les deux faces de ce Janus musical.


Même si la comparaison est stylistiquement inappropriée, difficile de ne pas songer au Requiem de Mozart ou aux Quatre chants sérieux de Brahms, lorsque l’on sait que les Quatre chants pour franchir le seuil (1997-1998) appartiennent également aux ultima verba du compositeur, disparu prématurément des suites d’un accident cérébral. Helen E. Elsom a eu le privilège d’assister, en février 1999, pour ConcertoNet (voir ici), à leur création à Londres. Destinés à une soprano et à un ensemble sui generis de quinze musiciens (violon, flûte(s) et trompette(s), deux saxophonistes encadrant un violoncelle, deux clarinettistes encadrant une contrebasse, deux tubas entourant une harpe, trois percussionnistes) qui réserve une place importante aux registres graves, ils parviennent à créer un univers esthétique et affectif d’une grande cohérence, qui se caractérise par son dépouillement en même temps que par son raffinement. Chaque chant se rattache, par son auteur (respectivement Christian Guez-Ricord – un ami de Grisey, lui-même disparu en 1989 –, des inscriptions en tout ou partie effacées de sarcophages égyptiens du Moyen empire, Erinna de Telos – une poétesse de l’Antiquité grecque – et l’Epopée de Gilgamesh), à une civilisation différente et décrit autant de formes de résignation ou d’acceptation face au «franchissement du seuil».


La Mort de l’ange, marquée Prélude, s’ouvre par des sonorités blêmes, qu’on serait presque tenté de qualifier, au sens propre, de… spectrales, avec un texte scandé syllabe par syllabe, mais progresse lentement vers un sommet d’intensité qui laisse la place à un certain apaisement. Suivent deux Interludes plus brefs: La Mort de la civilisation, où un calme récitatif, entrecoupé de réminiscences avec une ligne de chant bien dans la manière de Pelléas, se pose sur le glas de la harpe, puis La Mort de la voix, plus animé. Effectivement, la voix se tait alors et la pièce finale, un Faux interlude intitulé La Mort de l’humanité, commence par… un interlude instrumental particulièrement impressionnant, dans lequel les coups de plus en plus rapprochés des grosses caisses annoncent l’un de ces orages dont les compositeurs ont le secret, depuis Vivaldi et Beethoven jusqu’à Berlioz, Wagner et Strauss. La soprano revient pour décrire le Déluge, puis évolue vers une Berceuse, dont les vocalises sont accompagnées par des sonorités douces qui se décantent enfin vers l’aigu. Consolation ultime, regard dépourvu de crainte qui ne sont pas sans évoquer la magnifique péroraison de To one in paradise (1999) de Suzanne Giraud.


Affectée d’un léger accent, la soprano allemande Sylvia Nopper fait fi des exigences de la partie vocale, n’hésitant pas à mettre en valeur ses côtés expressifs. Avec une tranquille assurance, Pierre-André Valade, directeur musical de Court-Circuit, mène à bon port ces quarante-deux minutes de musique, soutenu par des interprètes dont la concentration n’a d’égale que l’engagement.


En guise d’introduction, Philippe Hurel, directeur artistique, avait présenté la présente saison de l’Ensemble, qui sera articulée autour de cinq axes: les concerts – monographiques (viendront, après Matalon et Grisey, Markeas, Malec, Boulez, Jean-Luc Hervé, Levinas, Manoury et Berio) ou thématiques –, les échanges (Norvège, Allemagne, Finlande), l’implantation dans un lieu fixe (Palaiseau) et la relation avec le théâtre et le cinéma.



Simon Corley

 

 

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